Dix promenades en compagnie du latiniste Claude Aziza emmènent le lecteur à la redécouverte de Pompéi, « la belle endormie ».

A travers « promenades insolites », Claude Aziza propose d'emmener le lecteur à la redécouverte de Pompéi, « la belle endormie ». Car l’histoire de la ville ne s’achève pas avec l’éruption du Vésuve. Elle ne fait alors que commencer. En effet, des fouilles archéologiques et des visiteurs innombrables, certains célèbres, d’autres anonymes, forgent une nouvelle histoire de Pompéi. La ville éteinte n’a cessé de fasciner et d’inspirer bon nombre d’artistes qui ont fait de Pompéi un lieu légendaire, que Claude Aziza, maître de conférences émérite de langue et littérature latines à la Sorbonne, propose de découvrir.

 

Des deux Pline à Edward George Bulwer-Lytton

Deux noms emblématiques sont à jamais associés à Pompéi : Pline l’Ancien y trouve la mort, Pline le Jeune garde intact le souvenir de la ville enfouie par le Vésuve. Pourtant, le temps passant, le souvenir de la catastrophe et du lieu même s’estompe peu à peu. Ce n’est qu’au XVIe siècle que les textes commencent à raviver le souvenir latent de Pompéi, la cité endormie. Il est temps que la Belle au bois dormant s’éveille. Et ce n’est qu’au XIXe siècle que l’œuvre maîtresse de Bulwer-Lytton, Les Derniers Jours de Pompéi, s’impose comme la résurrection de Pompéi la vivante. Personnages complexes, structure audacieuse du roman qui livre le sursis d’un temps suspendu, composent un récit précurseur qui ouvre la voie à de nombreuses œuvres romanesques et cinématographiques. L’éruption du Vésuve devient un moment-clé de l’histoire, maintes fois repris par la suite.

 

Dans la cité des femmes

Pompéi est aussi un espace de femmes. Des silhouettes, des ombres féminines s’y détachent. La figure historique et impériale de Caroline, d’autres plus pittoresques, comme Emma Hart-Lyon, rappellent que la cité a été façonnée par les femmes. La riche femme d’affaires Julia Felix ; la tenancière Asellina et les filles de son lupanar ; Poppea, l’impératrice romaine, qui appartenait à une riche famille pompéienne, avant de devenir l’épouse de Néron : ces dames du temps jadis embrasent de leurs silhouettes la ville endormie, consacrée à Vénus. Pompéi est un lieu de vie, mais aussi le lieu des femmes – et notamment des héroïnes, fictives ou réelles, qui ont vu leur destinée se déployer dans la ville endormie. Que ce soit celles de Katherine incarnée par Ingrid Bergman (Roberto Rossellini, Voyage en Italie, 1953) ou celles de Corinne (Germaine de Staël, Corinne, ou l’Italie, 1807), les amours naissent, se creusent, s’embrasent au contact du Vésuve, puissant foyer de l’incandescence. Les destins de ces femmes de papier se jouent dans le théâtre pompéien. Pour Nerval, Octavie ne connaîtra jamais le bonheur à cause du refus du narrateur de s’adonner à elle. Et dans les édifices perdus de Pompéi, Freud lit l’analogie de la psychanalyse et de l’archéologie. Couche par couche, on exhume des profondeurs de la terre ou de sa mémoire les souvenirs refoulés pour mieux les faire émerger.

 

Un lieu réel pétri de fiction

Le 15 novembre 1860, Alexandre Dumas est déclaré directeur des fouilles de Pompéi par Garibaldi. Cette nomination paradoxale rappelle que l’auteur aime passionnément l’Italie. Mais ses connaissances sur l’Antiquité restent partielles. Il est loin d’être un spécialiste. D’ailleurs, son œuvre pittoresque Le Corricolo rappelle combien sous sa plume la fiction dépasse parfois la réalité. Mais qu’à cela ne tienne, Pompéi revit. Dès l’Antiquité, d’ailleurs, le volcan incarne un lieu imaginaire à la fois destructeur et salvateur. Domaine mythologique de Vulcain, il possède une image corporelle, souvent érotisée. L’éruption du Vésuve a fait de Pompéi un lieu tragique qui accompagne les destinées humaines, dont certaines semblent résolument « romanesques » : au Ier siècle, le volcan est ainsi le refuge des gladiateurs rebelles menés par Spartacus.

 

De Mozart à Claude Aziza

Quittons un temps Pompéi pour nous dégourdir les jambes à Naples. Un constat est à faire : il n’en a pas toujours été de l’intérêt pour les ruines antiques comme il en va de nos jours. Pillages, carrières de matériaux de construction – il faut attendre le XVIIIe siècle pour que le regard change sur ces vestiges du passé. Ce n’est qu’avec Winckelmann que naîtra l’histoire de l’art pompéien. De même, l’histoire du « tourisme » à Pompéi évolue lentement. Lenteur des voyages à cheval qui voient au XVIIIe siècle la naissance des hostelleries pour faire escale et l’amélioration des routes… Le XIXe siècle est le siècle du chemin de fer où s’accroissent vitesse et commodités. On redécouvre le patrimoine, notamment en Italie, qui fait partie du Grand Tour, ce parcours que l’on suit pour découvrir palais, musées, villes et ruines. Mozart, Denon, Mazan, Goethe, Madame de Staël, Stendhal, Lamartine, Flaubert, Mark Twain appartiennent à ces voyageurs du rêve pour qui Pompéi devint un pôle d’attraction. Claude Aziza lui-même s’est rendu souvent à Pompéi, notamment dans le cadre de voyages scolaires. Il connaît bien le site et a longtemps étudié la présence juive à Pompéi. Il n’est pas sans rappeler également que les victimes de l’éruption, dont le moule est exhibé, doivent être respectées en tant qu’humains et non en tant que simples objets d’étude, pour rappeler que Pompéi reste le lieu de drames humains.