Henri Lewi revient sur les questions posées par une humanité qui s’extermine, les victimes, les bourreaux, le peuple juif qui perdure.

Après deux premiers essais : Bruno Schultz ou les Stratégies Messianiques (Paris, La Table ronde, 1989) et Isaac Bashevis Singer, la Génération du Déluge (Paris, Le Cerf, 2001) et la traduction du yiddish D’un Monde qui n’est plus d’Israël Joshua Singer, Henri Lewi publie Le Lecteur Somnambule. Titre ambivalent et dont la question implicite est : la conscience anime t-elle tous nos actes ? C’est cette question, dit Lewi, qui hante la découverte des camps nazis, à l’encontre de l’indifférence dont ont fait  preuve les acteurs et certains spectateurs du génocide. Ce massacre révèle que ce que l’homme ne pouvait imaginer caché en lui est pourtant bien présent. La barbarie a-t-elle visage humain ? L’ennemi de l’homme serait-il présent en lui-même et non ailleurs ? C’est à la lecture d’auteurs, juifs et non-juifs, tels que Kafka, Charles Juliet, Robert Antelme ou encore Saul Bellow, qu’Henri Lewi tente d’élucider la responsabilité de chacun dans cette catastrophe. En multipliant les lectures, l’auteur témoigne ainsi de la souffrance des victimes face au sentiment paradoxal d’amour de la patrie qui anime les bourreaux.

 L’essai d’Henri Lewi se compose d’abord de trois parties qui évoquent successivement l’incompréhension, le détachement, et le questionnement de soi dans le rapport au bien et au mal. La quatrième et dernière partie, quant à elle, présente deux récits hassidiques qui ont pour fonction de pallier l’horreur de cette réalité, de réintroduire un peu d’humour, c’est-à-dire de sagesse juive. Henri Lewi montre comment l’écriture qui se veut une échappatoire rappelle malgré tout aux écrivains, comme aux lecteurs, que le mal s’inscrit dans la nature profonde de l’homme. Seule la conscience, si elle n’est pas manipulée, permet de résister à ses pulsions primitives. Le Lecteur Somnambule met en lumière l’histoire d’un peuple rejeté qui oscille entre renouveau et traditions, un peuple qui perdure et qui se renouvelle à travers les siècles malgré les persécutions qu’il a subies. Sans effort théorique particulier, cet essai rend hommage au courage du peuple juif tout en établissant quelques parallèles historiques. Il suscite de nombreuses questions qui créent un profond trouble : le bourreau aurait-il pu être la victime ? La victime aurait-elle pu être le bourreau ? Et qu’aurions-nous fait en pareille situation ? Charge au lecteur de se positionner, dans une réflexion active. Malgré la profusion des écrits à l’égard de la Shoah, l’intérêt du Lecteur Somnambule réside dans le fait qu’il montre la profondeur de la confusion et de l’incompréhension face à l’idéologie, du côté des bourreaux qui ont collaboré sans jamais rien remettre en cause, et du côté des victimes, celles qui sont mortes et celles qui sont revenues sans avoir oublié. Henri Lewi réussit-il pour autant à faire sortir le lecteur de son somnambulisme ?