La réédition en poche d'un chef-d'œuvre de la romancière américaine nous invite à découvrir une œuvre marquée par la Shoah.

Pour fêter le trentième anniversaire de sa maison d’édition, Olivier Cohen lance, avec dix-huit titres, une collection de poche : La Bibliothèque de l’Olivier. Il a notamment choisi de rééditer La Galaxie cannibale, chef-d’œuvre de la romancière américaine Cynthia Ozick, paru en 1986.

Olivier Cohen avait déjà publié, du même auteur, en 1991 Le Châle, Le Messie de Stockholm et Le Rabbi païen en 1988, chez Payot. Vinrent ensuite Lévitation (1993), Un monde vacillant (2005), Les Papiers de Puttermesser (2007) et Corps étrangers (2012).

Philip Roth et Saul Bellow ne dissimulaient pas leur admiration pour Miss Ozick. Les critiques littéraires de la New York Review of Books, de la New York Times Book Review, de la Paris Review, du New Yorker encensent ses romans sophistiqués, sarcastiques, labyrinthiques, qui prennent souvent la forme d’une parabole.

 

Une romancière américaine à la culture et à la sensibilité européennes

Cynthia Ozick est née en 1928 dans le Bronx. Sa famille avait quitté la Russie au lendemain de la vague de pogroms qui a succédé à l’assassinat du tsar Alexandre II, en mars 1881.

Elle fait de brillantes études de lettres au Hunter College High School, puis à la New York University. Elle reçoit son Master’s Degree à la Ohio State University, pour sa thèse sur La parabole dans les nouvelles tardives d’Henry James, pour lequel elle nourrit une grande admiration.

La culture, la sensibilité de Cynthia Ozick sont européennes. Cependant, l’Europe de l’humanisme, des Lumières a fini par accoucher d’un monstre.

L’extermination des Juifs d’Europe est le lieu géométrique de ses romans, mais pas d’une manière directe, plutôt anecdotique, « réaliste ». Ozick sonde l’épouvante. Elle ne cherche pas à susciter la pitié, un sentiment faux qui serait une offense, quand il s’agit du génocide d’un peuple, de l’assassinat d’un million et demi d’enfants. La Shoah ne saurait être romanesque.

Une des grandes préoccupations de Cynthia Ozick est donc l’idolâtrie que pourraient constituer la création artistique et le fait d’écrire des fictions, en contradiction avec les principes du judaïsme. Une telle entreprise constituerait une profanation. Cependant, les Juifs d’Europe sont les personnages principaux de ses romans, dont l’action échappe sans cesse au lecteur, parce que Miss Ozick est plus rusée que lui.

 

Une jeunesse loin de la Catastrophe

Ainsi que le constata l’écrivain de langue russe Julius Margolin dans sa chronique du procès d’Aldolf Eichmann, qui débuta le 11 avril 1961, à Jérusalem : « La vie de millions d’êtres n’était pas perçue comme une vie… Leur mort était hors de portée de son imagination. », écrit-il à propos du criminel nazi, impassible dans sa cage de verre. Que peut se permettre d’imaginer un romancier, se demande Cynthia Ozick ? Existe-t-il une limite ?

Vassili Grossman l’a admirablement franchie dans Vie et Destin. Il a osé décrire la mort du petit David et de la doctoresse Sofia Ossipovna Levinton, qui l’accompagne dans la chambre à gaz, tandis qu’un SS observe leur agonie par un œilleton. Mais Grossman était contemporain des faits. Il a vécu au sein de l’enfer, pendant toute la durée de  « la Grande Guerre patriotique ». Sa mère fut assassinée par les Einsatzkommandos à Berditchev. Grossman qui garda contre son cœur, où qu’il se trouvât, la dernière lettre de sa mère, fut le premier reporter de guerre à pénétrer sur le site du camp d’extermination de Treblinka. Il écrivit un témoignage L’Enfer de Treblinka, distribué aux juges, aux avocats, aux journalistes au Procès Militaire de Nuremberg. A Majdanek, il avait vu un entrepôt rempli des biens des Juifs exterminés. Il avait aussi vu la chambre à gaz, le camp, presque intact. Il avait été victime d’un malaise. Le lendemain, il était parti à Treblinka. Il avait vu des ossements, des souliers, une tresse de cheveux blonds émergeant du sable. Il s’était rendu sur le site où sa mère avait été fusillée avec tous les Juifs de Berditchev.

Cynthia Ozick a grandi loin de la Catastrophe, d’abord nommée Hurban en yiddish, et n’en a reçu la révélation qu’à la fin de la guerre. Elle en a perçu l’écho, les ondes.

 

Au cœur des espoirs déçus des Juifs d'Allemagne

Les personnages des romans d’Ozick sont essentiellement des Juifs réfugiés de la Shoah : professeurs, savants, intellectuels, qui avaient cru à l’émancipation que leur avait accordée l’Europe des Lumières, sous certaines conditions, et pour les Juifs d’Allemagne, au mythe de la symbiose judéo-allemande   . Alle Menschen werden Brüder… Ils n’avaient rien vu venir. Ils se voyaient Allemands. Avaient cru aux promesses de l’Aufklärung. Les Juifs de Berlin, de Vienne pensaient ne plus avoir aucun lien avec ce qu’ils appelaient avec mépris les Ostjuden, après avoir obtenu l’égalité des droits en 1840. Ainsi, Gustav Mahler écrivit de Lemberg (Lviv) à Alma, son épouse : « Mon Dieu ! Et je suis moi, censé appartenir à ces gens… ? »

Ils pensaient être devenus les égaux des Allemands, alors que Thomas Mann, prix Nobel, auteur de La Montagne magique, avait écrit à propos de Theodor Lessing, auteur La Haine de soi. Le refus d’être juif (Berlin 1930) : « … un nain disgracieux, qui devrait s’estimer heureux que le soleil brille aussi pour lui. » Le soleil ne devait plus briller longtemps pour les Juifs d’Europe. En 1933, les Juifs perdirent tout statut social, ainsi que leurs biens. Ils ne comprenaient pas que leur existence même était en sursis.

Dans son roman Un Monde vacillant, Cynthia Ozick décrit très ironiquement la façon dont les époux Mittwisser et leur fille ainée Annelise s’adressent avec une rigidité toute allemande à Rosa, leur employée. Ozick voit-elle, à l’instar de Lessing, dans le couple d’intellectuels déchu des « producteurs de biens culturels » ? Fait-elle ainsi le bilan de l’importante « collaboration » des élites juives à la Kultur du pays qui va les annihiler ?

Leur contribution à la culture de l’Allemagne, telle celle du professeur Mittwisser et de son épouse Elsa, personnages d’Un Monde vacillant, était immense. Lui était l’expert mondial de la secte juive hérétique des karaïtes, Elsa, physicienne spécialiste de la mécanique quantique, avait collaboré à la formulation de l’équation d’Erwin Schrödinger, au cours d’un mémorable séjour à Arosa. S’inspirant de la vie amoureuse libre et généreuse du savant, qui vivait avec deux femmes, la sienne, Anny et Hilde − celle de son assistant Arthur March − auxquelles il avait fait un enfant à chacune, Ozick imagine que Heinz, le fils du professeur Mittwisser serait plutôt celui de Schrödinger qui ne limitait pas sa passion pour les femmes à ses deux compagnes les plus stables.

Ce couple d’Allemands, qui avaient connu une vie privilégiée, a échappé à l’assassinat de masse au prix de mille dangers et humiliations. Ils ont notamment erré plusieurs jours dans Berlin dans une limousine de luxe louée afin d’échapper à la rafle de la Gestapo à leur domicile, avant de pouvoir s’enfuir en abandonnant tout, y compris leurs dernières possessions à leur chauffeur-maître-chanteur. Miraculeusement débarqués en Amérique, ils n’y trouvent aucune perspective de travail, et échouent dans un coin miséreux du Bronx. Ils survivent dans des conditions précaires, à la merci de leurs bienfaiteurs.

Dans La Galaxie cannibale, Cynthia Ozick prend pour cible le Musée Carnavalet, les portraits de la marquise de Sévigné et de sa fille, l’insignifiante comtesse de Grignan. Joseph Brill, un enfant juif du Pletzl tout proche, vient les contempler en secret, car ses parents, des Juifs orthodoxes, vivent à deux pas, rue des Rosiers. L’enfant seul échappera à la rafle du Vel d’hiv et à l’extermination, caché par des bonnes-sœurs dans une cave de leur couvent, en plein Paris. Il lit et relit la Bible, des catéchismes, des livres de théologie, quelques rares romans, et s’enthousiasme pour la littérature, la culture de l’Europe. Lui aussi réfugié en Amérique, il deviendra directeur de l’école juive dont il a rêvé pour former ce que l’on appelait autrefois, en France, un honnête homme. Ad Astra est sa devise. Il n’en sortira que de la médiocrité. Il constate que son école produit des générations d’adolescents ordinaires, calibrés sur le même modèle. Seule une petite fille mutique, solitaire, jugée idiote et irrécupérable, se révèlera une grande artiste, une fois quittée cette fabrique de la reproduction de la banalité.

 

Le Châle

Cynthia Ozick, cette femme toute menue, a lu sa nouvelle, Le Châle, son chef-d’œuvre, sur l’immense scène de l’Unterberg Poetry Center-92Y à New York, dans un silence total, à l’occasion de la commémoration de l’Insurrection du ghetto de Varsovie au mois d’avril 1998. Elle communiqua au public de l’immense salle de concert un véritable sentiment d’épouvante. Tandis qu’elle lisait lentement, pas un souffle. Quand elle se tut, il y eut un long silence.

Le Châle, disponible en poche (collection Signatures Points) depuis 2016, a pour scène la marche d’un groupe de femmes en direction d’un camp d’extermination. Rosa, l’une d’elles, dissimule dans son châle Magda, son bébé, muet et squelettique. Elle n’a plus de lait. L’enfant tête les fibres du châle. Arrivée au camp, Rosa réussit à cacher l’enfant dans sa baraque, en l’enveloppant dans son « châle magique ». Mais voici qu’un jour, pendant l’interminable appel, Stella, la nièce de la jeune mère, « vole » le châle parce qu’elle a trop froid. Magda, l’enfant qui n’a jamais émis le moindre son, franchit le seuil de la baraque sur ses frêles petites jambes, et hurle « Maaaa… aaa ! ». Rosa est en proie à la terreur. Si elle quitte sa place dans les rangs, les SS vont aussitôt l’abattre. Si l’enfant continue à crier et à avancer, les SS vont la tuer. C’est précisément ce qui advient. Un SS se saisit de l’enfant et la projette sur les barbelés électrifiés. Du combustible humain. L’enfant brûle.

Les mots Auschwitz, Juifs, Shoah, extermination, Einsatzgruppen, crématoire n’apparaissent pas sous la plume de la romancière. Cependant, le sentiment de terreur du lecteur est total.

Rosa Lublin survivra au camp et vivra en Floride. Mais dans la démence, le chaos de son appartement et la crasse. Chaque jour, Rosa écrit à sa fille morte. Un jour, Stella, que Rosa qualifie d’Ange de la Mort, suceur de sang, cannibale, qui elle aussi a survécu et s’est établie à New York, pour y trouver une forme de résilience, renvoie à sa tante le « châle magique » qui a conservé la profondeur d’amande et de cannelle.

A un vieux Juif établi depuis longtemps aux Etats-Unis et qui lui propose de l’aider, elle répond : quoi que je dise, vous seriez sourd.

 

La tardive consécration de Cynthia Ozick

Les romans de Cynthia Ozick désarçonnent habilement le lecteur. Inutile de prévoir les péripéties d’une intrigue qui ressemble parfois à une énigme policière. Mais cette étrangeté qui force à la suivre pas à pas jusqu’au dénuement, n’a rien de kafkaïen, comme on a pu le prétendre. Pour la bonne raison que Kafka a pressenti l’indescriptible Catastrophe, alors qu’Ozick en évoque les ruines et les survivants.

L’un de ses plus étonnants romans dont l’intrigue se déroule dans la ville puritaine et provinciale de Stockholm, met en scène Lars, le critique littéraire d’un quotidien, qui croit être le fils de l’écrivain juif Bruno Schulz, assassiné par un SS dans le ghetto de sa ville natale Drohobycz, en 1942. Certains prétendent que son œuvre ultime Le Messie a été préservée, et se trouve entre les mains de trois personnages étranges, qui se révèlent être des escrocs et avoir fabriqué un faux dans le but de piéger et exploiter Lars.

Aujourd’hui considérée comme l’une des grandes figures de la littérature juive américaine, Cynthia Ozick n’a jamais recherché la notoriété ou les honneurs. Ils sont d’ailleurs venus très tard dans sa vie, puisque son premier roman a été publié lorsqu’elle avait déjà 38 ans. Il lui fallut attendre des années de déceptions et de solitude, avant qu’un agent, décide, comme cela se pratique aux États-Unis, de présenter son manuscrit à de remarquables éditeurs, Robert Gottlieb et David Segal. Ce dernier lui renvoya son très long manuscrit, qu’avec humour, elle qualifie de « moderniste », comportant un grand nombre d’observations au stylo rouge, et la proposition de pratiquer des coupes claires. Ce qu’elle refusa.

Ozick est, cela dit, un écrivain très modeste. Son but est d’user du pouvoir de la langue. Elle ne pense pas en écrivant des fictions, créer des idoles et entrer en compétition avec le Créateur de l’Univers. Elle ambitionne d’arriver un jour à établir un lien entre l’imagination du monothéisme et celle de l’écrivain. Elle a longtemps pensé qu’elles étaient antagonistes. Aujourd’hui, elle ne pense plus qu’elle fabrique des idoles. Elle écrit des romans, qu’ils fussent inspirés par Dieu ou par Satan.

Elle ne croit pas aux biographies littéraires, à la relation des faits et gestes de l’écrivain. Elle affirme qu’il y a beaucoup plus à comprendre sur l’écrivain lui-même dans une seule des phrases de ses fictions que dans une colossale biographie. Autrement dit, chaque phrase écrite, est une parcelle d’autobiographie. Pour être plus précise, elle assure que la seule biographie d’un écrivain pourrait être son journal intime.

Le goût des livres lui est venu très tôt dans son enfance. C’était l’époque de la grande Dépression. Tandis que ses parents travaillaient dans leur Park View Pharmacy, dans le quartier de Pelham Bay Park, jusqu’à une heure du matin, Cynthia dévore des livres. Un libraire itinérant vient dans le Bronx deux fois par mois. Cynthia guette impatiemment l’arrivée du camion vert de la Traveling Library au coin de la Continental Avenue, car elle a déjà lu les deux livres qu’elle était autorisée à emprunter.

La petite Cynhtia ne vit que pour les livres. Alice au pays des Merveilles, Pinocchio, Tom Sawyer, The Lady of the Lake, Pollyanna… Un jour, elle tombe sur le mot « imposteur », qu’elle ne connait pas. Elle demande alors à son père de prouver qu’il n’est pas un « imposteur » en ouvrant la porte du coffre-fort de sa pharmacie, qui comporte une combinaison.

Sa mère achète le Saturday Evening Post, le Woman’s Home Companion, le Ladie’s Home Journal, mais lit aussi Raison et sentiments de Jane Austen. Cynthia dévore tous les magazines de sa mère. Son père est abonné au quotidien yiddish Der Tog et à la revue Drog Topics, mais achète aussi les romans d’Isaac Leibush Peretz et de Sholem Aleichem, Le Commis de Bernard Malamud.

Cynhtia fréquente l’école publique et le heder, l’école juive. Elle apprend à jouer aux échecs, et emprunte presque tous les romans de Charles Dickens, les contes de fée d’Oscar Wilde. Elle découvre Jane Eyre de Charlotte Brontë. Son oncle Morris lui offre trois volumes des pièces de Shakespeare, des voisines lui prêtent Swiwss Family Robinson du pasteur suisse alémanique Johann David Wyss. Elle lit et relit sans relâche Les Filles du docteur March. Cynthia commence à écrire des poèmes et des contes.

Son père lui dicte des lettres en yiddish à sa grand-mère, qui, comme tous les Juifs d’URSS, ne peut émigrer. Ses oncles et ses tantes mourront en URSS. Les Ozick économisent pour leur envoyer des colis. La petite Cynthia croit encore que ses parents sont éternels.

Deux ans avant la parution du Messie de Stockhom à Paris, Cynthia Ozick accepta un entretien avec Tom Teicholz pour la Paris Review, sous certaines conditions. Ne souhaitant pas que ses propos pussent être remaniés, déformés par son interlocuteur, elle proposa l’arrangement suivant : elle recevrait ce dernier à son domicile à New Rochelle, après avoir reçu ses questions. Elle y répondrait sur le champ, mais par écrit, sur sa machine à écrire, et lui les lirait. Elle lui expliqua que, contrairement à ce qu’on pouvait croire, un enregistrement n’était en aucun cas « la vie réelle ».

C’était seulement son texte qui serait publié, bien que l’ensemble de l’interview fût enregistré. Lorsque Teicholz lui soumit le texte, elle y ajouta ses commentaires, qui en doublèrent la longueur. Elle était globalement satisfaite du résultat.

Miss Ozick avait joué pleinement le jeu, en partageant un thé et des gâteaux.

On y apprend donc que la romancière écrit surtout la nuit, mais pas de façon rigide. Elle se lève tard. Elle lit ses nombreux messages, puis le Times en prenant son petit déjeuner. Elle répond scrupuleusement à son courrier.

Ses lectures sont liées à la nouvelle œuvre à naître. Elle cherche les matériaux dont elle a besoin pour « illuminer l’énigme ». Par exemple pour La Galaxie cannibale, le plan des rues de Paris. Des documents sur le quartier du Marais, la rue des Rosiers, le quartier juif ou Pletzl en yiddish. Pour Le Messie de Stockholm, elle achète des albums de photos sur la Suède, la famille royale, un dictionnaires anglais-suédois.

Après avoir quitté le Collège universitaire, Cynthia Ozick se lança dans un énorme roman « philosophique », bientôt abandonné. Elle voulait écrire des romans depuis qu’elle avait goûté aux livres. Elle commença un livre sur lequel elle ne travailla pas moins de sept ans, intitulé The Trust. Pendant qu’elle « perdait son temps » dans cette entreprise, elle commença un autre roman, rédigé en six semaines, et intitulé The Conversion of John Andesmall. Aucun agent ne l’accepta. Elle consacrait donc tout son temps à écrire, sans recevoir le moindre réconfort. Mais elle avait un allié indéfectible, son mari Bernard Hallote, qui était avocat, et soutenait totalement sa vocation. Elle ne faisait qu’écrire, le reste de la vie, dite ordinaire, ne l’intéressait pas. Quelle folle j’étais, dit-elle en yiddish : meshugas ! Elle publiait des nouvelles dans Esquire, The New Yorker, et trois recueils de nouvelles : Le Rabbi païen et autres nouvelles (1971), Blodshed and Three Novellas, Levitation (1976) : Five Fictions, en 1982. Elle a aussi publié plusieurs essais. Ses nouvelles ont été récompensées par plusieurs prix. Elle a en outre bénéficié d’une bourse de la Fondation Guggenheim.

Cynthia Ozick publie Trust, son premier livre, achevé le jour de l’assassinat du président John Kennedy au mois de novembre 1963, quand elle avait trente-huit ans. Elle venait d’accoucher d’une petite fille, Rachel, et relisait ses épreuves. Elle annotait son texte d’une main, et balançait le berceau de l’autre.

Quand Tom Teicholz lui demande ce que signifie pour elle le fait d’être juive, elle lui répond qu’elle appartient à une très ancienne civilisation. Mais, ajoute-t-elle : « Être écrivain est une chose, être juive en est une autre, et les associer en constitue une troisième. »

Si l’intervieweur tente cependant de la cerner, elle répond qu’elle se voit comme une sorte d’archéologue. Quand elle sort de son bureau, elle prend la couleur du temps, des lieux.

Un jour qu’elle séjournait en Italie, elle téléphona à son mari Bernard Hallote. Ce dernier lui annonça qu’elle avait reçu une lettre qui semblait importante. De retour à New Rochelle, elle posa la lettre devant elle, sur la table de la cuisine et la lut. On venait de lui décerner la Mildred Strauss Living Award. Elle se mit à pleurer longuement, se demandant si elle méritait réellement de recevoir cette prestigieuse récompense.