Sa réédition dans la nouvelle « Bibliothèque de l’Olivier », permet de (re)découvrir ce roman initiatique et plein d’humour du Prix Goncourt 2019.

Paul Peremülter est un écrivain de quarante-huit ans. Il a écrit 13 livres : « vingt-quatre centimètres de haut pour trois kilos quatre cent quatre-vingt-dix grammes de papier. Tels sont la taille et le poids de ce que les plus prétentieux appelleraient une œuvre et que pour ma part je considérerai toujours comme une pile ». Au début du roman, il s’aperçoit qu’en choisissant ce métier, il a fait fausse route et s’est même, « au fil du temps, obstiné dans l’erreur. J’en tire aujourd’hui ce simple enseignement personnel : un livre n’a jamais rendu meilleur. Ni celui qui l’écrit, ni celui qui le lit. Et cet autre plus général : nous nous épuisons à tenir des rôles à contre-emploi, à vivre dans des maisons trop grandes, à nous accoutumer de sentiments minuscules, à aimer par la force des choses, et si nos dents crissent dans le noir, c’est qu’elles ragent de voir ce que nous sommes devenus, ce à quoi nous avons peu à peu renoncé, au point de nous contenter d’écrire ce que jamais nous ne serons. » Les premiers chapitres dessinent ainsi un personnage en pleine crise, qui va tenter de la résoudre en quittant la France pour l’Amérique.

 

À la recherche d’un père trop mal connu

La mère de ce personnage désenchanté tenait une confiserie à Toulouse, tandis que son père était dentiste : « Aujourd’hui on dirait que ces deux-là, experts en dichotomie, travaillaient en synergie, les sinistres plombages paternels bouchant les cavités dentaires creusées par le foret des sucres maternels. Cette entente quasi illicite, cette association de malfaiteurs aurait pu durer toute une vie. » Ce bref commentaire est typique de l’humour qui baigne tout ce roman, acide et mélancolique à la fois, et sensible au langage de l’époque et à ses idiotismes. La mère est morte à l’été 76 « en bout de piste d’un aéro-club », et le père en 85, noyé « dans un lac au nord du Canada où, depuis [l]a naissance [du narrateur], il se rendait seul, deux fois par an pour pêcher le brochet. »

Arrivé à un tournant de sa vie, après avoir divorcé et enterré son chien, Paul se lance dans un voyage dans le Nouveau Monde, où il occupe différents emplois et fait de multiples rencontres, ce qui donne lieu à des pages douces-amères. Le chapitre « L’horreur » est ainsi consacré à deux monstres racistes rencontrés à Naples, en Floride, et selon qui « on ne [peut] se préserver de rien si on […] n’interdi[t] pas aux Noirs d’aller là où ils n’ont rien à faire ». Sur la terrasse où il partage leur repas, « pétrifié par la honte », le narrateur ajoute : « Je n’étais pas blanc. J’étais livide. » Paul se rend aussi au Canada, au bord du lac Flamand, où son père s’est noyé. Un ami de ce dernier lui a montré des enregistrements filmés où son fils a découvert qu’il avait une autre vie et même un autre enfant, Linda : « Scène d’intérieur. Un repas encore. D’anniversaire cette fois. On voit un gâteau avec huit bougies. La petite fille s’y prend à trois reprises pour les souffler. » Rencontrer cette petite fille devenue adulte, dans le dinner qu’elle dirige, sans lui dire qui il est, procure au narrateur un bonheur contagieux pour le lecteur.

 

Un univers et une écriture pleins de charme

Ce roman vaut aussi beaucoup par ses personnages secondaires : le beau-père de Paul, qui le prend pour un incapable, le couple qu’il rencontre au bord du lac, etc. Il est plein de réflexions improbables sur le monde comme il va, ou plutôt ne va pas, et le lecteur est pris sans cesse entre le rire et l’émotion, la découverte d’un monde qu’il ne connaît pas et la reconnaissance de sentiments universels qu’il retrouve en lui. Alors qu’il est employé en Colombie-Britannique pour montrer des baleines aux touristes, à côté de l’île de Victoria, le narrateur renverse la perspective pour le plus grand plaisir du lecteur : « Mes passagers étaient pour la plupart américains et japonais. Lorsque nous rejoignions les premiers cétacés, ils poussaient des cris, agitant leurs petits bras pour saluer les monstres. Les voyant ainsi se démener, engoncés dans leurs gilets de sauvetage vermillon, hirsutes et braillant dans le vent, clignant de l’œil dans le viseur de leur caméscope, il m’arrivait de me demander si les baleines ne s’étaient pas donné le mot pour fréquenter cette passe dans l’unique but de s’adonner à du “human watching”. Oui, chaque fois que je virais de bord pour rentrer au port […], j’avais le sentiment d’entendre les grands mammifères rire dans mon dos. » Mais il est aussi des passages moins riants, sur la sauvagerie des hommes, entre eux ou avec les animaux, et sur ce qu’il faut traverser pour devenir un homme.

 

Ce roman est très bien mis en valeur par la maquette de la très belle nouvelle collection de poche créée pour les 30 ans de cette maison d’édition et sobrement appelée « Bibliothèque de l’Olivier ». Lire un bon roman qui est aussi un bel objet à tenir entre ses mains constitue une sorte de plaisir au carré dont il serait dommage de se priver.