Ancien responsable communiste, Jean Marie Argelès est depuis devenu traducteur et historien. Il livre ici ses souvenirs.

Les mémoires d’« ex » se font rares. Jean-Marie Argelès a été le témoin et l’acteur de l’une des dernières crises majeures du PCF   : celle de la Fédération de Paris entre 1978 et 1980. Ses mémoires portent aussi sur la vie du PCF, à travers son ascension de jeune militant sportif jusqu'à sa démission du parti, en passant par sa participation à la revue Communisme ou son accession à la direction de la Fédération parisienne.

 

L’ascension d’un militant

Le témoignage de Jean-Marie Argelès constitue un éclairage sur le processus de sélection des militants au sein du PCF. Né en 1936 à Pontcharra, son enfance est marquée par la guerre, alors que son adolescence est empreinte de l’omniprésence du communisme dans cette ville ouvrière de l’Isère. Outre les prémisses de l’engagement, Jean-Marie Argelès raconte comment il est devenu sportif de haut niveau, spécialiste de demi-fond, discipline dans laquelle il a été en concurrence avec Michel Jazy. Il y explique grâce à plusieurs anecdotes amusantes comment il conciliait engagements sportif et militant. L’un est souvent en contraction avec l’autre, notamment lorsqu’il se blesse à une manifestation la veille d’une compétition. Parallèlement, il apprend l’allemand.

Sa socialisation politique passe par l’opposition à la guerre d’Algérie, qui a été particulièrement structurante dans les Jeunesses communistes. Ces mobilisations ont aussi permis d’éluder les crises de l’année 1956 : le XXe congrès, la Pologne et la Hongrie deviennent secondaires, jusqu’à avoir un effet repoussoir. Toutes les campagnes du Parti contre la guerre sont suivies. La tradition avait été lancée lors de la campagne pour Henri Martin et Raymonde Dien, les communistes arrêtés pendant la guerre d’Indochine. Elle est reprise notamment pour les « soldats du refus » : Alban Liechti, Maurice Audin, Henri Alleg… Il pointe aussi la solidarité et la sociabilité qui structurent le Parti, puis livre des explications passionnantes sur la contre-société communiste. Les militants ne se voient et ne vivent qu’entre eux, tissant des liens quasi indissolubles, ce qui explique aussi la difficulté des ruptures.

Ses études et son statut de sportif de haut niveau lui permettent d’échapper à l’Algérie. Il est assistant en Autriche puis à Bonn puis devient professeur d’allemand. Mais il est vite happé par l’appareil du Parti.

 

L’apparatchik et la crise

En 1963, Argèles devient alors selon son expression un « apparatchik » en banlieue rouge. Responsable de l’organisation dans le Val de Marne, ses mémoires ne témoignent pas d’un souvenir enthousiaste pour l’orthodoxe Fédération du Val de Marne. Nommé responsable aux intellectuels, il suit la création de l’Université de Vincennes. Avant de devenir permanent, il participe à plusieurs voyages d’études en République démocratique allemande. Il y effectue un double constat : l’accommodement d’une partie de la population pour survivre et la cécité des communistes, qui ne voulaient rien voir, sentiment renforcé à partir du moment où il fréquente les cercles du pouvoir. Après quelques années d’enseignement puis de travail de traducteur à l’INSEP, il est détaché et intégré à la légion des permanents. Il évoque également la violence dont le PCF, possédant alors un nombre de militants pléthorique, était capable d’utiliser contre l’extrême gauche. De même, le moralisme communiste était inspiré par une exaltation virilisée de l’ouvrier. La libération des mœurs et l’homosexualité sont bannies et taboues dans la majeure partie des structures communistes Les mémoires d’Argèles soulignent la glaciation du PCF depuis les années 1950. Il livre un certain nombre d’anecdotes terrifiantes qui viennent témoigner du décalage grandissant du parti avec la société.

Cependant, certains cadres du Parti comme Henri Fiszbin, l’ancien ouvrier devenu le secrétaire de la Fédération de Paris, sont favorables aux débats. Ce changement lui permet de rompre avec l’orthodoxie. Cette fédération, initialement poussée par Waldeck Rochet, a rompu avec le discours ouvriériste et cherche à s’implanter dans la région parisienne. La rupture entre la direction centrale et la direction locale est la conséquence de l’écart sociologique, politique et culturel. Si Argelès, Fiszbin et quelques autres sont exclus, la crise de la Fédération de Paris a montré que le PCF avait changé, à la fois dans sa structure sociale mais aussi dans les rapports entre militants. Les liens d’amitié sont plus forts que l’intérêt du Parti. Jusqu’aux années 1970, le départ ou l’exclusion du Parti engendrait la mise à l’écart complète de la contre-société communiste, quand il quitte le PCF, l’historien communiste prend contact avec Gilbert Badia. Ce dernier, encore membre du PCF, le prend en thèse et l’associe à son centre de recherche. Argèles quitte le Parti pour se lancer dans la recherche historique rédigeant une thèse importante sur le Parti communiste ouest-allemand entre 1945 et 1953. Ce travail participe de sa prise de conscience de la réalité du communisme.

 

Mémoire passionnant, sans concession vis-vis de lui-même, Jean-Marie Argelès refuse néanmoins de se couvrir « la tête de cendre », mais cherche à comprendre son passé, à l’expliquer et rappelle que cette « servitude » a été volontaire.