Ce premier roman enlevé sur un doctorant, sa famille déglinguée et la crise des gilets jaunes est aussi une chronique acide de la fin d’une jeunesse.

Anne Urbain, nous apprend la quatrième de couverture, « a publié sa thèse de doctorat sur la censure de la littérature érotique au XXe siècle. Professeure agrégée, elle enseigne les lettres au lycée et à l’université. » Elle a donc choisi un univers et un cursus qu’elle connaît bien pour imaginer, dans son premier roman, les affres d’Antoine Thérieux, aux prises avec la fin de sa thèse, qu’il songe dès l’incipit à abandonner : « Ou alors, y aller franco. Un bon octosyllabe, honnête, direct. Je-ne-vas-pas-fi-nir-ma-thèse. » Il se donne finalement l’été pour boucler sa troisième partie et envoyer l’ensemble le 31 août à son directeur de recherche. Mais c’est compter sans l’arrivée de son frère aîné, Dan, dans son appartement, et sans toutes les péripéties qu’elle entraîne.

 

Des chapitres courts et pleins d’humour

 

Les chapitres s’enchaînent sur un tempo rapide et plaisant, qui entraîne le lecteur dans la salle T de la Bibliothèque nationale, ce qui est assez attendu, mais aussi dans une île bretonne, en Corée, ou encore en route vers Londres : « Dans l’Eurostar […], il y avait ce petit Japonais qui se gavait de macarons à la framboise, bien roses, bien chers, la top marque. Hop, hop, hop : papa maman en écrasaient sévère depuis la gare du Nord, tandis que lui s’enfilait toute la boîte, tranquillement ventousé à son écran et à ses écouteurs. Ça n’avait pas loupé : juste avant l’arrivée à King’s Cross, le môme avait tout dégobillé. À peine brandi, le beau sac vert amande n’avait pas tardé à déborder d’une mixture fumante. Assis dans la diagonale du gosse, Antoine n’avait rien manqué du spectacle. Ce qui l’avait marqué, ce n’était pas le côté gore de la scène, ni sa figuration un peu pompier du naufrage néo-libéral, mais le contraste entre cet atroce bouillon qui n’en finissait pas de jaillir […] et les effluves incroyablement délicats qui, en quelques secondes, s’étaient répandus dans le wagon. Une odeur de foin et de sous-bois, quelque chose de sucré, de légèrement acide, comme de la rhubarbe. Une merveille. » Cette citation permet d’apprécierle sens de l’observation mis au service d’un certain art du détail et de la formule chez la primo-romancière, que l’on suit volontiers dans son goût (et ses dégoûts) pour des scènes fantaisistes, des prénoms inattendus (Marie-Sidonie !), et des citations improbables : « Il aurait bien voulu balancer un truc cash, juste pour se soulager comme dans un roman de Céline – Mais vous savez, Lola, le cancer, c’est héréditaire. »

 

Un regard ironique sur le monde de l’enseignement

 

Rien d’étonnant alors si cette ironie se met au service d’un regard sans pitié sur le monde de l’enseignement, secondaire ou supérieur. On retiendra notamment le développement savoureux sur tous les noms poétiques choisis pour les sites officiels où les impétrants enseignants-chercheurs doivent déposer leurs justificatifs et leurs dossiers de candidature. Parions qu’il saura aussi faire sourire ceux qui ne les ont jamais fréquentés… Parions aussi que l’autrice saura sortir d’une forme d’entre-soi, et donc de sa « zone de confort », pour reprendre une formule à la mode, et prendre le risque de romans plus amples, aptes à désorienter davantage ses lecteurs. Elle a déjà bien des atouts en main.