Le centenaire du PCF a entraîné une moisson éditoriale importante, poursuivant le débat sur l’existence d'un parti-frère de l'URSS en société démocratique.
L’anniversaire d’un parti est un événement majeur qui permet de mobiliser les militants et de les replonger dans l’histoire séculaire de leur courant. C’est encore plus le cas avec cet anniversaire particulier du Parti communiste français. Plus jeune que le PS et le parti radical, il n’en a pas moins marqué le champ politique et la mémoire de la gauche française. Sans être prophète, on peut néanmoins penser que ce centenaire est l’un des derniers anniversaires et prend aussi la forme d’un enterrement. Le PCF, tel qu’il a existé, est dans une phase terminale et connaît depuis la fin de l’URSS un inexorable déclin. Pour ce centenaire, plusieurs ouvrages rédigés par des historiens proches du PCF ont été publiés. S'agissant du centenaire du congrès de Tours, ils évoquent son histoire. Certains se focalisent sur son moment fondateur, quand d’autres proposent une nouvelle histoire du PCF. Le congrès de Tours a donné naissance à un nouveau parti devenu immédiatement un parti de type nouveau.
Tours, entre aurore et crépuscule
Le congrès de Tours est en soi un événement. Depuis Aux origines du communisme français, la thèse d’État d’Annie Kriegel publiée en 1964, toutes les études cherchent à répondre au schéma analytique majeur proposé par l’universitaire ou à le prolonger. Sa thèse repose sur l’idée d’une naissance accidentelle du communisme français, liée à une interprétation erronée du sens que lui donne l’Internationale communiste. La majorité des socialistes qui votent pour l’adhésion à Tours ne voient pas forcément le sens réel du bolchevisme. Cet accident historique permet la greffe du bolchevisme sur le socialisme.
Les promoteurs de l’exposition consacrée Aux alentours du congrès de Tours et coordinateurs de l’ouvrage éponyme, Véronique Fau-Vicenti, Frédérick Genevée et Eric Lafon, ont opté pour une démarche synthétique et pluraliste. Ils font appel à de nombreux chercheurs issus de plusieurs sensibilités historiographiques. Les différentes familles politiques de la gauche ont également été sollicitées.
Aux alentours du congrès de Tours vient aussi témoigner de la transformation totale du Musée d’histoire vivante depuis sa réouverture en 2002. Le Musée a été fondé en 1937 et patronné par l’un des principaux hiérarques du Parti, Jacques Duclos, pour célébrer les 150 ans de la Révolution française dans une logique stalinienne de réécriture de l’histoire. Il est aujourd’hui chargé de rassembler les collections de l’ensemble des organisations se réclamant du mouvement ouvrier, dans une logique œcuménique.
Pour le centenaire du PCF, le Musée a proposé une exposition autour du Congrès de Tours, ce moment fondateur du communisme français. Il est accompagné d’un ouvrage rassemblant des articles de vulgarisation sur les origines et les premiers pas du communisme français. Le livre Aux alentours du Congrès de Tours suit les évolutions politiques et sociales faisant de ce congrès un élément central mais pas unique. Les auteurs l’inscrivent dans un récit des origines, dans une postérité et dans des dimensions internationales. Il se fonde sur la reproduction d’une iconographie de qualité : reproduction de textes, brochures, photographies et extractions d’images de films. L’ouvrage commence par la figure centrale de Jaurès assassiné, dont personne ne peut dire quelle position il aurait pu adopter lors de la l’entrée en guerre. Faire commencer l’histoire du congrès de Tours à l’assassinat sous-entend que la guerre est à l’origine directe du communisme en France. La mort de Jaurès et la déclaration de guerre, au cours de l’été 1914, disloquent des pans entiers du socialisme et du syndicalisme. La majorité des militants rejoignent le front et quelques fois les cabinets ministériels, dont le parangon demeure Albert Thomas.
Désemparées, les minorités ont du mal à se rassembler pour s’opposer. Le catalogue présente ces groupes hétéroclites d’exilés russes, de syndicalistes, de libertaires et de socialistes, qui, jusqu’à l’armistice, tentent de combattre le bellicisme. Les illusions (la Révolution en Russie, la grève générale des cheminots) comme les désillusions successives (l’échec aux élections de 1919, l’échec de la grève générale) aboutissent au congrès de Tours, où les jeux sont faits avant même que le congrès n’ait commencé. Les Jeunesses socialistes ont donné le « la » de l’adhésion en rejoignant l’Internationale communiste des Jeunes quelques semaines auparavant. Les mandats pour le congrès font la part belle aux partisans de l’adhésion à l’Internationale communiste.
L’ouvrage insère une galerie de portraits de partisans de l’IC comme Loriot, Souvarine, Cachin, Frossard ainsi que de quelques opposants à l’image de Longuet et Blum. Aux alentours du Congrès de Tours présente les délégués et surtout le débat autour de la place de l’Internationale, soulignant le caractère passager et accidentel de l’adhésion, qui repose sur une interprétation erronée d’une partie des socialistes. Mais le congrès a bien permis la greffe du bolchevisme sur le socialisme. La scission de Tours participe à la construction d’un parti de type nouveau par la majorité des socialistes. Dès l’année suivante, les scissions se succèdent dans le mouvement syndical et dans le mouvement sportif, par exemple. Il ne s’agissait pas uniquement d’une question d’affrontements autour du passé des socialistes dans la Première Guerre mondiale, mais d’un projet plus vaste peut-être incompris par les participants du congrès de Tours.
L’essai de Jean Vigreux propose, pour sa part, une analyse et une relecture du congrès de Tours. Il engage un dialogue avec le travail pionnier d’Annie Kriegel, estimant que la simple thèse de la greffe ne permet qu’imparfaitement de rendre compte de la naissance du communisme. Il décline l’ouvrage en quatre grands thèmes sur le redéploiement de la SFIO, les participants au congrès, sa place dans le mouvement ouvrier mondial et sa mémoire. Il y adjoint plusieurs documents en annexe permettant de se référer aux textes fondateurs.
Avec justesse, Jean Vigreux rappelle que dans le cadre de la SFIO, les débats préparatoires au congrès ont parfaitement respecté les règles de la démocratie interne, du débat de tendance, et qu’une large majorité se dégage dans les assemblées. Il souligne les contradictions qui apparaissent entre les présents au congrès et les délégués dûment mandatés. Les choix ont été faits avant le congrès. Comme lors du congrès des Jeunesses, le rapport de force est exprimable selon la proportion du trois quart / un quart. Une des interrogations majeures soulevée par l’auteur est la question du poids du monde rural, dont le nombre et la place ont été surévalués, d’une part, et de la place des jeunes qui semblent jouer un rôle important, d’autre part.
Jean Vigreux replace également le congrès dans une perspective internationale. Il souligne la particularité du communisme français dans son fait majoritaire quasi unique – même si les PC tchécoslovaque ou américain sont aussi des séparations majoritaires. Il soulève enfin la question de la nature du communisme par rapport au socialisme traditionnel. La naissance du PCF repose sur l’ambiguïté initiale mais le terreau culturel reste commun aux différentes composantes de la gauche des bolcheviks les plus durs jusqu’aux socialistes les plus modérés.
Jean Vigreux interroge aussi la question de la greffe. Il ne s’agit pas ici de défendre la thèse d’Annie Kriegel mais l’accident interprétatif qui permet la naissance du PCF. La greffe, comme toute greffe, prend à partir de l’organe existant et c’est ce développement qui permet le parti de type nouveau. Dès lors, il n’est pas contradictoire de voir chez les congressistes le retour au message originel du socialisme et la naissance du communisme, puisque l’idéal d’émancipation puise ses origines dans les mêmes sources. Les exemples de l’antimilitarisme ou de l’anticléricalisme vifs dans tous les courants de la gauche viennent plutôt valider cette hypothèse. Il suffit pour s’en convaincre de relire la Guerre sociale pour l’antimilitarisme, la Calotte ou Les Corbeaux pour l’anticléricalisme, pour voir que le terreau est commun à toute la gauche, scission ou pas, et que le PCF, la SFIO ou les libertaires s’inscrivent aussi dans ces traditions. La greffe répond d’abord à un modèle d’organisation et elle n’empêche pas les phases d’union.
Enfin, Jean Vigreux rappelle à juste titre que, ce n’est qu’a posteriori que l’événement prend son sens. Il souligne en historien qu’il faut se garder d’une lecture rétrospective. La majorité des hommes de Tours n’avaient pas conscience de prendre part à la construction d’un parti de type nouveau. Tours ne constitue qu’une étape, la majorité de la SFIO ne devient communiste « statutairement » qu’entre les mois de mars et de mai 1921, après les premiers coups de semonce arrivés de Moscou. Même si c’est le symbole qui a toujours été célébré par le PCF.
Le goût de l’anniversaire
Comme le souligne l’ouvrage Aux alentours du congrès de Tours, l’anniversaire a toujours été central dans l’histoire du PCF. Depuis ses dix ans, le PCF fête son anniversaire décennalement dans une espèce d’autocélébration satisfaite. Elle a commencé en 1931 avec la publication d’un ouvrage d’André Ferrat (dont on trouve la couverture du reprint publié par les maoïstes de l’Union des jeunesses communistes), marxiste léniniste, dans le catalogue du musée. Dans cette première célébration au temps de la période classe contre classe, il y avait lieu d’exalter la nature prolétarienne et le caractère ouvrier du Parti.
En raison de l’Occupation, il n’y a pas eu de XXe anniversaire, même si la presse communiste a célébré le Parti. L’année 1950 est un anniversaire de Guerre froide. L’ouvrage signé par Jean Fréville, La nuit finit à Tours, encense la naissance de ce parti de classe. En 1960, la logique n’est pas encore à l’union de la gauche et le Parti demeure dans l’exaltation de sa création en affichant son caractère de classe.
C’est seulement à partir des années 1970 que la logique s’inverse. Le Parti socialiste ne fête que rarement Tours. Le discours de Blum, dont l’importance est surévaluée au regard du congrès, est surtout réutilisé pour sa portée prophétique quand la SFIO, puis le PS, jugent que la logique de l’unité de la gauche nécessite des rappels historiques, 1936 et 1971 principalement. Si le rêve perdu de l’unité de la gauche devient une ritournelle chez les militants, les deux appareils demeurent distincts et chacun a finalement sa sphère d’influence respective. Alors que le PS est parcimonieux, le PCF célèbre son anniversaire avec faste à chaque changement de décennie.
L’ouvrage dirigé par Guillaume Roubaud-Quashie s’inscrit dans la tradition des livres d’histoire et d’images publiés par le PCF depuis les années 1960, comme Photos d’identité publié par Claude Lecomte en 1990 pour les 70 ans du PCF. Le coordinateur est dirigeant du PCF et docteur en histoire, auteur d’une thèse sur les Jeunesses communistes en France de la Libération aux années 1970. L’approche se veut résolument chronologique : à chaque année correspond un fait saillant et une mise en perspective. Il a réuni un collectif d’historiens pour proposer une analyse autour de dates et de thèmes. Les auteurs rappellent l’organisation originelle du PCF, sa volonté de contrôle des organisations ouvrières, l’internationalisme prolétarien pratiqué lors de l’occupation de la Ruhr ou de la guerre du Rif, comme son anticolonialisme viscéral, la protestation contre l’exposition coloniale ou plus tard contre la guerre d’Indochine et d’Algérie pour preuve. Il n’oublie pas la dimension insurrectionnelle de la fin des années 1920 et du début des années 1930.
En revanche, la question des cadres et de l’appareil demeure peu, voire pas traitée. L’autocélébration entraîne quelque peu l’autoglorification et le lissage des aspérités. Il est vrai que pour son anniversaire le PCF n’est pas obligé d’être dans l’autocritique. Si les événements marquants sont évoqués, la question de la reparution de l’Humanité en 1940 est quelque peu simplifiée. De même, l’année 1956 laisse le lecteur surpris puisque l’analyse de L’Humanité titre en 1956 « Budapest a retrouvé le sourire » après l’entrée des chars soviétiques. Les auteurs mettent en avant les « pages de gloires » du PCF et de la représentation que le PCF se fait de ces événements.
Ainsi, il est beaucoup question des luttes de libérations nationales (Indochine et Algérie parmi d’autres) auxquelles, contrairement aux contre-légendes colportées par les trotskistes et une partie de l’extrême gauche, le PCF a beaucoup participé. En revanche, la question de la démocratie dans ces pays décolonisés n’est guère abordée. On trouve peu de traces des camps au Vietnam, des boat people ou de l’analyse que le PCF fait des khmers rouges.
Les articles sur la Libération et des débuts de la Guerre froide laissent aussi le lecteur circonspect. Il n’est pas question de la stratégie du PCF pour prendre le pouvoir, ni des entretiens avec les dirigeants soviétiques entre 1944 et 1947. La présentation de la crise sociale au cours de l’autonome 1947 laisse aussi dubitatif : « Ce mouvement social [les grèves de novembre décembre 1947] conduit à la scission du mouvement syndical entre la CGT et sa minorité Force ouvrière » , alors que la première conférence de Force ouvrière, qui doit aboutir à la scission, a lieu avant le début des grèves. Malgré ces remarques, l’ouvrage marque une évolution dans la manière dont le PCF écrit son histoire, pour laisser la place à une analyse sereine du passé, comme le montrent les articles sur les relations avec la Chine, l’antisémitisme ou les crises du PCF des années 1970. Les 100 ans de Parti communiste français, dirigé par Guillaume Roubaud-Quashie, offre par ailleurs un travail richement illustré qui pousse au débat, à la confrontation et à la controverse, soulignant la place spécifique et particulière du Parti.
Un parti de type nouveau
L’ouvrage de Roger Martelli, Jean Vigreux et Serge Wolikow, Le Parti rouge et celui de Julian Mischi, Le Parti des communistes, évoque la nouveauté qu’a représenté le PCF, ainsi que l’impact de la Révolution russe, puis de l’Internationale. Ces ouvrages renvoient à la question de la greffe, puisque c’est l’Internationale qui décide et impulse les principales modifications et inflexions. Elle a permis au Parti de prendre la forme en place de 1920 à 1991. Les liens indissolubles ont porté le PCF, d’abord comme section française de l’Internationale communiste de 1920 à 1943, puis comme membre du bureau d’information des partis communistes et ouvriers entre 1947 et 1956, et enfin comme partie intégrante du système communiste mondial, des origines jusqu'à l’implosion du système en 1991.
Cette vision du politique a fabriqué des hommes d’acier, forgés lors des différentes étapes de l’histoire du PCF. De la mise au pas des éléments « bourgeois » jusqu’à la phase insurrectionnelle, ces aspects sont centraux dans son histoire. Il met en application les principes léninistes du Parti et de l’avant garde. L’armature du Parti se compose d’abord de révolutionnaires professionnels (les permanents et l’appareil). Ce noyau dur et insubmersible, adhérant au tout début des années 1920, reste aux commandes jusqu’aux années 1960 sans renouvellement majeur, exceptés les cooptés parce que passés à travers les étapes de la construction militante.
Cette question de la nature du communisme renvoie à celle de l’appareil et au poids de l’URSS dans le fonctionnement du communisme. Une double analyse a longtemps prévalu oscillant entre deux pôles : téléologique et sociétal. Le premier renvoyant surtout à l’étude de l’appareil et du but alors que le second insiste davantage sur les interactions entre communisme et société. L’ouverture très partielle, il y a presque trente ans, des archives du Komintern (la majeure partie des archives diplomatiques soviétiques, comme celles des services de sécurité ou celles de Staline demeurent fermées) a obligé à réécrire à partir de ses matériaux partiellement l’histoire fusionnant les deux approches. C’est dans cette optique que se place le Parti rouge, le travail de synthèse de Roger Martelli, Jean Vigreux et Serge Wolikow. Ils cherchent à dépasser l’opposition entre lecture totalitaire et lecture communiste du phénomène. Ils cherchent à montrer que les déterminations (configuration des classes, contraintes des appareils, le poids et le contrôle de l’internationale) ne sont pas une fatalité et choisissent de conjuguer l’étude des structures et des hommes. Alors que le livre de Julian Mischi s’intéresse davantage aux hommes qui ont fait le communisme. Dans les deux livres, les structures temporelles se recoupent, sans se superposer complètement, les découpages chronologiques ne sont pas totalement analogues. Mais surtout le Parti rouge met en avant le Parti comme institution et comme forme d’organisation. Reprenant plusieurs de leurs travaux, les auteurs livrent des chiffres et des graphiques en annexes sur l’implantation et le vote communistes, comme sur les effectifs et sa composition sociologique du PCF qui est passé d’un parti prolétarien, pendant les années 1920-1930, et relativement jeune à un parti vieillissant et de cadres technicisés dans les années 1980, reflétant en cela les mutations d’une partie de la société française. Ils soulignent par ailleurs l’influence, puis le rôle de l’archipel communiste et du communisme municipal. Les îlots municipaux sont en contraction. Ils témoignent de l’ampleur de sa réalité du phénomène communiste à l’apogée du PCF. Il avait plus de 2000 villes en 1945, en contrôlait 1500 en 1977, puis l’effondrement se poursuit depuis 1983.
Les auteurs reviennent sur l’ensemble des éléments qui composent cette histoire. Ils évoquent après le congrès de Tours, selon une expression reprise au livre de Stéphane Courtois, sur la construction d’un Bolchevisme à la française et la création de ce noyau stable de direction, qui émerge après plusieurs crises. La direction a été remplacée au moins partiellement à cinq reprises en l’espace de huit ans. C’est un des grands paradoxes du PCF. Alors qu’il est à son étiage, il arrive à faire émerger un noyau stable avec un groupe de choc composé de Maurice Thorez, Jacques Duclos, Benoît Frachon, Raymond Guyot, conseillés dans l’ombre par Eugen Fried. La deuxième phase est la construction du parti de masse. Les structures existent. Il n’y a qu’à les accueillir en adaptant le discours du Parti et en accolant le tricolore au rouge. C’est là qu’un des points de divergence intervient quant à l’analyse. Un exemple est révélateur, l’absence de Maurice Tréand dans les personnalités du Parti, alors qu’il a été le responsable aux cadres entre 1932 et 1940. S’il est mentionné pour avoir tenté de faire reparaître l’Humanité en 1940, son rôle dans la structuration de l’appareil disparaît. On peut penser de manière plus générale que la politique de sélection et d’organisation d’un genre nouveau a permis au parti de tenir même et y compris dans la tempête de la Seconde Guerre mondiale. Le deuxième aspect, toujours relatif à cette question, est la capacité de cet appareil à être omniprésent, grâce aussi au soutien financier indéfectible de l’IC. Deux autres questions substantielles sur la ligne du parti existent. D’abord, celle de l’élimination des opposants, aucun des auteurs évoqués n’a songé à remettre en question l’action du PCF dans la Résistance mais il s’agit bien de rendre compte de l’intégralité de l’action du Parti. De même, la question de la prise du pouvoir dans la Résistance et surtout à la libération ne peut être considérée comme inexistant. Les entretiens entre Joseph Staline et Maurice Thorez, entre 1944 et 1947, montrent au contraire que les conditions de la prise de pouvoir n’ont pas été réunies en dépit d’une volonté inverse.
Au delà de ces points de divergence réels qui traduisent encore aujourd’hui des schémas interprétatifs contradictoires sur des aspects importants de l’histoire et de la vision du communisme. L’ouvrage produit une analyse du PCF en montrant son inscription dans la société française, devenant le porte parole du monde ouvrier et plus largement des couches populaires. Cet alliage particulier incarne le stalinisme aux couleurs de la France alliant ordre moral et contre-société syndicale, associative, municipale et construisant un parti discipliné, régulièrement secoué par des affaires d’épurations internes bien synthétisées : Marty-Tillon, Lecœur, Servin-Casanova. Mais aussi un parti qui sait s’inspirer des affaires du temps. Les auteurs soulignent la place trop souvent oubliée du PCF contre la guerre d’Algérie ou les erreurs de lecture des rapports de force à gauche à partir de 1972. Le décalage, un temps rattrapé dans les années 1970, est grandissant, sur le plan sociétal comme sur le plan international.
Le PCF a voulu à la fois incarner son centre (la classe ouvrière et le monde paysan) et ses marges. C’est un des aspects centraux de l’histoire du PCF telle que la développe Julian Mischi. Il souhaite montrer qu’une des clefs de la réussite du PCF a été sa capacité à organiser la représentation du monde du travail et à promouvoir socialement les catégories populaires. Classiquement, il fait remonter la naissance du PCF à la Première Guerre mondiale et aux oppositions à l’Union sacrée. La prise du pouvoir par les bolcheviques et l’attraction de la Russie rouge favorisent sa naissance fusionnant les héritages révolutionnaires dans une nouveauté bolchevique. Classiquement après Tours, les communistes connaissent la bolchévisation. Elle entraine l’ouvriérisation et la prolétarisation des cadres du jeune parti par un phénomène d’épuration successive des éléments non soumis à l’autorité de l’Internationale. Les émissaires de l’IC, venus en France, font appliquer cette ligne. L’argument social sert le plus souvent à justifier la mise à l’écart, alors que le plus souvent il s’agit d’une soumission à l’autorité, définie par l’IC.
Le PCF sort des logiques de recrutement qui ont prévalu dans les organisations ouvrières jusqu’alors, faites d’adhésions et d’engagements spontanés. Le processus de sélection repose alors sur l’homogénéisation des profils mais surtout des idées, contrairement à l’héritage de toutes les organisations ouvrières. La stalinisation de l’appareil n’est qu’une amplification du phénomène. Le parti devient un moyen de promotion et de valorisation des cadres issus du monde ouvrier dotés d’un goût pour la scolarité. Pour passer du noyau stalinien au parti de masse, le PCF a dû se convertir à la nation et à l’héritage républicain. C’est l’une des clefs du succès du PCF : avoir su réconcilier les héritages et s’adapter à une logique conservatrice. Le succès aux élections municipales de 1935, puis les progrès aux législatives de 1936 en sont une preuve.
On pourrait aussi voir la conversion du PCF au conservatisme sociétal dans une autre optique, qui repose sur la volonté de conquête du pouvoir selon une stratégie élaborée sur le long terme. Le contrôle s’exerçant sur les militants – politique, social et surtout d’édiction d’une norme morale, comme on peut le voir à travers les listes noires des militants exclus – favorise l’essor d’un parti monolithe entrant en phase avec la société industrielle des années 1930 aux années 1970. La parenthèse du Pacte nazi-communiste et de la tentative de reparution de l’Humanité refermé, le Parti reprend, avec une dimension sacrificielle rappelant la puissance individuelle de l’engagement communiste, sa marche vers la conquête de secteurs clefs de la société. Le stalinisme aux couleurs de la France permet la réactualisation des processus de promotions sociales offerts par le PCF. Julian Mischi souligne à juste titre que les cadres qui émergent dans les années 1950 sont ceux qui ont subi la répression et la mise à l’écart du monde du travail. L’opération n’est pas renouvelée de manière analogue dans les années 1970. Il se retrouve plus au niveau national qu’au niveau local, les Fédérations se font davantage le reflet des mutations sociales du Parti et la crise de la Fédération de Paris en 1978-1979 en est pour le PCF la conséquence cruelle. Mais surtout le parti est touché par un phénomène de déliquescence liée à son attachement à l’URSS.
L’image du PCF a été corrélée à celle de l’URSS, son déclin y est totalement associé. Le PCF aujourd’hui n’est plus que le produit de cette lente décomposition, ressemblant à ce canard qui continue à courir dans tous les sens sans sa tête. Si les ouvrages évoquent en filigrane le lien avec l’URSS, les auteurs souhaitent surtout mettre en avant le lien entre communisme et société française. Les auteurs du Parti rouge constatent que ce déclin s’accélère au fil du temps, posant la question du rôle de l’URSS dans le naufrage actuel du PCF. Ils soulignent que l’empreinte communiste a peut-être plus qu’ailleurs protégé l’État social prolongeant le fil tendu depuis la Révolution française. Mais, on serait tenté d’ajouter que cette protection a aussi fonctionné parce que la SFIO, puis le PS l’autre force centrale de la gauche se sont toujours portées garantes des libertés. Il serait aussi possible d’inverser complètement le questionnement et de dire que le communisme réel a été un obstacle à des politiques d’émancipation plus ambitieuses tellement le socialisme réel représentait l’exact contraire de l’émancipation. Dans un registre quelque peu différent, le livre coordonné par Guillaume Roubaud-Quashie aborde un autre problème de fond. Il consacre une notice à 1997 : Livre noir du communisme dressant le bilan humain du communisme. L’auteur de la notice évacue la question en expliquant qu’il s’agit d’une entreprise anticommuniste, sans fondement scientifique. Ironiquement, il serait possible alors de demander si le chanteur communiste Jean Ferrat dans « Le Bilan » participait de cette entreprise anticommuniste : « et ces millions de morts qui forment le passif. C’est à eux qu’il faudrait demander leur avis ». Un argument analogue est développé par Julian Mischi dans le Parti des communistes. Il explique que parler de la dimension criminelle du communisme « n’aide pas à comprendre » que le communisme soit un « idéal toujours sources d’espoir ».
Ces arguments relèvent de la vision idéologique et militante inversant les critères de l’analyse. Il est tout simplement possible d’expliquer que les communistes ont pu approuver, soutenir et même défendre ces régimes criminogènes, au motif, selon l’adage populaire, « qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs » – même si peu ont goûté à l’omelette ajoutait le vieux dissident Vladimir Boukovski. Un discours émancipateur peut parfaitement s’articuler à une pratique totalitaire, individuelle ou collective – et pas uniquement dans les rangs communistes – les justifications de la terreur par les communistes à chacune des étapes de l’histoire du phénomène ont même renforcé le Parti. A moins d’avoir une vision angélique de la vie militante, la passion de l’égalité peut parfaitement être aussi mortifère, c’est peut-être le drame du communisme mais c’est ce qui rend son analyse passionnante et complexe.