Auteur d’une série de livres de psychanalyse sur des thèmes quotidiens (argent, faits divers, grands-parents...), P. Avrane consacre son dernier ouvrage aux significations inconscientes des maisons.

Paru à la sortie du premier confinement, en mai 2020, Maisons, Quand l’inconscient habite les lieux, aurait pu être un ouvrage de circonstances. L’Avant-Propos établit bien le lien entre le sujet et l’actualité, mais si les maisons intéressent l’auteur, c’est à un autre titre. Elles sont pour lui à la fois une construction imaginaire, dotée d’une signification inconsciente, et un élément de la réalité extérieure.

Petite Histoire des maisons

Un petit détour par l’histoire nous introduit immédiatement dans Histoire de l’habitation humaine (1875) de Viollet-le-Duc. L’architecte du XIXe siècle distingue deux types d’espace dans les maisons : des espaces dédiés aux rencontres - en contact avec l’extérieur - et des espaces réservés à l’intimité - familiale ou individuelle. Pour P. Avrane, ce que Viollet-le-Duc ne voyait pas, c’est que cette séparation était un phénomène contemporain du XIXe siècle. L’évolution du plan des maisons a accompagné les changements des mœurs.

L’apparition de la sphère privée à la fin du XVIIIe siècle, notamment, s’est traduite par une réorganisation de l’espace des maisons. Les habitations antérieures ont dû être profondément remaniées pour répondre aux attentes du XIXe siècle et introduire cette distinction – qui nous apparait évidente aujourd’hui - entre des secteurs dédiés aux relations extérieures et des secteurs intimes. Plus tard, les chambres d’enfants feront leur apparition. Plus tard encore, les pièces en enfilade laisseront place à des chambres ouvertes sur des couloirs. Cette transformation de l’architecture intérieure est contemporaine du grand mouvement de refoulement du XIXe siècle, toujours selon Patrick Avrane.

La relativité historique de l’organisation des maisons étant posée, Patrick Avrane nous invite à explorer leur signification inconsciente sous quatre angles : pour leur valeur de refuge, pour l’association que chacun fait avec son propre schéma corporel, pour l’espace de familiarité qu’elles constituent, et enfin pour la nécessité qu’elles impliquent d’en partager le lieu et d’y vivre ensemble.

Un refuge contre le sentiment de détresse

La dimension inconsciente de refuge s’éprouve particulièrement quand la maison s’effondre. Dans la première partie de Robinson Crusoé, un tremblement de terre détruit la grotte que le héros vient de construire en arrivant sur l’île. Le sentiment de détresse de Robinson correspond à ce que décrivent les analysants qui ont vécu des tremblements de terre ou des incendies. Cette impuissance est celle que Freud avait déjà identifiée : c’est la Hilflosigkeit qu’éprouve le nourrisson, entièrement dépendant de l’autre secourable.

Dans nos rêves, dans les dessins d’enfants, la maison représente souvent le corps. Plus précisément, elle incarne la façon dont nous vivons avec lui et l’imaginaire que nous en avons. Elle restitue ce que Françoise Dolto nomme le « schéma corporel », par opposition au corps biologique. D’où la difficulté de bien des habitants à se sentir chez eux dans des lieux rationnels, visant une forme de perfection, comme ceux que Le Corbusier a pu concevoir. En réalité, la maison sur laquelle nous projetons notre schéma corporel hérite de ce que Donald Winnicott a appelé l’espace transitionnel. Les objets, les paroles, les chansons dont l’enfant a été entouré donnent le sentiment de la présence de la personne aimée. Patrick Avrane ajoute désormais la maison à cette série d’objets transitionnels qui permettent d’être seul sans se sentir esseulé. Vermeer serait le peintre de la maison comme espace transitionnel, et la fascination de Proust pour ce peintre témoignerait de la familiarité et de la sécurité que peuvent inspirer ces tableaux d’intérieur.

L’espace de la maisonnée

Mais la maison est aussi le lieu qui accueille la maisonnée. Plusieurs personnes doivent pouvoir y cohabiter tout en se sentant chez elles. Plus encore, c’est un espace où il ne s’agit pas seulement de cohabiter, mais de vivre ensemble. La maison met à l’épreuve l’acceptation des idéaux et du narcissisme des autres, comme l’a montré a contrario la nouvelle de Georges Simenon Le Chat, adaptée à l’écran par Pierre Granier-Deferre. La maison elle-même peut véhiculer une série d’attentes transmises de génération en génération et finir par les incarner elle-même. C’est donc aussi avec la maison qu’il convient de cohabiter.

L’imaginaire collectif de la maison

Pour nous guider dans la visite des représentations imaginaires de maisons, Patrick Avrane s’outille de trois concepts : la trilogie freudienne du moi/idéal du moi/surmoi, l’espace transitionnel de Donald Winnicott et le schéma corporel de Françoise Dolto. À partir de là, il nous invite à une déambulation parmi des représentations picturales, littéraires et cinématographiques de maisons. Un long chapitre est consacré aux maisons de Freud et à son cabinet, attenant au 19 rue Bergrasse. Aux évocations des peintures de Vermeer, d’Edward Hopper, et de Magritte (La Géante, notamment), succèdent des développements sur l’œuvre de la romancière Daphnée du Maurier, auteur du roman Rebecca adapté au cinéma par Hitchcock. Plus loin, Patrick Avrane s’attache à éclairer les divergences entre Émile Zola et le comte Barbey d’Aurevilly à partir de leurs façons - diamétralement opposées - d’habiter les lieux. L’un est occupé par un imaginaire de la maison généalogique, quand l’autre faire bâtir une maison, métonymie d’une vie qu’il construit.

Quelques patients font des entrées discrètes dans l’ouvrage : Hiltrude passe la tête pour comparer le cabinet de l’auteur à celui de Freud. L’auteur pourtant est de ceux qui privilégient la formule du cabinet de psychanalyste personnalisé. Dans le même esprit, Patrick Avrane ne renonce pas à faire état de ses propres idéaux, et ses préférences sont perceptibles quand il évoque les deux maisons, les deux ambiances entre lesquelles un de ses patients a passé son enfance : « joyeuse pagaille » d’un côté, vie réglée de l’autre. L’idéal de la maison selon Patrick Avrane est celle d’une cohabitation où la règle serait : « Fais ce qu’il te plaît, dans les limites de l’acceptable ».

Une psychanalyse des maisons en miniature

Une telle déambulation fait-elle encore œuvre de psychanalyse ? L’ouvrage abrite un bric-à-brac de références, parfois connues, parfois surprenantes, pour le plus grand plaisir du lecteur. Mais la restitution de ces œuvres et des épisodes biographiques associés aide-t-elle à penser, permet-elle de mieux méditer ? Ce n’est pas évident. Dans son épilogue, l’auteur termine sa déambulation par une description des maisons miniatures de Frances Glessner, une riche héritière américaine qui joua un rôle important dans la rationalisation des méthodes de la médecine légiste. Les maquettes de maisons conçues par Frances Glessner ne négligent aucun détail : les tiroirs peuvent s’ouvrir, les serrures fonctionnent, les boîtes de conserve portent des étiquettes, la cuisine compte un grille-pain, un torchon plié. Jusqu’à quel point ce luxe de détails aura-t-il permis de définir les techniques légistes ? Ne sont-elles pas surtout là pour le plaisir des spectateurs ? À moins que ce ne soit vers celui de l’auteur ?

Ces questions soulevées par l’œuvre de Frances Glessner trouvent leur pendant dans celles que pose le petit ouvrage de Patrick Avrane. Les longs résumés et les références hétéroclites de Patrick Avrane se veulent être des supports de réflexion, mais cette promenade finit par apparaitre comme une fin en soi, illustrant plutôt que théorisant la signification imaginaire des maisons.