Alors que l'élection américaine oppose deux modèles de rapport au monde, il semble essentiel de replacer cette dialectique dans une dimension historique comme le propose l'historienne Maya Kandel.

Maya Kandel* revient sur la puissance des États-Unis au XXIe siècle. Cette puissance demeure difficilement contestable avec un budget militaire de plus de 700 milliards de dollars, le rôle des entreprises de nouvelles technologies symbolisées par les GAFAM et un soft power certain. À la veille de l’élection présidentielle, où en est la puissance américaine et comment les années Trump ont redéfini la relation de Washington au monde ?

 

Nonfiction.fr : Les manuels du secondaire et du supérieur ont longtemps étudié la politique étrangère des États-Unis selon une opposition quelque peu manichéenne entre interventionnisme et isolationnisme. Vous nuancez ce dernier terme et préférez ceux de neutralisme ou encore d’unilatéralisme. Pourquoi ?

Maya Kandel : C’est avant tout une question de définition et de perspective historique. Dans mon livre, je voulais réexaminer l’histoire du rapport au monde des États-Unis depuis la naissance du pays, avec une attention particulière au lien entre actions extérieures et évolutions internes. Dans cette perspective, ce que l’on appelle l’isolationnisme des États-Unis jusqu’à la fin du XIXe siècle revient d’une part à considérer l’expansion continentale comme de la politique intérieure, et d’autre part à ignorer le fait que les États-Unis sont une nation commerciale dès l’origine, avec une Marine qui protège les routes maritimes et s’engage dans des guerres pour les défendre contre la piraterie notamment dès les premières années de la fondation du pays (« guerres barbaresques » de 1801-1805, auxquelles fait toujours référence le chant des Marines qui évoque les « rives de Tripoli »).

Cette lecture découle aussi d’une vision « classique » de la politique étrangère américaine que j’ai voulu remettre en perspective car elle résulte d’une réécriture délibérée de l’histoire du pays par la génération des années 1950, afin de défendre la politique extérieure de la guerre froide et de construire un soutien de l’opinion à la nouvelle posture internationale adoptée alors, une stratégie en rupture complète, sur certains points, avec l’histoire antérieure des États-Unis. Cette construction influence encore la vision de la politique étrangère américaine, que ce soit par les observateurs extérieurs ou par les Américains eux-mêmes, alors qu’elle repose sur la fabrication consciente de mythes sur la relation américaine au monde, et sur l’identité du pays, lectures largement remises en question par l’historiographie récente, si ce n’est encore la science politique. En réalité, les États-Unis n’ont quasiment jamais été totalement isolationnistes, en dehors de quelques périodes très restreintes de leur histoire. Et tous les présidents américains, de George Washington à Donald Trump, ont envoyé des soldats combattre à l’étranger. Mais l’erreur majeure la plus répétée est sans doute de voir toute la thématique de la conquête de l’Ouest et de la frontière traitée comme de la politique intérieure – sauf à défendre l’idée que l’acquisition de nouveaux territoires appartenant à d’autres pays ou peuples serait de la politique intérieure. En réalité, l’expansion du XIXe siècle est de la politique extérieure et participe d’un continuum depuis la fondation du pays, que l’on peut résumer par l’ambition déjà exprimée par George Washington : la construction d’une grande puissance.

 

Peut-on considérer que l’unilatéralisme constitue la constante de la politique étrangère des États-Unis ?

S’il y a une idée forte que l’on peut extraire du Discours d’adieu de George Washington de 1796, considéré toujours comme l’un des textes fondateurs de la politique étrangère américaine, c’est bien cette notion d’unilatéralisme. L’idée est qu’il est impératif pour le jeune État de protéger son expérience politique unique au monde en ne laissant pas d’autres puissances s’ingérer dans ses affaires. La liberté d’action des États-Unis doit être préservée à tout prix, et à une époque où le différentiel de puissance n’est évidemment pas à l’avantage de la nouvelle nation. Cette notion d’unilatéralisme doit être reliée avec un autre concept fondamental, celui d’exceptionnalisme. Qu’il s’agisse du puritain John Winthrop (1588-1649) parlant de la terre américaine comme d’une « cité sur la colline », du pasteur Ezra Stiles (1727-1795) pour qui les États-Unis sont une « terre promise », ou encore du philosophe Thomas Paine (1737-1809) qui défend l’idée que la fondation de ce pays constitue un nouveau commencement pour le monde, l’histoire des États-Unis est indissociable de cette conviction des Américains d’être à part.

La compréhension de l’exceptionnalisme varie cela dit selon les époques. Cela a une influence directe sur la politique étrangère. S’opposent, pour simplifier, un exceptionnalisme de l’exemple et un exceptionnalisme messianique. Le premier veut avant tout préserver l’expérience américaine, quitte à s’isoler relativement des affaires du monde. Le second, qui s’affirme surtout au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et va être repris pour être sacralisé par les républicains après la guerre du Vietnam, repose sur la conviction que le pays à une « mission », celle de guider le monde vers la paix et la prospérité globales, du fait de la supériorité de son système politique et économique. Obama a cherché à revenir à la conception première, tandis que Trump s’est d’abord totalement affranchi de cette notion.

Nonfiction.fr : Dans votre ouvrage   , vous évoquez une « vocation messianique » à l’image de Wilson qui avec ses Quatorze Points aspirait à créer une paix durable mais aussi à changer le comportement d’autres pays. Cet aspect revient régulièrement chez certains présidents. Vous écrivez aussi que le début de la présidence de Donald Trump semble consacrer la fin du « siècle américain ». Quel est ce « siècle » ?

Le terme vient d’un éditorial de Henry Luce dans le magazine Life, en février 1941. Alors que les États-Unis ne sont pas encore entrés en guerre, il les appelle à faire du XXe siècle un « siècle américain » en créant un environnement international favorable à la paix et à la prospérité par la diffusion du modèle politique et économique des Etats-Unis : il s’agit d’une position intellectuelle frappée par les horreurs de la Première Guerre mondiale, et horrifiée par les débuts d’une Seconde Guerre mondiale, à nouveau en Europe. Depuis le début du XXe siècle, les États-Unis étaient sans doute la première puissance économique, mais avaient refusé dans les années 1920 et 1930 d’assumer des responsabilités mondiales à la mesure de leur puissance économique : or Luce et ses contemporains sont convaincus qu’une politique étrangère américaine plus interventionniste dans les années 1920 et 1930 aurait pu empêcher la Seconde Guerre mondiale.

Le siècle américain renvoie donc à la période qui s’ouvre à la fin de la guerre, marquée par une nouvelle politique étrangère américaine. Cette politique va s’appuyer sur les institutions internationales créées alors sous impulsion américaine, ONU, Banque mondiale, FMI, mais aussi sur un quadrillage militaire proprement impérial : après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis conservent les commandements militaires combattants qui couvrent toute la planète. Surtout, pour la première fois de leur histoire, ils ne démobilisent pas leurs forces armées après la guerre de Corée (1950). Le Congrès américain, qui jouait, en accord avec la Constitution, un rôle crucial en politique étrangère, abandonne ses prérogatives en la matière. Pour en savoir plus, je conseille la lecture de l’ouvrage essentiel de mon directeur de thèse, Pierre Mélandri, Le siècle américain, une histoire.

 

Nous associons George W. Bush à la guerre en Irak de 2003, Obama à la mort de Ben Laden et le « retrait » des troupes d’Irak. Que retiendrez-vous de la politique étrangère de Donald Trump ?

Il est évidemment trop tôt pour faire un bilan, mais aujourd’hui on peut déjà retenir la poursuite de deux tendances lourdes engagées sous Obama : désengagement du Moyen-Orient, et pivot vers l’Asie-Pacifique et en particulier la Chine. Au-delà, il faut comprendre que Trump a voulu transformer la politique étrangère américaine, et cette volonté de redéfinition du rapport américain au monde était au cœur de ses promesses de campagne. Quatre ans plus tard, il semble que le changement de paradigme ait bien eu lieu : la compétition stratégique et plus précisément la rivalité « systémique » avec la Chine a remplacé la lutte contre le terrorisme comme finalité première de la politique étrangère ; la page de l’extension des démocraties de marché est tournée. Sa présidence consacre le rejet du principe directeur de la politique étrangère américaine de l’après-guerre froide, selon lequel l’inclusion des rivaux dans le système international allait en faire des « partenaires responsables » des Etats-Unis : les documents stratégiques de l’administration Trump s’ouvrent sur le constat d’échec de cette politique. En remettant en question le multilatéralisme et ses institutions, l’Amérique de Trump semble se muer elle-même en « partenaire irresponsable » rejetant cet ordre international qu’elle avait jusque-là garanti, et rejetant ainsi le wilsonisme qui en était la philosophie d’origine (mise en œuvre par Franklin Delanoe Roosevelt après la fin de la Seconde Guerre mondiale).

Au-delà, la présidence Trump représente aussi un moment spécifique pour la politique étrangère américaine, dont elle cristallise une double crise : crise interne, car la politique étrangère n’est plus soutenue par le peuple américain, et en particulier les classes moyennes et populaires ; crise externe, qui est à la fois une crise de moyens, de crédibilité et de légitimité de la politique étrangère, liée au déclin relatif de la puissance et de la capacité d’influence des Etats-Unis. Cette crise est en germes depuis la fin de la guerre froide, et il faut ici rappeler que le slogan America First, qui date de la fin des années 1930, était déjà réapparu en 1992 avec la candidature de Pat Buchanan, considéré comme le père spirituel du trumpisme. Mais Trump, arrivant après Bush et Obama, porte en quelque sorte le processus à maturation. Et la première chose qu’il faut lui reconnaître est bien d’avoir provoqué aux Etats-Unis le plus large débat sur les objectifs, les moyens et la finalité de la politique étrangère depuis des décennies – là où Obama, dont c’était également l’ambition, n’y était pas parvenu. On se demandait en 2016 si la « retenue stratégique » d’Obama, sa volonté de désengagement et de renouvellement du leadership américain marquait une exception, un simple rééquilibrage après la surexpansion des années Bush, ou une nouvelle tendance de la politique étrangère américaine : avec Trump venant après Obama, on a la confirmation qu’il y a une tendance lourde à l’œuvre.

 

Pour autant, comme vous le rappelez si bien, le Congrès joue un rôle essentiel dans la politique étrangère et paraît moins interventionniste que les présidents. Reflète-t-il l’opinion publique sur ce point ?

A l’exception de la guerre de 1898 contre l’Espagne, le Congrès a toujours été moins interventionniste que les présidents, reflétant en effet l’opinion publique. Le rejet aujourd’hui des « guerres sans fin » vient avant tout de la pression d’une opinion publique fatiguée par vingt ans de guerres sans succès, relayée par des élus des deux partis toujours plus nombreux, et déjà relayée en 2016 par plusieurs candidats dont Trump (et Sanders pour les primaires démocrates).

Au-delà, la place du Congrès, au cœur du système politique, et celle d’une Constitution vénérée comme un texte sacré par les Américains, sont cruciales. Dans l’histoire américaine, les illustrations de ce rôle du Congrès ne manquent pas, des conquêtes territoriales du premier siècle au tournant impérial de la fin du XIXe siècle, du rejet du Traité de Versailles et de la SDN en 1919 aux lois protectionnistes et neutralistes des années 1930, puis à l’inverse de la création de l’ONU, du Plan Marshall ou encore de l’OTAN à la fin des années 1940. Dans la période plus récente, on pourrait évoquer aussi bien l’intervention en Bosnie de 1995 (poussée par le Congrès), que la non-intervention en Syrie en 2013. Aujourd’hui, le peuple, ou « opinion publique », est pris en compte par tous les dirigeants dans leur politique étrangère, dans les démocraties comme dans les régimes autoritaires. Au moment de la fondation des Etats-Unis, l’association du peuple à la diplomatie est véritablement novatrice.

Cette conception, à l’origine (1787) en rupture avec celle de l’Europe, explique le lien entre politique étrangère et politique intérieure, et la nécessité pour les dirigeants politiques de convaincre leurs concitoyens des grands tournants et de toute décision d’envergure en politique étrangère. Enfin, c’est bien ce lien qui permet de comprendre les évolutions brusques et souvent imprévisibles de la politique étrangère du pays, dans le sens de la retenue comme dans celui des excès.

 

Comment s’explique cette place particulière du Congrès dans la politique étrangère américaine ?

La Constitution américaine de 1787 fait du Congrès, institution du peuple, le cœur du gouvernement, avec des prérogatives étendues y compris en politique étrangère. Ce n’est pas un hasard si le tournant majeur de 1945 coïncide avec un renoncement du Congrès à une part croissante de ses prérogatives au profit d’une présidence toujours plus impériale. Le français Alexis de Tocqueville, grand observateur de la politique américaine, avait déjà relevé, pour le déplorer, le caractère démocratique du processus politique en politique étrangère, en raison du rôle du Congrès. Bien que le poids du Congrès ait varié au cours de l’histoire, les parlementaires américains conservent aujourd’hui encore une influence essentielle en politique étrangère, même si elle est davantage reflétée aujourd’hui par le poids croissant des sanctions dans la stratégie extérieure du pays.

Cette spécificité est liée à l’histoire des Etats-Unis, et en particulier à la fondation du pays par une Révolution et une guerre d’indépendance contre le pouvoir colonial britannique. Il faut en effet rappeler que la demande d’autonomie des 13 colonies part d’une revendication politique rejetant l’organisation et l’arbitraire du pouvoir dans les monarchies européennes. La politique étrangère y occupe une place particulière, puisque même dans une monarchie parlementaire comme l’Angleterre d’alors, la politique étrangère, et la guerre en particulier, restent soumises pour l’essentiel au bon plaisir du Prince. A l’inverse, la Constitution américaine, selon une citation célèbre du politologue américain Edward Corwin, invite le Président et le Congrès « à lutter pour le privilège de conduire la politique étrangère du pays ». Il s’agit là d’un dessein délibéré des Pères fondateurs et des auteurs de la Constitution. Ces préoccupations expliquent la place du Congrès dans le système politique américain, ainsi que deux autres débats cruciaux des jeunes années du pays : sur l’organisation des pouvoirs dans un Etat fédéral, laissant une large autonomie aux décisions locales ; et sur l’existence de « milices » locales, plutôt que d’une large armée fédérale permanente. Ce dernier point éclaire cette autre spécificité américaine, le rapport à la guerre.

 

Pourriez-vous nous en dire plus sur ce rapport à la guerre ?

Les Américains se méfient d’une armée permanente au service du Prince, là encore au regard d’une pratique européenne qu’ils rejettent. Cette méfiance explique les vifs débats sur les pouvoirs des milices, embryons des Gardes nationales au service des Gouverneurs des Etats, mais aussi le deuxième amendement sur le droit individuel à porter des armes. Toujours est-il que la Constitution américaine donne au seul Congrès le pouvoir de lever et entretenir les forces armées fédérales. Il est par ailleurs intéressant de rappeler que la première Constitution des Etats-Unis, les articles de la Confédération (antérieurs à la Constitution de 1787), n’avaient pas créé d’institution présidentielle : le pouvoir était dévolu au seul Congrès, composé des représentants des 13 colonies. En réalité, c’est la guerre d’indépendance qui va conduire à la création du « poste » de Président, les parlementaires ayant pu constater que 26 voix ne produisaient pas un résultat optimal pour mener une guerre. Dans la logique de ce raisonnement, le premier président des Etats-Unis sera le général qui a mené ses troupes à la victoire dans la guerre d’indépendance, George Washington. C’est pourquoi le président, parmi les rares pouvoirs dont il dispose qui soient énumérés par la Constitution, est bien le commandant-en-chef des forces armées du pays. Pour le reste, le Congrès, et en particulier le Sénat, dispose, sur le papier, de pouvoirs plus nombreux et mieux définis.

L’influence du Congrès sur les grandes orientations et décisions de politique étrangère a bien sûr varié. D’un point de vue global, l’influence du Congrès, et en particulier du Sénat, a été au plus fort au XIXe siècle, avec des variations suivant le caractère du président. Au XXe siècle, la tendance continue est au renforcement des pouvoirs présidentiels en la matière, surtout après la Seconde Guerre mondiale (présidence impériale). Mais au XIXe siècle, le Sénat joue un rôle déterminant, en particulier par son pouvoir de ratification des Traités, qui constituent alors l’un des instruments d’action privilégiés de la politique étrangère (expansion continentale par l’incorporation de nouveaux Etats dans l’Union). Par ailleurs, les parlementaires veillent jalousement à leur pouvoir prééminent en matière de levée et d’entretien des armées. Jusqu’à la rupture constituée par la Seconde Guerre mondiale (et plus précisément la guerre de Corée), les parlementaires imposeront après chaque conflit dans lequel le pays se trouve engagé une démobilisation quasi-complète des forces armées.

Dans la campagne actuelle, la question du rôle du Congrès dans la politique étrangère en général, et sur les interventions militaires en particulier, est au cœur de plusieurs débats et propositions démocrates, mais aussi républicaines : on voit d’ailleurs des coalitions de plus en plus fréquentes et de plus en plus nombreuses précisément sur des questions concernant le rôle du Congrès dans les interventions militaires, et sur plusieurs dossiers de politique étrangère, dont la Chine. A cet égard, les élections 2020 au Congrès et les équilibres qui en résulteront entre les partis mais surtout au sein des partis, entre les tendances plus centristes ou plus extrêmes, seront également cruciales.

 

L’élection américaine semble avant tout opposer deux modèles sociétaux et la politique étrangère apparaît comme la grande absente des débats. Quelles sont les différences entre les politiques étrangères des deux candidats ?

Certes l’élection oppose deux modèles, voire un combat pour « l’âme de l’Amérique » comme aime à le répéter Joe Biden. Mais je ne dirais pas que la politique étrangère est complètement « absente », car la redéfinition du rapport américain au monde était au cœur de la campagne de Trump en 2016, et demeure centrale dans les préoccupations de son socle électoral, qu’il s’agisse de l’ouverture des frontières à l’immigration et au commerce, de la question des alliances, ou des modalités de l’action internationale du pays. Avec l’idée que la politique étrangère n’était plus au service des Américains, qu’alliés comme adversaires « profitaient » de l’Amérique, avec un rejet extrêmement fort de l’establishment de politique étrangère, démocrate comme républicain et en particulier des néoconservateurs, considérés coupables des guerres coûteuses et « sans fin » (et sans succès).

L’idée de redéfinir une politique étrangère véritablement au service des Américains, notamment des classes moyennes et populaires, de réconcilier politique étrangère et intérieure, est d’ailleurs présente des deux côtés du spectre politique américain, et tout particulièrement sur ses extrêmes, socle trumpiste comme base progressiste des démocrates. L’évolution du contexte international sous le double effet de la mondialisation et des réseaux sociaux fait que la distinction entre sujets extérieurs et intérieurs paraît de plus en plus artificielle : les grandes questions internationales sont largement présentes dans le débat public, et les sujets sont de plus en plus imbriqués. On lit souvent, comme en 2016, que la politique étrangère ne compte pas dans les élections : mais même abordés sous l’angle de la politique intérieure, les sujets comme la Chine, la Russie, le commerce ou le climat demeurent des sujets internationaux, objets de la politique étrangère. Enfin, la polarisation a gagné la politique étrangère, y compris les dossiers régionaux, rendant définitivement caduc l’adage américain classique selon lequel « la politique s’arrête au bord de l’eau » (politics stop at the water’s edge), dicton révélateur énoncé par le sénateur Vandenberg à l’aube de la guerre froide : c’est bien cela aussi qui est remis en question aujourd’hui, et la polarisation de la politique étrangère en témoigne.

Ces débats ne sont pas tranchés, ni d’un côté ni de l’autre du spectre politique ; ils sont particulièrement vifs au sein des deux partis. Ces sujets sont d’ailleurs au cœur de mes travaux actuels.

 

* L’interviewée : Maya Kandel est historienne, chercheuse associée à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle (CREW). Spécialiste des États-Unis, en particulier de la politique étrangère et du Congrès américain, elle s’intéresse au processus de décision, au poids des déterminants intérieurs et aux évolutions partisanes dans la politique étrangère américaine. De 2016 à 2019, elle a travaillé avec l’Université Claremont McKenna en Californie sur l’impact du populisme en politique étrangère et sur les circulations transatlantiques dans le domaine des idées, en particulier entre les extrêmes droites. Elle a également travaillé sur les interventions militaires américaines, ainsi que sur la politique américaine en Afrique et la coopération franco-américaine dans le contre-terrorisme. Maya Kandel est titulaire d’une thèse en histoire de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (2010), sous la direction de Pierre Melandri, qui a été publiée chez CNRS Editions en 2013 (Mourir pour Sarajevo ? Les Etats-Unis et l’éclatement de la Yougoslavie). Elle est également diplômée de l’Université Columbia en relations internationales (SIPA) et de Sciences Po Paris. Son dernier livre, Les Etats-Unis et le monde, de George Washington à Donald Trump, est paru en 2018 aux Editions Perrin. Maya Kandel a créé et anime le blog Froggy Bottom, sur la politique étrangère des Etats-Unis. Dernier article en ligne : « La doctrine Trump », Le Grand Continent, 23 octobre 2020 (volet 1, volet 2 à paraître).