Emanuel Ringelblum, assassiné par les nazis en mars 1944, demeure le principal historien du Ghetto de Varsovie.

Emanuel Ringelblum par son travail de collecte, d’écriture, puis sa sauvegarde des écrits et des témoignages a permis de conserver des pans entiers de l’histoire des Juifs de Pologne et en particulier celle du ghetto de Varsovie. La présente édition, après les Chroniques du Ghetto de Varsovie puis les Archives du ghetto de Varsovie et Oyneg Shabbos (La joie du Shabbat), permet d’avoir la majeure partie de son œuvre disponible en français, rendant un hommage posthume et livrant surtout une documentation unique.  

Un historien

Emanuel Ringelblum apparaît comme l’un des grands historiens de l’entre-deux-guerres. Il est né à Buczacz en 1900 en Pologne, alors sous domination autrichienne, et s’est installé à Varsovie en 1920 pour y étudier l’histoire. Militant sioniste socialiste, il se passionne pour l’histoire juive. Avant même de soutenir sa thèse en 1927, il fonde une revue d’études juives en 1923. Devenu chercheur de réputation internationale, il est en même temps l’un des acteurs clés de la mise en place des réseaux de solidarité avec les juifs allemands à partir de 1933. Sentant l’urgence de la situation, le chercheur laisse entièrement place au militant. Il décide alors de se consacrer aux œuvres sociales juives, en liaison avec le Joint, une organisation d’aide sociale organisée par des Juifs américains.

Il refuse de quitter l’Europe et retourne en Pologne après l’invasion allemande pour venir en aide aux Juifs de Varsovie. Parallèlement, il fonde l’organisation « la Joie du Shabbat », destinée à sauver la mémoire juive de Varsovie et de la Pologne. Tous compilèrent les informations sur les ghettos, les déportations et les traces du passé. Les textes de Ringelblum témoignent de cette urgence du présent. Il espère conserver pour l’éternité les souvenirs d’un monde en voie d’élimination. Après le texte traduit en 2018 de la version intégrale d’Oneg Shabbat, Journal du ghetto, l’historien Nathan Weinstock – auteur il y a plusieurs années d’un magnifique livre, Le pain de misère, le mouvement ouvrier juif en Europe –, livre son complément. Quelques grands aspects permettent d’en voir les traits principaux et de connaître les figures majeures ayant vécu dans le ghetto puis ayant participé à l’insurrection.

Des organisations de la Résistance juive

Les notes expliquent la complexité de la Résistance juive dans le ghetto et la mise en place des structures ayant permis l’insurrection. L’aide sociale organisée par le Joint a joué un rôle important dans les finances apportées aux Juifs avant la Seconde Guerre mondiale. Emanuel Ringelblum constate amèrement que l’aide se tarit à partir de 1940. Dénonçant le manque de solidarité, il montre aussi que la structure mise en place a permis le développement de la Résistance.

Les structures sont également celles de la sauvegarde de la mémoire. Il donne des détails sur l’organisation de l’Oneg Shabbat. Elle représente majoritairement un long fil de nouvelles et d’informations dramatiques sur les ghettos, les massacres de masse et les déportations. Mais l’organisation permet aussi le passage dans la zone polonaise de Varsovie des archives et la réception de messages dans le ghetto pour redonner espoir aux derniers survivants. Il s’agit à chaque fois de transmettre des morceaux d’histoire.

Des hommes

Comme dans les livres du souvenir, Ringelblum dresse un martyrologue de tous les intellectuels juifs assassinés dans le Ghetto, exterminés à Auschwitz et à Treblinka ou morts de faim. Entre la figure connue du médecin et éducateur Janucz Korczak ou celle ignorée de la militante bundiste et enseignante, Sonia Nowogrodzka, il laisse d’ailleurs une place importante aux enseignants auxquels il rend un hommage appuyé. Il évoque aussi les écrivains comme Shaul Stupnicki qui préfère mettre fin à ses jours plutôt que de se rendre sur l’Umschlagplatz. Il évoque également tous ses camarades ayant participé à la sauvegarde de la mémoire.

Deux autres figures ont incarné l’âme et l’esprit du ghetto et de ses combattants : Shakhné Efraim Zagan et Morderaï Anielewicz. Zagan, militant du parti sioniste socialiste, comme Ringelblum, est lui aussi resté dans le Ghetto. Cet utopiste au grand cœur, philosoviétique pensant que l’Armée rouge allait libérer Varsovie, faisait tout pour venir en aide à ses camarades d’infortune sur les plans matériels comme moraux. Il dispense les maigres revenus des organisations pour aider à la survie des autres militants pour un jour pouvoir engager le combat et espérer la libération. Arrêté le 5 août 1942, il meurt à Treblinka quelques jours après. Morderaï Anielewicz est né en 1919, le jeune homme participe à l’organisation de l’insurrection armée dont il prend la direction le 19 avril 1943. Pour éviter d’être arrêté, il met fin à ses jours le 8 mai 1943. Ringelblum insiste sur l’appartenance de ces hommes au monde ouvrier, ainsi qu’à leur rêve d’émancipation politique et sociale. En effet, la majeure partie des acteurs se réclame de tous les courants du socialisme.

Ces notes constituent un complément indispensable aux ouvrages sur le ghetto de Varsovie dont cette brillante édition permet d’approfondir les aspects les moins connus.