Les biographies de Robert Simon et Marcel Paul illustrent les modalités de l’engagement communiste depuis l'entre-deux-guerres jusqu'aux années 1970.

Robert Simon et Marcel Paul – qui se vient aujourd'hui consacrer deux biographies – ont suivi des itinéraires qui se sont croisés, dans le milieu des partis et des syndicats socialistes et communistes du début du XXe siècle. Ils incarnent deux formes d’engagement dans le communisme lors des périodes sombres comme glorieuses. Marcel Paul est électricien, communiste et syndicaliste, déporté, ministre, puis cadre de la CGT de l’énergie, alors que Robert Simon est instituteur, ancien socialiste devenu communiste en déportation, puis cadre régional du Parti communiste avant d’entrer en opposition. Les deux incarnent la mémoire communiste et leurs parcours sont analysés avec empathie par les auteurs qui leur consacrent ces nouvelles études.

Enfance de guerre

Marcel Paul est né en 1900 sous le nom de Marcel Dubois avant d’être reconnu en 1913 par son père, qui meurt sur le fronten 1918. Orphelin, le jeune valet de ferme est confié à l’assistance publique avant que sa mère ne puisse le réclamer. Il est envoyé comme « engagé volontaire » dans la Marine nationale alors qu’il vient d’adhérer à la SFIO, après la lecture de tracts pacifistes. Libéré de ses obligations militaires, il est embauché à la Compagnie parisienne de distribution électrique (CDPE) où il fait l’essentiel de sa brève carrière professionnelle, qui lui permet d’entamer sa longue carrière politique et syndicale. C’est son engagement au PCF qui détermine son engagement syndical. Il devient très vite responsable syndical, après avoir été sanctionné par son employeur pour fait de grève, puis pour absence en raison de son engagement et de sa participation fréquente à des réunions.

Le PCF prend le contrôle de la Fédération de l’éclairage en 1927 après un conflit de tendance avec les syndicalistes révolutionnaires non communistes. La fraction communiste élimine de l’Energie tout ce qui n’est pas conforme à la ligne – mettant à l’écart de Paul Martzloff et ses compagnons, membres du noyau la Révolution prolétarienne. Les auteurs montrent comment il est propulsé pour des raisons politiques à la direction de la fédération de l’éclairage, Marcel Paul devient permanent syndical. Entre 1929 et 1932, il est l’un des principaux responsables de la CGTU (Confédération Générale du Travail Unitaire), et à ce titre, il incarne jusqu’à la fin des années 1930 l’un des modèles du commis voyageur du communisme syndical, se rendant dans tous les conflits sociaux pour assurer la présence de la centrale unitaire et du parti incarnant le communisme gréviculteur.

Par la suite, il a été l’un des premiers dans cette branche à mettre en œuvre un syndicalisme de service accolant à l’action syndicale des services sociaux (centrale d’achat, quasi mutuelle de soin, etc…). Dans le mélange des genres que représente le communisme, il est élu au conseil de Paris aux municipales de 1935, ce qui, en raison de l’interdiction du cumul des mandats politiques et syndicaux, lui interdit de siéger à la direction confédérale de la CGT réunifiée. En revanche, il réussit à siéger à la direction fédérale de l’éclairage puis d’abandonner en 1938 ses mandats électifs suite pour se plier à la décision des congrès fédéraux qui interdisent le cumul des mandats politiques et syndicaux. Il est démis de son poste en 1939 refusant de désavouer le pacte germano-sociétique conclu entre Hitler et Staline.

La vie de Robert Simon, quant à elle, sort du cadre habituel du militant communiste classique. Instituteur et socialiste, né en 1909, lui-aussi devient très jeune orphelin après la mort de son père dans les combats de 1914-1918. Il adhère à la SFIO en 1932 et rejoint d’abord un des courants « unitaires » du socialisme, plutôt philosoviétique, au point d’être invité à faire le voyage en URSS en 1934 dans une délégation d’enseignants proches du PCF qui comprenait, entre autres, l’helléniste Jean-Pierre Vernant. La délégation visite alors l’Ukraine martyr sans voir la famine ni entendre les avertissements et les mises en garde des paysans et des ouvriers. Les voyageurs s’émerveillent devant les réalisations du socialisme.

Socialiste, il est favorable à l’alliance avec les communistes. Paradoxalement, il se rapproche d’un des courants les plus hostiles au communisme dans la SFIO, les pivertistes (cette tendance de la SFIO animée par Marceau Pivert qui se caractérise à la fois par son caractère révolutionnaire antistalinisme et son pacifisme). Elle quitte la SFIO pour former le Parti socialiste ouvrier et paysan, que Simon rejoint plutôt par pacifisme. C’est ce qui le conduit à la désertion. Sa proximité avec des proches du mouvement trotskiste, le conduise à assister aux réunions de fondation du parti révolutionnaro-vichyste, l’éphémère mouvement national révolutionnaire.

Adultes en guerre

La proximité de Simon avec les militants communistes le font rejoindre les groupes armés du PCF, d’abord l’organisation spéciale, puis le groupe de résistance armée le plus actif, le Valmy qui a été chargé de liquider les anciens communistes passés à la collaboration d’une part, puis de pratiquer des attentats contre les forces d’occupation. Robert Simon a participé à l’opération destinée à éliminer Albert Clément, un ancien rédacteur de La Vie ouvrière passé au PPF. L’auteur propose une réflexion sur le PCF et la violence politique pendant la guerre et sur la défiance vis-à-vis des anciens communistes. Jean-Yves Boursier considère qu’il ne s’agit que d’une police politique propre au parti mais d’actes de guerre. Il discute ainsi des cas de Georges Déziré, un cadre du Parti accusé à tort d’avoir dénoncé des militants abattu par erreur ou de Mathilde Dardant exécutée sommairement, les considérant comme des erreurs liées à la guerre finalement inhérent à la guerre.

L’analyse proposée sur la trahison ne convainc guère et l’exemple d’Adrien Langumier, un ancien responsable de la CGTU puis député communiste, n’est pas forcément le plus heureux. Boursier citant Simon, qui a rencontré Langumier en 1941, explique que ce dernier « avait visiblement très peur. Il était dénoncé par le PC comme renégat parce qu’il avait démissionné du Parti. Cela aurait pu lui valoir également d’être qualifié de traître au service de la police ». Or, Langumier a été inscrit à deux reprises sur les listes noires (en 1943 et en 1945) et a échappé à une élimination par les détachements armés du PCF en 1944.

Après plusieurs attentats, le groupe Valmy chute. L’absence de clandestinité réelle facilite le travail de la police. Ainsi Robert Simon mange tous les jours dans le même restaurant, rend les filatures policières aisées. Arrêté, il est déporté à Mauthausen comme la majeure partie des membres du détachement Valmy. Les anciens du Valmy participent à la Résistance dans le camp. L’auteur souligne qu’après la guerre, Robert Simon est convoqué par les instances du Parti pour comprendre la chute du Valmy. A la libération, les survivants du Valmy sont interrogés par les instances du Parti pour comprendre les raisons de la chute. Boursier se lance alors dans des pistes pour comprendre les chutes du Valmy et les responsables qui ont pu y échapper. Ainsi, il cherche à incriminer, comme d’autres avant lui, Jacques Duclos et l’appareil international, sans pouvoir en étayer aucune des hypothèses annoncées. Il aboutit à la même conclusion que Franck Liaigre et Jean-Marc Berlière, qui dans Liquider les traîtres (Robert Laffont, 2007) expliquent que l’on se perd en hypothèse. Les hypothèses proposées pour y répondre sont hasardeuses et en l’absence d’archives nouvelles, il est impossible de répondre. Il est aussi surprenant que l’auteur ne se soit pas interrogé sur la proximité entre Jean Laffitte et Jacques Duclos. En effet, c’est ce même Jean Laffitte, arrêté en 1942 dans le sillage des chutes autour du Valmy et déporté lui aussi à Mauthausen, qui depuis 1936 et son retour de l’Ecole léniniste internationale travaille pour l’appareil du Parti et en particulier la commission des cadres.

C’est aussi l’ancienne commission des cadres qui envoie Marcel Paul en Bretagne pour y prôner, pas encore la résistance, mais le défaitisme révolutionnaire, comme l’a montré Franck Liaigre dans ses FTP (Perrin, 2015). Dans ce rôle, il remplace un Auguste Havez réticent à appliquer la politique de Duclos et Tréand. Après l’évolution de la ligne du PCF, les deux se partagent les responsabilités régionales. A Nantes, Marcel Paul suit scrupuleusement les directives du Parti. Les auteurs soulignent que dans les différentes versions de ses témoignages, il demeure volontairement flou. La vague d’arrestations réalisée à la demande du préfet dans les milieux communistes Nantais entraine son départ précipité de Nantes et son retour à Paris, où il participe à la mise sur pied d’organisme clandestin avant d’être arrêté à la fin de l’année 1941. Il reste en prison près de deux ans, animant le Patriote enchainé. Condamné en 1943 à quatre ans de prison, il est déporté fin avril 1944 à Auschwitz avec quatre cents communistes puis transféré à Buchenwald à la mi-mai. Il y anime la Résistance intérieure, et accepte dans ce réseau de déportés les militants présentés comme trotskistes. Les auteurs soulignent par là même que les polémiques ultérieures portées contre Marcel Paul, l’accusant de collusion avec l’administration du camp, sont aussi infondées et que calomnieuses. Marcel Paul participe et organise activement le soulèvement du camp en 1945.

Militants en guerre froide

Les mémoires de l’univers concentrationnaire portées par Simon et Paul sont communes et tous deux ont pendant tout l’après-guerre été des passeurs du souvenir de cette tragédie. Après la guerre, cependant, leurs trajectoires diffèrent.

Marcel Paul devient député de la Haute-Vienne, semble t-il à la demande de la Commission des cadres, pour remettre de l’ordre dans la direction départementale dont la figure majeure est Georges Guingouin. Il est vite désigné comme ministre de la Production dans le deuxième gouvernement De Gaulle. Il porte alors les programmes du Conseil national de la Résistance et obtient la nationalisation des secteurs énergétiques. Il reprend aussi une idée développée par le syndicaliste unitaire des années vingt, les syndicalismes de service, et obtient la création du Conseil central des œuvres sociales – développant les aides sociales, culturelles et les colonies de vacances pour les enfants.

Les départs du gouvernement et la fin du multipartisme poussent le PCF dans l’opposition frontale au gouvernement, notamment lors des grèves de 1947. Marcel Paul, comme les autres, est un tenant de la ligne dure, reprenant la direction de la Fédération de l’Eclairage de la CGT, dénonçant également les violences contre les Algériens. A partir des années 1960, il se tient en retrait participant surtout à entretenir la mémoire de la déportation d’une part et du communisme d’autre part jusqu’à sa mort en 1982. 

Sa déportation amène Robert Simon à devenir un des responsables des associations de déportés. En raison de la guerre froide, il est un temps rattrapé par son passé de déserteur, bien qu’il ne soit pas alors sur la position défaitiste révolutionnaire du PCF et de l’IC défendue en France. Devenu journaliste, il est souvent envoyé à l'étranger pour le Travailleur de l’Yonne puis pour le Congrès mondial pour la paix et sa revue Défense de la Paix. L’auteur ne développe malheureusement que peu ces épisodes et la participation de Simon au mouvement communiste mondial, par manque de documentation semble-t-il, l’auteur ne citant que des sources fournies par Robert Simon. Il analyse longuement sa participation à la crise de la Fédération icaunaise, qui ont eu un impact dans sa carrière au PCF, puisqu’il a été un temps démis de ses fonctions dans l’appareil, en 1952, avant d’être réintégré au département international. Ce que l’ancien résistant Charles Tillon a présenté comme une éviction des anciens FTP du PCF, mais qui, au regard de l’itinéraire de Marcel Paul (et d'autres) ne constitue qu’une affirmation sans fondement.

Finalement, le rapport Khrouchtchev le touche indirectement. C’est en 1959, qu’il commence à vaciller pour glisser dans l’opposition, avec le groupe de cadres communistes oppositionnel regroupés derrière le bulletin Unir. Neutralisé un temps par la direction de la Fédération de l’Yonne, il est éconduit du PC lors de la crise des années 1970. Prenant sa place dans le lot des militants non conformes à la ligne, il adhère à nouveau au Parti socialiste, s’occupant jusqu’à sa mort des organismes d’anciens déportés.

Ces deux biographies bien menées permettent ainsi, à la faveur du renouvellement archivistique, de jeter un éclairage nouveau des certaines trajectoires singulières.