Un regard éclairant sur les enjeux du travail au noir en France depuis trente ans et sur le système de protection sociale et ses défis. 

L’association Emmaüs poursuit son programme de conférences/débats intitulé "La rue ? Parlons-en !", initié en 2002. Depuis novembre 2007, ces conférences font l’objet d’un partenariat avec l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Une fois par trimestre, ces conférences font intervenir une personnalité issue du milieu universitaire ou de la recherche. D’une durée de deux heures, elles sont constituées d’une heure d’exposé et d’une heure de questions/réponses avec la salle.

Issue de ces conférences, la collection "La rue ? Parlons-en !" se fait l’écho des problématiques liées à la lutte contre l’exclusion. Jusqu’en 2006, elle était publiée par les éditions du Temps des Cerises, où dix titres sont parus. Elle est désormais publiée par les éditions Rue d’Ulm / Presses de l'École normale supérieure.

Le 30 janvier 2008, une séance a été organisée autour de la question du travail au noir. Elle a fait l’objet d’une présentation de Florence Weber, sociologue et ethnographe, professeur de sociologie à l'École normale supérieure, intitulée "Le travail au noir : une fraude parfois vitale ?".  L’auteur prend d’abord le soin de définir son objet, en détaillant les diverses formes de travail au noir (salariés dissimulés, heures dissimulées ou activités dissimulées), et en envisageant le travail non déclaré comme recouvrant diverses infractions : au fisc, à la sécurité sociale, au droit du travail, et enfin au droit de la résidence (avec la question, qui fait l’actualité de ces derniers jours, des travailleurs sans-papiers). Les activités non déclarées sont régies par des logiques diverses, que le regard d’une sociologue de terrain permet d’éclairer.

Florence Weber soutient une hypothèse : le travail au noir est le reflet d’une crise des règles économiques et de la confiance dans l’État. Elle exploite plusieurs terrains afin de saisir les évolutions du travail au noir, et celles du regard porté sur lui : une enquête sur le "travail-à-côté"   des ouvriers menée à Montbard en Bourgogne dans les années 1980, et un ensemble d’enquêtes ethnographiques menées depuis, notamment dans le secteur des aides domestiques. Ce recul temporel lui permet de mettre au jour une évolution majeure : le passage "de l’aménagement d’une niche de vivabilité – c'est-à-dire le fait que des salariés stables amélioraient leur ordinaire grâce à des formes d’économie non officielle – à des activités qui se situent à présent du côté de l’économie de survie". C’est donc avant tout le contexte du chômage de masse qui explique le changement de nature du travail dissimulé, mais aussi le changement de regard porté sur ces activités. Florence Weber prend pour indicateur l’augmentation des dénonciations de travail au noir depuis les années 1990 pour conclure, non à l’essor de ces activités, mais au recul de la tolérance vis-à-vis de celles-ci, lié à l’apparition d’un sentiment d’injustice horizontal, entre personnes de même rang social. Le travail au noir a ainsi été stigmatisé à partir du moment où il complétait des allocations sociales, et non plus un salaire, dans le cadre du chômage et des préretraites.

Cette question du travail au noir soulève aussi la question des droits sociaux et des politiques sociales, et de leurs évolutions. Selon l’auteur, "nous sommes arrivés aux limites d’un système social qui a fonctionné sur deux pieds, la grande industrie et la stabilité familiale". Il faudrait donc repenser l’attribution de droits sociaux, afin de ne pas laisser les logiques d’assistance prendre le dessus sur la solidarité, et les droits et devoirs qui en découlent. Plusieurs idées sont alors évoquées, comme une nouvelle définition de l’assiette des cotisations sociales en fonction du profit et non de la masse salariale.

En bref, ce petit ouvrage de soixante-trois pages offre un regard clair et éclairant sur les enjeux du travail au noir en France depuis trente ans, et au delà, sur le système de protection sociale et les défis auxquels il est confronté.


--
Crédit photo : Neno° / Flickr.com