Florence Seyvos, romancière et scénariste, arpente les territoires de l’enfance et leur inquiétante étrangeté.
Florence Seyvos, romancière et scénariste, arpente les territoires de l’enfance et leur inquiétante étrangeté. L’héroïne de son nouveau roman, Anna, vit comme dédoublée, se voit vivre et marcher, lit dans les pensées des autres et entend des voix, depuis une rougeole mal soignée qu’elle a contractée à l’âge de douze ans. Sa mère fait venir un certain Georg, dont on ne sait pas s’il est vraiment médecin, qui lui prescrit des pilules blanches et bleues. Anna, qui les prend de façon anarchique, contrairement à la posologie très stricte qu’a ordonnée Georg, peut s’élever au-dessus du sol. Ces médicaments, censés la protéger des périls de la vie, rappellent les boissons et les gâteaux magiques d’Alice au pays des merveilles. Le thème du double évoque le romantisme allemand, et tout ce que subit le corps d’Anna comme phénomènes étranges et angoissants fait penser à La Métamorphose de Kafka, qui s’y connaissait en angoisses et en chemins tortueux, en vie éveillée qui ressemble à un cauchemar. Le réel échappe à Anna depuis sa maladie : « La réalité s’était fracturée et me laissait entrevoir un gouffre, une fente entre deux pans de rideau. […] Derrière le rideau quelque chose me guettait, une bête invisible animée de la plus pure sauvagerie, qui un jour bondirait pour me déchirer le visage. »
Allers-retours
Les jeux intertextuels, on l’aura compris, occupent une place centrale dans le livre. L’auteure tire des effets romanesques puissants de deux tableaux d’Annonciation, l’un qui est peut-être de Léonard de Vinci, et l’autre de Lorenzo Lotto, quelques pages plus loin dans le livre d’art qui se trouve à côté du lit où l’héroïne passe l’après-midi avec Ariel, son amoureux. Ce prénom renvoie à celui de l’esprit obligé de servir Prospero dans La Tempête de Shakespeare, et qui enchante les autres personnages avec ses chansons. Ce roman est bien aérien, et s’écrit autour de l’insaisissable et de l’indicible, de l’enfance perçue comme un réservoir de folles visions et sensations. Il est nourri de terreurs sans nom provenant des histoires les plus noires de la littérature et de scènes archétypales effrayantes : « Accidentellement je l’ai mordu, et il a crié. Accidentellement son sang est venu dans ma bouche. Je l’avais tellement désiré, et j’étais si certaine de pouvoir m’en empêcher que j’ai crié, moi aussi, de surprise. Et le scintillement a déferlé dans mes veines comme un torrent de montagne. Je ne voulais pas, je ne voulais pas, je ne voulais pas, ai-je pensé. » Est-ce parce que son prénom est un palindrome qu’Anna semble condamnée à n’avancer qu’en revenant toujours sur ses pas, sans pouvoir vraiment quitter l’enfance ?