Professeur au Collège de France, Antoine Compagnon entreprend une vulgarisation de l’œuvre de Pascal qui donne à ses lecteurs des outils pour penser.

Blaise Pascal (1623-1662) nous a fourni une des formules souvent citées pendant le confinement : « J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » La publication de ce livre en quarante et un chapitres, qui reprennent la série d’émissions diffusées pendant l’été 2019 sur France Inter, vient donc à point en ce début de vacances pour partir à la découverte ou à la redécouverte de ce défenseur de la liberté d’esprit qui traite de l’homme, de la société, de l’univers, du pouvoir, de la foi, de l’angoisse, de la mort, du jeu…

Un virtuose de la langue française

Les formules et les images de Pascal sont presque aussi célèbres que les proverbes passés des Fables de La Fontaine dans le trésor de notre langue : le roseau pensant, les deux infinis, le pari ou le nez de Cléopâtre font normalement parti du patrimoine intellectuel et linguistique de tout élève passé par une classe de Terminale. Les sentences de Pascal, avec son art du retournement, du renversement, de l’antithèse, sons sens de la formule ramassée sur la densité de son sens sont inscrites dans de nombreux cerveaux, bien après les années d’école : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » ; « Qui veut faire l’ange fait la bête » ; « Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point ». Les grands auteurs ne s’y sont pas trompés, comme Jean Giono qui donne comme titre à un de ses romans Un roi sans divertissement, repris d’une des Pensées de Pascal.

Mathématicien, physicien, philosophe et théologien

Selon la légende laissée par sa sœur aînée Gilberte Périer qui rédigea une Vie de Monsieur Pascal pour servir de préface à l’édition des Pensées, ce théologien janséniste aurait vécu trois vies : scientifique, puis mondaine et enfin pieuse. Un parchemin cousu dans la doublure de son pourpoint, trouvé par un domestique après la mort de Pascal, et dont il ne se séparait jamais, relate une expérience spirituelle advenue dans la nuit du 23 novembre 1654 : vision, apparition, ravissement, extase mystique ? On ne trop, mais c’est ce qui entraîna sa conversion définitive à Port-Royal.

« Le "Mémorial" exprime la certitude, la confiance, la tendresse et la consolation, le Dieu absent faisant sentir sa présence au cœur. Certains commentateurs préfèrent y voir une expérience ascétique plutôt que mystique. Le "Mémorial" contient plusieurs citations bibliques, le Feu se manifestant à la fois au cœur et à l’esprit et ne congédiant pas la raison. Mais la joie domine. Elle confirme que la terreur et l’angoisse qui règnent dans les Pensées relèvent de la dramatisation plus que de l’autoportrait, et visent bien à secouer le libertin. »

Pour Pascal, il y a toujours une « vérité opposée » à prendre en compte. D’où la fine dialectique de ce penseur qui goûte aussi les classements et les gradations, les répétitions et les distinctions.

Swann dans À la Recherche du temps perdu suggérait de « mettre dans le journal, moi je ne sais pas, les… Pensées de Pascal ». C’est un peu ce que fait ce petit livre très riche, à glisser dans son sac de plage ou à lire dans le train ou l’autobus qui nous y conduisent.