Il y a cinq siècles que les conquistadores ont brûlé les livres écrits par les penseurs du Mexique et du Guatemala. Aujourd’hui, ces classiques renaissent de leurs cendres tels autant de phœnix.

* Ce texte de Dag Herbjørnsrud a été publié initialement en anglais sur le site de l’American Philosophical Association (APA) sous le titre « The Mesoamerican Philosophy Renaissance », le 9 janvier 2020. La présente traduction de l’anglais est de Laurent Testot.

 

Le 1er octobre, le célèbre professeur émérite Miguel León-Portilla (1926–2019) s’éteignait à Tenochtitlan, cité connue aujourd’hui comme Mexico. On ne saurait trop souligner l’importance de son legs. Au terme de six décennies de travaux pionniers, M. León-Portilla est aujourd’hui crédité d’avoir exhumé une philosophie largement oubliée, celle des habitants originels de Mésoamérique : les Nahua, locuteurs du nahualt (également connus comme Mexica ou Aztèques, des hauts plateaux du Mexique) et les Maya (qui vivent au Guatemala, Belize, Honduras, et au sud du Mexico).

À l’âge de 87 ans, León-Portilla se vit décerner le prix « Living Legend Award » de la Library of Congress de Washington. Ses travaux sur la philosophie des peuples mésoaméricains ont irrigué nombre de livres académiques, tels Aztec Philosophy: Understanding a World in Motion de James Maffie (2014) et Philosophy of the Ancient Maya d’Alexus McLeod (2018) – deux ouvrages éclairant la métaphysique originale des premiers habitants des Amériques.

Cambridge University Press publiera prochainement un volume d’introduction à la philosophie mésoaméricaine, dans sa collection « Cambridge Introductions to Philosophy ». Dans ce volume, McLeod  traitera également des traditions philosophiques des Zapotèques, des Mixtèques – qui développèrent des écritures spécifiques – et d’autres peuples mésoaméricains. La philosophie classique amérindienne est donc sur le point d’être doucement intégrée, pour une petite partie, dans le canon philosophique.

Le hasard veut que cette conjonction philosophique prenne place exactement cinq cents ans après que Moctezuma II (1466–1520), le porte-parole (tlatoani) de la Triple Alliance azteca, a rencontré le conquistador Hernán Cortés au seuil de sa capitale en novembre 1519. Eh oui, la présente Renaissance mésoaméricaine prend place exactement un demi-millénaire après que commence la destruction des manuscrits non chrétiens dans les bibliothèques des peuples nahua et maya par les zélotes venus d’Europe.

Déjà, dans les années 1530, le frère espagnol Bernardino de Sahagún apprenait que les sociétés nahua, ou aztèques, avaient leurs propres savants, les tlamatinime– ce substantif au genre neutre se traduit par « connaisseur.se des choses », « sage », « philosophe ». Ces philosophes se vouaient à l’écriture, préservant les classiques littéraires nahua, et éduquaient les enfants des deux sexes, dès l’âge de huit ans, aux questions existentielles. Plusieurs d’entre eux étaient des femmes, et ils/elles bénéficiaient d’années d’enseignement dans des calmecacs –institutions nahuas d’éducation supérieure. Les philosophes prenaient soin de, et recopiaient le contenu des livres, la banque mémorielle de leur société. Les Nahuas considéraient que ces tlamatinime, qui incluaient également des poètes et des historiens, exerçaient un leadership intellectuel et moral.

Quand Sahagún réalisa – avec l’aide de collaborateurs indigènes tel Antonio Valeriano – la profondeur de la pensée de ses informateurs nahua, il louangea ces anciens, les élevant au rang de « sages ou philosophes » (sabios o philosophos). C’est ainsi que, un siècle avant Descartes, devançant l’émergence de la philosophie européenne moderne, Sahagún notait que de même que chez les « Grecs, Romains », il était « de coutume en cette nation indienne » de tenir « les sages, éloquents, vertueux, et courageux » en « haute estime ».

 

La philosophie nahua

De même, Lynn Sebastian Purcell estime, dans un article de 2016 récipiendaire du « APA prize in Latin American thought », que l’argument nahua pour une « vie digne », ou plus exactement « enracinée » (rooted life), neltiliztli, « fonctionne en termes éthiques à la manière de l’eudaimonia d’Aristote ». L.S. Purcell compare cette perspective grecque au concept nahua des vertus (ce qui est « bon, noble » : qualli, yectli) ; il en déduit que la sagesse nahua « porte un regard qui en termes éthiques est similaire à celui d’Aristote ».

L.S. Purcell souligne également que les philosophes nahua « rompaient souvent avec les présupposés ordinaires » de leur société. Ainsi, le penseur nahua Nezahualcoyotl (1402-1472, son nom signifiant « Coyote qui jeûne ») exprime clairement « des doutes sur une existence qui se prolongerait après la mort ».

L’agnosticisme était présent parmi les Premières Nations des Amériques, en sus d’un panthéisme largement répandu. Il y avait des débats, des désaccords. Et des sophistes ! Les informateurs de Sahagún se plaignent de ce « pseudo-sage qui est tel un docteur ignorant, un homme sans intelligence ». Ce sophiste « égarait le peuple, faisant perdre la face à d’autres que lui ».

À partir des années 1540, quatre décennies durant, Sahagún transcrivit le contenu de ses entretiens avec les anciens des Nahuas. Ils écrivirent d’abord en nahualt, puis dans l’alphabet romain, avant de traduire en espagnol. Il en résulta une encyclopédie bilingue de 1200 pages, contenant plus de 2400 illustrations tracées par des artistes nahua, intitulée L’Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne – connu aujourd’hui comme le Codex de Florence. Ces livres du XVIe siècle, dont la traduction en anglais, achevée en 1982, nécessita trente ans de travail, couvrent l’ensemble du savoir nahua, de l’histoire aux sciences naturelles, de l’économie à l’astronomie, en passant par la philosophie.

 

La redécouverte des manuscrits mésoaméricains

Par chance, il est d’autres manuscrits mésoaméricains qui ne disparurent pas lors des pillages et des autodafés des colons espagnols. Des milliers de pages furent copiées et préservées. Aujourd’hui, elles reviennent à la vie, par des efforts de déchiffrage, de traductions, d’études nouvelles. Le plus célèbre texte maya est le Popol Vuh (« Livre du Conseil », ou « Livre de la Communauté »), posé par écrit au mlieu du XVIe siècle au nord de l’actuelle Guatemala City. Cet ouvrage décrit les origines et l’histoire du peuple maya des K’iche’, qui compte aujourd’hui plus de 1,5 million de personnes au Guatemala. Et il donne voix aux femmes ; le mot « grand-mère » y est cité deux fois plus souvent que celui de « grand-père ».

Avec le déchiffrage des glyphes maya durant ces dernières décennies, de nouvelles voies sont désormais ouvertes aux philosophes. Des sentiers qu’emprunte McLeod, quand il stipule dans l’introduction de son dernier livre sur la philosophie maya : « Aujourd’hui, pour un philosophe qui, comme moi, n’a pas étudié l’archéologie, il est désormais possible et constructif d’explorer les pensées des Anciens Mayas d’une façon inenvisageable il y a seulement vingt ans. Le savoir exhumé, déchiffré, compris et accumulé en matière d’écriture et de culture maya rend possible l’exercice de la philosophie maya comme tradition philosophique per se. »

Une telle acceptation est une situation inédite pour la philosophie mésoaméricaine classique. En 1956, quand M. León-Portilla publia sa thèse doctorale sur la philosophie nahua, La filosofía náhuatl estudiada en sus fuentes (« La philosophie nahua étudiée en ses sources »), le terme « filosofía », philosophie, prêtait à controverse : pouvait-on réellement parler de philosophie quand on évoquait les peuples autochtones des Amériques, quand le seul nom d’Amérique évoque l’impérialisme européen qui nomma ainsi ces continents ? Ces terres étaient dites Cemanahuac – « Entouré d’eau » – en nahua, et Abya Yala – « Terre généreuse » – en kuna, langue parlée dans l’actuel Panama.

Les éditions de l’Université d’Oklahoma (The University of Oklahoma Press) résolurent le dilemme, en remplaçant, dans la traduction en anglais de la thèse de M. León-Portilla, le terme « filosofía » par l’expression « thought and culture » – « pensée et culture ». C’est ainsi que l’édition anglaise reçut le titre d’Aztec Thought and Culture: A Study of the Ancient Nahuatl Mind (1963).

Mais quel que soit le titre posé sur la couverture, en anglais comme en espagnol, le contenu restait explosif : car M. León-Portilla entendait démontrer dans cette étude que les philosophes locuteurs du nahua (tlamatinime) s’étaient attaqués, de manière purement rationnelle, à des réflexions sur la conscience d’être soi ! Des réflexions que l’on disait volontiers propres à une pensée grecque classique, développée à l’époque des sophistes et de Socrate, quitte à concéder que certains penseurs orientaux avaient pu esquisser des réflexions similaires.

En soutenant cela, M. León-Portilla faisait écho à Sahagún, qui écrivait quatre siècles avant lui la ligne suivante, issue de confidences de ses informateurs indigènes dans la première moitié du XVIe siècle, à propos du rôle d’un philosophe parmi les Nahua : « Il agit tel un miroir devant les autres ; il les rend prudents, attentifs. » Ce que M. León-Portilla rend selon les termes suivants : « À nouveau, il y a similarité avec la pensée éthique de la Grèce et de l’Inde : l’homme a besoin de se connaître lui-même, d’accéder au gnóthi seautón de Socrate. »

 

La pensée nahua au prisme des défis du XXIe siècle

Alors que nous entrons, en ces années 2020, en un monde qui pourrait connaître des extrêmes tout autant politiques que climatiques, ce serait peut-être une bonne idée que, nous aussi, nous mettions un miroir devant nous. Pour passer de l’autre côté, pourquoi pas en une renaissance, sinon une révolution de la philosophie mesoaméricaine ? Nous qui nous habituons doucement à vivre en une ère de fake news diffusées sur un réseau numérique aux ramifications mondiales, qui nous apprêtons à connaître la multiplication d’événements météorologiques extrêmes, qui pourrions céder à des intelligences artificielles le contrôle de nos existences, qui regardons les démocraties vaciller au bord du précipice…

En une telle ère, il est temps de se poser quelques questions fondamentales et existentielles. Nous pourrions par exemple reprendre à nouveau frais l’énigme formulée par un des grands philosophes précolombiens du XVe siècle.

EXERGUE : « Moi, Nezahualcoyotl, je demande : Est-il vrai que l’on vit réellement sur terre ? »

Nezahualcoyotl était un roi-philosophe nahuatl. Mécène des arts, il contribua à l’embellissement de la cité-État de Texcoco, centre intellectuel situé légèrement à l’est de la ville connue aujourd’hui comme Mexico, en bordure du lac Texcoco, aujourd’hui asséché. Nezahualcoyotl ordonna en son temps la construction d’aqueducs qui amenèrent l’eau courante dans la ville. Et il fit construire des halls dans les palais, afin que puissent s’y rencontrer les philosophes, artistes et poètes.

Mais en matière de philosophie proprement dite, Nezahualcoyotl ne donnait jamais de réponse claire à ses questions, et il s’exprimait par énigmes. Il préférait ainsi prendre comme objet de réflexion notre manque général de connaissances, notre condition de « mortels que nous sommes, humains, toujours et encore ».

Nezahualcoyotl s’inquiète : « Je suis intoxiqué, je sanglote, je pense, je parle, et en moi-même je le découvre. » Il pose à ses lecteurs et auditeurs des questions existentielles : « Que cherche votre esprit ? Vers quoi incline votre cœur ? […] Peut-on espérer quelque chose sur terre ? »

À l’aube d’une nouvelle décennie, de telles questions fondamentales semblent plus pertinentes que jamais si nous entendons vraiment fonder une « vision globale 2020 ». Le Sommet Action Climat des Nations Unies, ou des activistes telle la jeune Greta Thunberg, mettent sous pression les politiciens, décidément trop englués dans le court-terme pour faire face à une crise climatique. Les appels collectifs à des actions coordonnées à l’échelle planétaire se multiplient.

Il est possible qu’une prise de conscience élargie se fasse jour, simplement parce que nous allons nous mesurer à des défis globaux. Et en ce cas, parmi les inspirations philosophiques qui nous permettront de faire face à ces menaces existentielles, nous pourrons trouver de l’espoir dans les traditions philosophiques classiques de l’Amérique précolombienne. Simplement parce que, 550 ans plus tard, la question posée par Nezahualcoyotl reste d’actualité : Qu’est-ce que la réalité ? Qu’est-ce qui est vrai ? Et comment conserver notre équilibre sur notre « terre qui se dérobe sous nos pieds » (tlaticpac) ?

Telle était la nature des questions que se posaient les philosophes nahua dans ce qui est aujourd’hui le Mexique central.

Leur rôle était de « tendre un miroir à autrui ». Le ou la philosophe devait amener par cette analogie les gens à être « prudents », à voir apparaître « un visage (une personne) en eux ». Parce que nous ne sommes que de passage sur cette terre : « Nous ne sommes venus ici que pour nous connaître » Le scepticisme des plus grands penseurs mésoaméricains fait écho aux réflexions rationnelles d’un Socrate.

Les écrits des peuples indigènes du XVIe siècle nous apprennent que parmi les Nahua, des femmes étaient considérées comme d’importantes philosophes. Un chroniqueur rapporte que la « Dame de Tula » a eu des discussions philosophiques avec Nezahualpilli (1664-1515), le leader élu de Texcoco, éduqué sous les meilleurs auspices puisque fils de Nezahualcoyotl – déjà évoqué. Cette « Dame de Tula » était décrite ainsi : « Elle était si sage qu’elle pouvait argumenter avec le dirigeant et les plus sages de son royaume, et elle était aussi une poétesse hors du commun. »

 

Une autre intellectuelle connue s’appelait Macuilxochitl. Née vers 1435, elle est l’auteure d’un poème impérieux sur la manière dont des femmes sauvèrent un dirigeant ennemi en 1476. Son poème commence sur ces mots : « J’élève mes chants, moi, Macuilxochitl, pour réjouir Celui-qui-donne-la-vie, que la danse commence ! » Après tout, comme l’expliquait Caroline Dodds Pennock en 2018 : « Alors que l’Europe chrétienne punissait la nature pécheresse des femmes par les souffrances de l’enfantement, les autochtones mexicains célébarient la fertilité féminine comme un lien direct vrs la nature et la terre… »

Si nous nous référons à L’Histoire générale…, le travail encyclopédique compilé par Sahagún au XVIe siècle, et plus spécifiquement à son Livre VI, consacré à la « Rhétorique et à la philosophie morale », nous y découvrons un passage crucial, qui concentre en quelques mots la métaphysique nahua. C’est à ce moment où une philosophe (tlamatini) donne à sa fille le conseil suivant, se référant « aux nobles femmes, aux vieilles femmes, à celles qui ont les cheveux blancs, [elles qui] nous ont élevées telles que nous sommes » : « Nous nous déplaçons, et nous vivons, autour du sommet d’une montagne. Par là se trouve un abîme ; et par ici se trouve un abîme. Si tu vas là, ou si tu vas ici, tu chuteras. Ce n’est qu’au milieu [tlanepantla] que tu te dois d’aller, que tu te dois de vivre. »

Cette « philosophie de l’équilibre » qui nous permet de vivre sur cette « terre glissante » est une part vitale de la philosophie nahua. Cette pensée pourrait bien être applicable à notre époque : qui, parmi nous, n’a pas aujourd’hui le sentiment de cheminer sur la crète d’une falaise ? Qui pense être à l’abri de se sentir prochainement glisser sur une pente de plus en plus rocailleuse, de plus en plus forte, jusqu’à chuter dans un gouffre ?

Les penseurs nahua défendaient qu’il fallait rechercher une foulée mesurée, une voie du milieu associant l’être et le vivre, comme le souligne James Maffie dans Aztec Philosophy: Understanding a World in Motion (2014) – Un livre dévolu à la seule métaphysique nahua ; son prochain ouvrage, Toltecayotl: An Aztec Understanding of the Well-Ordered Life, portera sur l’éthique nahua et son concept de bien-vivre.

Teotl est un concept-clé de la pensée nahua : c’est une puissance, une énergie autonome, dynamique, qui s’engendre elle-même, qui « vivifie le cosmos et ce qu’il contient », pour citer J. Maffie. Teotl est, en termes métaphysiques, à la fois immanent et transcendant.

Selon le point de vue panthéiste nahua, qui ne hiérarchise pas le monde entre céleste et terrestre, la vie est essentiellement un mouvement d’entretien permanent de l’équilibre – en sachant que l’abîme se trouve toujours à une enjambée de distance. Si nous devions suivre le conseil des penseurs nahua, nous devrions agir avec plus de soin, jaugeant en permanence les conséquences de nos paroles et de nos actes sur la société. La vérité (neltiliztli) est quelque chose que nous devons chercher en étant authentiquement enracinés en nous-mêmes.

C’est ainsi, estime J. Maffie, que la vérité devient non une question sémantique mais une façon d’être et de faire, un mode de vie. Le concept nahua de vérité peut s’appréhender en termes ontologiques, comme une alètheia heidegerienne fermement établie en l’être. Le sens entier du concept nahua de neltiliztli « inclut un composant heidegerien inaliénable, à savoir l’alètheia non référentielle, le dévoilement », a soutenu Willard Gingrich.

 

Une vision encore plus cosmologique nous vient des hauts plateaux du Guatemala. Là où s’est développée la civilisation maya avancée, avec la cité de Tikal (Yax Mutal) comme épicentre, dans la période classique (250-900 de notre ère). Les Maya ne créérent pas seulement une architecture et un art parmi les plus impressionnants du monde. Ils développèrent une numération de base 20, qui utilisait le zéro positionnel dès l’an 36 avant notre ère– le plus ancien usage attesté du zéro –, et un système d’écriture logosyllabique quelque 1800 ans avant qu’arrivent les Européens. Le déchiffrement des différentes combinaisons des 800 signes – graphèmes qui combinent, comme l’indique le terme logographique, 1) le fait d’être des symboles correspondant à des mots (lemmes) 2) pouvant se lire phonétiquement comme des syllabes – est toujours en cours. En 2018, des tests chimiques ont prouvé que le codex maya de Mexico (connu antérieurement comme « codex Grolier »), tardivement réapparu en 1964, était authentique. Ce document de glyphes syllabiques, en pages faites d’écorces et pliées, a été achevé au plus tard en 1154, ce qui en fait le plus ancien livre d’Amérique aujourd’hui.

Le Popol Vuh, classique maya par excellence, nous raconte comme les différents peuples autochtones, parlant autant de langues très différentes, s’assemblèrent tous dans un lointain passé, dans l’attente partagée du lever du Soleil. Convergeant sur les rives de l’océan Atlantique, regardant vers l’orient, ces peuples divers furent « ensemble liés et exposés comme unité face à la lumière ». Lisons ce qu’en dit la nouvelle traduction du Popol Vuh par Michael Bazzet : « Quel que soit le nombre des communautés / qui existent au monde aujourd’hui / quelque infini que soit que soit le nombre des humains / L’aube est la même pour tous. »

En ce monde qui fait face à la fois à un changement climatique massif et à la désunion des sociétés, les idées maya font plus que jamais sens. Dans son dernier ouvage, Alexus McLeod compare la philosophie maya au taoïsme chinois, en vue d’en dégager des dynamiques similaires. Il souligne également la pertinence de la cosmovision maya, pour laquelle nos actes sont une part de la « création permanente du monde », pour appréhender notre monde global. La philosophie des Maya nous enseigne ainsi que la Création n’est pas quelque chose d’unique, qui ne serait arrivé qu’une seule fois ; la Création est un processus permanent.

 

Par moment, les avertissements des scientifiques sur le changement anthropique que connaît le climat en notre XXIe siècle semblent faire écho à des pans entiers de la philosophie maya, à des passages de son « Livre des conseils » ou Popol Vuh. C’est maintenant, plus que jamais, qu’il semble pertinent de penser notre planète comme une recréation permanente. Peut-être est-il temps de cesser de penser que nous vivons dans un monde stable, créé une fois pour toute, une planète assemblée voici quatre milliards d’années. Nous pourrions aussi considérer que nous-mêmes, et nos actes, et chacun de nos souffles, sommes autant de parts de la création continue de la Terre – ce que pourraient dire les Maya. De cette façon, nous pourrions nous percevoir comme co-créateurs, nous aidant les uns les autres à modeler le monde de demain. Ce serait peut-être la meilleure façon de répondre au défi de notre crise climatique globale, en nous unissant autour d’un objectif commun qui matérialiserait la nécessité de nous penser solidaires. Parce que « l’aube est la même pour tous », il nous faut envisager toutes les communautés, tous les humains comme « ensemble liés et exposés comme unité face à la lumière ».

Si nous ajoutons à cela la philosophie nahua d’appréhension d’un monde en mouvement, toujours attentive à ne pas glisser vers l’abîme tout en progressant sur cette sente de terre glissante, au long d’une falaise abrupte, qu’est la vie terrestre, nous pourrions peut-être nous projeter dans une nouvelle aube – en termes philosophiques. Et qui sait ? Un jour, si nous nous donnons la peine de les écouter, les philosophes classiques de Mésoamérique – dont les descendants et les héritiers culturels sont toujours vivants, et entretiennent cette pensée au Mexique, au Guatemala, à Belize et au Honduras – pourraient nous aider à mieux nous connaître nous-mêmes.

En l’attente de ce jour, nous avons toujours besoin de philosophes capables d’agir « tel un miroir devant les autres » – la seule façon de nous rendre tous prudents et attentifs aux conséquences de nos actes.