En rassemblant plusieurs de ses articles, l'historien Stéphane Audoin-Rouzeau propose une anthologie de la Première Guerre mondiale.

L’un des meilleurs spécialistes de la Première Guerre mondiale, Stéphane Audoin-Rouzeau, a rassemblé plusieurs articles publiés de manière éparse depuis une vingtaine d’années pour approcher la réalité de la guerre dans sa matérialité et sa dureté. L’ouvrage se décompose en trois grands thèmes consacrés à la violence, à l’après-guerre et aux stigmates laissés dans la société.

L’historien propose une généalogie en évoquant également la guerre de 1870. Il permet ainsi d’aborder la violence antérieure à la Première Guerre mondiale au prisme de celle de 1870, durant laquelle apparaissent la violence du feu et les prodromes de déshumanisation de l’ennemi. La partie centrale est bien évidement centrée sur la Grande Guerre. L’auteur étudie la postérité du conflit, à travers plusieurs exemple, comme les affrontements de mai 1968.

 

La guerre en peinture

Le titre "C'est la guerre" est emprunté à une série gravures  du dessinateur et écrivain libertaire, Félix Vallotton, qui illustre à lui seul la complexité du sentiment guerrier. En 1914, Vallotton appartient à cette frange de libertaires, qui, comme l’un des principaux théoriciens de l’anarchisme, Pierre Kropotkine, a pris au début de la guerre le parti de défendre la France, dénonçant la guerre des Allemands contre le droit issu de la Révolution française. Sa série de six dessins, reproduite dans le cahier illustratif, témoigne de la violence du fait guerrier : d’une explosion d’un obus à un combat au couteau entre deux soldats, en passant par des morts sur des barbelés.

Cette violence se retrouve dans l’œuvre de Harold Humme Piffard, un peintre franco-anglais qui peint une Défense de la famille montrant une femme sortant une arme pour défendre son foyer face à une intrusion allemande. Ce mélange des genres explique à la fois la peur du viol de guerre et l’ambivalence des sentiments masculins vis-à-vis des violences. Si Stéphane Audoin-Rouzeau montre l’importance de l’art pour appréhender le conflit, les écrits sont aussi centraux pour sa compréhension.

 

La guerre par l’écrit

Si la guerre a été aussi un moyen de mobilisation des masses, beaucoup y ont participé de leur plein gré et ont soutenu l’effort de guerre. Cette dimension est présente, y compris des figures présentées a posteriori comme étant critiques vis-à-vis du discours guerrier. Ainsi, les reportages du journaliste Albert Londres sont parfaitement conformes aux attentes des autorités civiles et militaires. De même, dans son journal, Anaïs Nin intègre cette culture de guerre, bien qu'elle ne soit qu'une enfant.

La correspondance est aussi un moyen d’approcher au plus près la guerre comme le montre celle entre Fernand Léger et son ami Louis Poughon. Il s’agit d’une complainte contre les conditions des soldats, mais pas contre la guerre. L’infirmier Léger soutient ses camarades soldats. De même, la lettre de Lucien Durosoir, âgé de trente-six ans, violoniste de réputation internationale, raconte sa guerre en mettant en avant les mérites de son couteau, ce qui souligne la limite entre l’écrit et les objets.

 

La guerre par l’objet

Au-delà des discours et de l’intégration du fait guerrier dans les écrits, les traces se retrouvent dans les aspects matériels. Les petites choses du quotidien indiquent la réalité de la guerre. Même si c’est à travers la correspondance de Gustave Dieu, soldat, fils de bonnetiers de Villers-Bretonneux dans la Somme, venu à vélo voir les restes des habitations familiales est caractéristique. Sa lettre montre l’ampleur des destructions et la réalité matérielle des destructions : les corps déchiquetés dans les ruines, les maisons totalement ou partiellement détruites, la moisissure, les portraits et tableaux de famille intransportables : un monde anéanti.

La matérialité se retrouve également dans la canne du soldat Claude Burloux, paysan de l’Ain, fils de sabotier, qui travaille le bois pendant plusieurs mois de front. Un travail extraordinaire sur le plan technique, représentant sur le pommeau des chefs d’État et sur le centre et le bas de la canne des scènes avec des soldats et des animaux. L’objet traduit l’attente entre les combats et la perception du monde de son réalisateur, enfant de la Troisième République marqué par les bataillons scolaires, l’instruction civique et la perte des provinces. L’historien, président de l’Historial de Péronne, rappelle que cette canne a été offerte par la famille de Claure Burloux au musée, dont les collections cherchent à faire en permanence redécouvrir la guerre sous son aspect matériel.

 

Le dialogue historien

Stéphane Audoin-Rouzeau fait preuve d’ouverture vers d’autres domaines qui permettent de représenter et d’imaginer la guerre. La littérature représente une réflexion et un dialogue. Ainsi, l’analyse de Jean Rouaud et de ses Champs d’honneur exprime la nature de l’échange. L’historien pointe les défauts mineurs de l’œuvre littéraire sur le plan de la véracité historique, tout en rendant hommage à la compréhension globale du phénomène guerrier et à sa capacité à en rendre compte.

Il en est de même pour le cinéma à travers les films de Bertrand Tavernier. La Vie et rien d’autre et le Capitaine Conan ne constituent pas uniquement des films inscrits dans une lignée antimilitariste, même s’ils le sont, mais traduisent une compréhension intime de l’ambivalence nationale de la chose militaire.

 

Ce recueil revient également sur la question cruciale pour les proches du deuil de guerre et de son prolongement dans la société française jusqu’à aujourd’hui, comme autant d’incitations à voir les traces de ce qu’a été ce choc traumatique dont les résonances se prolongent un siècle après.