A l'heure de la mondialisation et de la connexion des territoires, les transports jouent un rôle structurant dans l'organisation de l'espace touristique.

Le livre de Jean-Christophe Gay et Véronique Mondou, Tourisme & transport : deux siècles d’interactions, s’inscrit directement dans la littérature foisonnante autour de la question de géographie du CAPES externe et de l’Agrégation externe d’histoire et de géographie de 2018 intitulée « les espaces du tourisme et des loisirs ». Rédigé par deux géographes spécialistes du tourisme insulaire, il constitue un ouvrage de synthèse pour qui s’intéresse au tourisme et aux transports.

 

Une synthèse historiographique inédite

Synthèse historiographique, l’ouvrage répond avant tout à plusieurs attentes pour les étudiants préparant les concours de l’enseignement. Tout d’abord, la présence d’une riche bibliographie à la fin de chaque chapitre pointe l’ensemble des recherches produites dans le domaine touristique au XXe siècle en langue anglaise, française et italienne. On peut toutefois regretter l’absence de diversité disciplinaire comme les travaux des sociologues tels que Saskia Cousin   , Jean Viard   , John Urry   ou encore les travaux des anthropologues comme Jean-Didier Urbain   et Franck Michel   qui auraient pu être mobilisés pour montrer les mutations touristiques en fonction des groupes sociaux (jeunes, célibataires, familles, seniors par exemple) et des pratiques des individus.

Ensuite, la présence d’encarts propose une multitude d’exemples de pratiques touristiques à l’échelle locale, régionale, nationale et mondiale permettant de pousser l’analyse plus loin. Ces encadrés apportent des statistiques, des chronologies, de l’iconographie ou encore des exemples textuels singuliers tels que le choix stratégique pour les Maldives d’ouvrir le secteur aérien à la concurrence pour accroître le tourisme sur les îles, tandis que l’Ile Maurice a fait le choix de préserver sa compagnie nationale aérienne. Cependant,  le continent africain reste le point aveugle de l’ouvrage, ce qui amène à questionner la place de celui-ci dans la mondialisation ; réflexion que les auteurs auraient pu évoquer et explorer. Enfin, à des étudiants peu familiers de ce champ de recherche, un lexique des notions les plus importantes aurait été bienvenu, pour des termes comme site, comptoir, station, tourisme, voyage ou ville touristifiée, entre autres.  

La finalité de l’ouvrage, offrir une vision exhaustive des recherches relatives au domaine du transport et du tourisme, constitue cependant sa principale faiblesse. En effet, la multiplicité des exemples, riches et variés, développés tout au long des chapitres restreint la profondeur d’analyse. Ainsi, on aurait en apprendre davantage sur la révolution engendrée par les NTIC qui propulse le futur touriste au rang d’organisateur-planificateur semblant reléguer les opérateurs du transport et du tourisme en arrière-plan.

Tourisme et transport : vers la prise en compte d’une vision systémique ?

L’ouvrage est divisé en une courte introduction de deux pages puis cinq chapitres thématiques d’une cinquantaine de pages chacun (« Des technologies de la mobilité qui ont favorisé le tourisme », « Les opérateurs du transport, acteurs du tourisme », « Le voyage à tarif réduit comme catalyseur de la diffusion du tourisme », « Lorsque le transport devient du tourisme », « Les transports dans l’aménagement des lieux touristiques ») et enfin, d’une brève conclusion de deux pages.

L’approche choisie met l’accent sur les liens entre tourisme et transport. C’est un angle d’observation pertinent souvent mis en avant par la littérature récente sur le sujet   . Dans un premier temps, le progrès technique a favorisé l’essor du tourisme avec l’accroissement des déplacements, puis, les guides de tourisme rédigés d’abord par des voyageurs-écrivains et, enfin, par les acteurs des transports (touring-clubs, automobile-clubs, Michelin). Dans un second temps, depuis la seconde moitié du XXe siècle, la normalisation des déplacements par l’instauration du passeport et du visa restreignent ou accélèrent les mobilités touristiques selon les nationalités. La valise à roulettes uniformise le touriste ;  le numérique, à l’inverse, révolutionne les institutions touristiques et les manières d’être en faisant du touriste à la fois l’acteur, le gestionnaire, l’organisateur et le promoteur de ses pérégrinations.

La deuxième partie de l’ouvrage explicite les conséquences de la baisse des prix des voyages sur l’essor du tourisme et la mise en tourisme de transports comme le Transsibérien par exemple. Tout d’abord, il s’agit d’orientations qui s’inscrivent dans un long XXe siècle. Par la suite, l’offre low-cost se déploie par des stratégies entrepreneuriales diminuant les taxes d’aéroport en proposant des vols au départ d’un aéroport excentré ou bien en proposant des horaires d’autocar interurbain au petit matin ; choix structurel qui modifie considérablement la pratique touristique. Enfin, les pratiques du touriste qui expérimente l’ailleurs intègrent de nouvelles conceptions du voyage, le slow travel, promouvant la lenteur des croisières et des voyages ferroviaires.

Une des conséquences de la hausse des flux de transports et du tourisme réside dans l’augmentation des pollutions, traitée de manière inégale dans le dernier chapitre. D’abord, dès la fin des années 1970, des mesures sont prises contre la pollution de l’air par les véhicules à moteur réduisant la place de l’automobile dans les stations touristiques – Zermatt en Suisse, Avoriaz en France. Ensuite, la motorisation se voit reléguée hors des centres urbains, car elle constitue une pollution visuelle, comme c’est le cas à Monaco. On peut toutefois regretter l’absence d’évocation de la pollution aérienne ou bien celle due aux bateaux de croisière qui produisent une pression notable sur les écosystèmes, comme en témoigne les effets environnementaux de la hausse du tourisme en Arctique. Plus largement, une thématique transversale à tous les modes de transport est celle du sur-tourisme et de la tourismophobie qui commencent à apparaître depuis 2015 et qu’il aurait été intéressant d’évoquer (le Mont Saint-Michel, Venise ou l’Espagne en constituant de bons exemples).

Une perspective systémique des relations entre tourisme et transport, partiellement initiée dans cet ouvrage en développant les opérateurs et les infrastructures, conduirait à prendre en compte le degré d’autonomisation des usagers lors de l’élaboration de leur périple touristique et la manière dont ils résolvent les aléas qu’ils rencontrent. Quels sont par exemple les moyens et les médias mobilisés par l’usager qui anticipe son voyage touristique ? De plus, un axe de réflexion plus large qui affleure à la lecture de l’ouvrage serait de savoir dans quelle mesure le transport est créateur d’espace touristique et, inversement, si cet espace dynamise l’offre de transports. Enfin, l’essor du terrorisme en ce début du XXIe siècle aurait pu amener à une réflexion sur son impact sur le tourisme. Le choix d’un mode de transport plutôt qu’un autre entre-t-il en ligne de compte avec la problématique des avions détournés ou des prises d’otages dans les trains ? Qu’en est-il des impacts économiques des pays receveurs de touristes après des attentats sur leur sol ? Les manières d’être touriste changent-elles avec cette angoisse permanente de la catastrophe ?

 

En fin de compte, l’ouvrage s'avère riche de références et d’exemples alliant tourisme et transport. Il constitue donc une bonne entrée dans le champ de recherche des mobilités. Les pistes à explorer évoquées précédemment montrent toute la richesse et la relative nouveauté du tourisme comme objet de recherche en sciences humaines. Gageons que l’ouvrage de Gay et Mondou permettra aux jeunes chercheurs d’approfondir les diverses thématiques esquissées.