Un livre nombriliste mêlant pédopsychiatrie, mythologie, éloge du moi et plan média.

Serge Hefez est un psychiatre de talent et un fumiste de génie. Après avoir abreuvé les librairies d’intéressants ouvrages sur la vie psychique des adolescents et des sidéens, voila qu’il dérape et publie un étron littéraire qui voudrait nous faire accroire que notre hyperprésident bling-bling ne serait en fait que notre miroir. Plus fourbe encore, dans la (droite) lignée (de droite) d’un Laurent Joffrin qui raille la gauche caviar   dont il est un emblème des plus aboutis ou d’un Jean-François Kahn qui brocarde les bullocrates   dont il fait partie, notre éminent psychiatre commet un essai qui prétend nous faire penser que les Français(es) sont obsédé(e)s par Nicolas Sarkozy.

Le piège est gros comme un yacht de Bolloré : en participant avec zèle au phénomène qu’il se targue d’expliquer, Hefez entretient la toute-puissance médiatique de Sarko. D’autant qu’il assure activement sa promo, des plateaux de France3 à ceux de Canal+ en passant par des magazines littéraires aussi réputés que Elle   dans lesquels il explique les raisons de cette terrible pandémie qui, paraît-il, nous frappe tous. Décryptage d’un nombrilisme.


Le complexe du germano-pratin

Pour bien accrocher le lecteur, le début du livre s’ancre dans le réel : l’incipit rapporte des propos de patients au bord de la crise de nerfs à cause de leur sarkose obsessionnelle, c'est-à-dire leur obsession de Nicolas Sarkozy, comme ce pauvre homme qui "ramène toujours la conversation sur lui [et] essaie désespérément de comprendre ce qu’il a dans la tête". Rendez-vous compte : nous serions "tous victimes". Et Serge Hefez va nous expliquer pourquoi.

Sauf que. La démonstration tourne court et les symptômes de cette sarkose obsessionnelle sont d’un nombrilisme germano-pratin absolument ahurissant. Par exemple, il semblerait   que le "pays tout entier [soit] suspendu au contenu sentimental d’un SMS". Voire. À supposer que ce fut un sujet de discussion important, le citoyen moyen a ironisé sur l’anecdote et sa vacuité plus qu’il ne s’est précipité dans les kiosques pour en savoir plus. Mais Hefez semble confondre les médias et les gens. Ainsi, il affirme sans complexe   que "plongés dans cette fascination hyper-réaliste de ses émotions […], nous nous abreuvons de [Sarkozy]" ; c’est oublier un peu vite que ce sont les journaux et les magazines qui nous gavent de lui… et qui nous gavent tout court ! Pour l’anecdote, ces lignes sont écrites dans un train et j’ai été interpellé par mon voisin s’exaspérant du titre de l’essai : "encore un livre sur lui… J’en ai marre de voir sa gueule partout, pas vous ?" CQFD.

Bref, l’inventeur de la sarkose obsessionnelle semble oublier un peu vite qu’il y a un monde réel avec des gens qui ont d’autres soucis et d’autres intérêts que la couleur du slip du président de la République. Car les conversations sarkostiques qui animent les matinées du Café de Flore sont celles d’une élite qui n’a généralement pas d’autre souci que d’échanger des potins pour se distraire ou les relater dans un éditorial rédigé à la va-vite.


Entre mythologie et pédopsychiatrie

En bon psychologue de magazine, Serge Hefez multiplie les allusions freudiennes et les références légendaires. Entre Lancelot le chevalier raté et Œdipe le parricide, on trouve Narcisse le malheureux. Symbiose de ces trois mythes, Nicolas Sarkozy serait donc, tenez-vous bien à votre fauteuil, le nouvel emblème de la virilité. Ni plus ni moins. Aussi sexy en joggeur du dimanche qu’en businessman encravaté, le papa poule fort et fragile à la fois incarnerait l’homme du troisième millénaire. Et s’il nous obsède tant, c’est parce qu’il est comme nous… en mieux ! Le quatrième de couverture résume d’ailleurs cette thèse avec une accroche des plus convenues : "et s’il n’était que notre miroir…" Ben voyons !

Mais curieusement, alors que le livre nous en promet des tonnes sur la sarkose obsessionnelle, le chef de l’État est assez peu mentionné en tant que tel et laisse vite la place à un pamphlet (très) édulcoré contre la société de consommation et les errements de l’hyperprésident, qui "remplace une femme qui s’en va par une autre qui lui ressemble, en plus jeune et plus belle" ou qui traumatise les têtes blondes de l’hexagone en voulant leur faire porter le fardeau d’un enfant mort de la Shoah. Ce qui nous vaut un mini-traité de pédopsychiatrie digne d’un hors-série de Femme Actuelle.

En plus cette méconnaissance des rouages mentaux des jeunes cerveaux, Sarko serait un gros mytho. Et Serge Hefez, qui l’a bien remarqué mais n’a visiblement jamais assisté à une élection présidentielle avant celle de 2007, relève avec une naïveté des plus touchantes au sujet de celui pour lequel il a semble-t-il voté   : "son vrai mensonge, celui qui nous écoeure comme une obscénité, c’est de nous avoir fait croire – avec une telle force que 53% d’entre nous l’ont cru – que lui donner le pouvoir allait nous faire du bien." C’est généralement le but de tous les candidats, non ?

Ce bouquin fait donc partie des nombreux ouvrages parfaitement dispensables dont nous abreuvent les médias à grand renfort d’éditorialistes panégyriques. C'est-à-dire du vide vaguement rebelle qui vise à revendiquer le rôle d’un contre-pouvoir factice que beaucoup d’entre eux ne remplissent plus, faute d’indépendance et d’irrévérence vis-à-vis des puissants. Reste un vague traité de psychologie et un ersatz de pamphlet contre l’individualisme. Probablement un grand soulagement pour son auteur : à défaut de produire un livre utile, écrire ces pages aura libéré Hefez de ses névroses et de ses frustrations. On n’en attendait pas moins d’un psychiatre.