Le poète Jehan Mayoux fut un insoumis de toujours : son rapprochement avec le surréalisme était inévitable.

Dans sa Petite philosophie du surréalisme, Jehan Mayou rappelle un point essentiel : « L’imaginaire est une des catégories du réel et réciproquement. » Il le prouve dans La Rivière Aa, republié par les éditions William Blake and Co après sa première publication en 1976 chez l’éphémère Peralta.

Fils d’enseignants pacifistes et anarcho-syndicalistes, l’auteur, lui-même instituteur, se rapproche des mouvements libertaires et rejoint dès 1933 le surréalisme. André Breton et Paul Éluard le publient dans Le Surréalisme au service de la révolution, no 5, et il devient l’ami intime de Benjamin Péret.

Les deux se rejoignent dans leur humour, leur liberté d’invention, leur désir de révolution – des vertus qui mèneront Mayoux en prison et en déportation. En 1939, il refuse la mobilisation et est condamné à cinq ans de prison. Il s’évade, est repris par les autorités de Vichy puis est déporté par les Allemands en Ukraine. Il demeurera insoumis – et syndicaliste –  jusqu’à sa mort en 1975.

En tant que poète, il reste scandaleusement méconnu. La rivière poétique qui donne son nom à ce petit livre charrie un déferlement d’images propres à décrire les êtres que l’on croise dans les « gares de pleine nuit sentiers de feuilles stades cafés de village » ou autres « décombres dans les dimanches de banlieue », là où « passant se dit d’un quidam » et où les femmes parées comme des pièces de viande sur un étal de boucher deviennent des « bestiaux héraldiques » piégés par leur condition de pauvreté et de souffrance.

Mayoux est à l’écoute non seulement de tels êtres perdus et perdants, mais aussi des paysages qui sont les leurs : « Dunes routes à plusieurs voies forêts marchés au poisson / Boulevards ombragés glaciers boutiques calamistrées ports / Plaines de blé autobus urbains marais coassants [...] Monde inconnu soudain reconnu souffle coupé ». C’est tout un univers hirsute que la voix du poète rappelle (plutôt qu’elle ne l’expulse), en des coulées où gronde une sourde révolte. Sous les cerisiers parés de blanc le rouge est mis comme si le temps de leurs fruits allait se gonfler de sang.

Le poète fait appel à tout le clavier des sens dans une écriture-action où se croisent les ouvriers des chantiers et les demoiselles de pensionnat, à l’heure où « le soleil grille sa première cigarette ». Le texte est fabuleux car le monde grouille. La Rivière Aa avance jusqu’à Xx, Yy et Zz sans faire le lit de la clémence. Rien d’artificiel dans ce magma verbal. La sincérité est patente dans ces chants qui font la synthèse de la comédie humaine et de ses fausses donnes comme l’auteur le fit dans Principe d’équivalence et surtout dans Traité des fourchettes, qui fournit la recette suivante : « Je donne vie à un objet et il mange pour moi. »