Plongée dans l’un des bastions du communisme. A. Viguier analyse le communisme français à son apogée tout en pointant les causes endogènes et exogènes de son déclin à partir de la fin des années 1970.

Ce livre est né d’une thèse soutenue en 2017 à l’Université Paris 1. L’auteur, Alain Viguier, ancien cadre chez Renault et militant maoïste, a conduit une enquête au long cours sur ce qui a longtemps été décrit comme une forteresse ouvrière, symbole s’il en est de l’implantation du communisme en milieu ouvrier. En suivant un plan chronologique, il étudie les grandes évolutions du PCF dans l’usine, qui comme un jeu de miroir, se répondent. Quatre grandes phases y sont décrites : la Libération et la période de la guerre froide, la phase de grande croissance des années 1950 à la veille de mai 1968, l’entre deux mai (de Mai 1968 à mai 1981) et la décomposition finale de l’usine mais peut-être aussi du communisme.

 

Un bastion

L’usine Renault de la commune de Billancourt, qui a fusionné avec la ville de Boulogne au début du XXe siècle, a été un territoire et une vitrine du communisme. Les rues du quartier de Billancourt sont des espaces publics dans lesquels le PCF imprime sa marque, s’y rendant visible de différentes manières, de la prise de parole à la manifestation en passant par le meeting. L’usine Renault est considérée depuis 1936 comme l’un des principaux lieux d’implantation du PCF. Le Parti y aurait eu 6 000 membres – chiffre qui à ce jour n’a jamais été soumis à examen. À la Libération, le PCF, contrairement aux cas d’autres entreprises, rate le coche de la gestion par « les patriotes éprouvés ». Les autres courants de la Résistance empêchent la prise de contrôle de l’usine par le Parti.

Cependant, la CGT, quasiment entièrement contrôlée par le PCF, impose, par son poids déterminant en terme de syndiqués, un rapport de force en la faveur du Parti à l’usine nationalisée. Elle participe pendant deux ans à la bataille de la production et donc à la rationalisation de la production, puis à la direction autoritaire de l’entreprise. Le nombre de membres du PCF passe de 700 à 2 000 entre 1945 à 1947, ce qui interroge sur la réalité du chiffre de 1936, dans la mesure où les effectifs nationaux sont à ces dates 2 à 3 fois supérieurs à ceux du Front populaire. Ces chiffres montrent par l’absurde en quoi le PCF a voulu faire de Renault sa vitrine. La participation du PCF au gouvernement trouve son issue avec l’entrée définitive en guerre froide. La dichotomie entre les mots d’ordre politique et la réalité ouvrière se résout avec la fin du tripartisme, le 4 mai 1947. Dans l’usine, les dissensions ont commencé quelques jours auparavant avec la grève lancée dès le 25 avril par des ouvriers non communistes. Jusqu’au 4 mai, le PCF et la CGT sont dans une situation ambiguë appelant à rejoindre le mouvement avec des mots d’ordre différents. La rupture du tripartisme le libère.

Le PCF submerge les autres groupes et s’institue comme seule force opposante. Il prend progressivement dans l’usine le contrôle de l’ensemble des instances de gestion, comme le Comité d’entreprise, qui devient alors un relais de propagande. Ce CE organise des participations au festival mondial de la jeunesse ou au rassemblement pour la paix en Italie. Le PCF s’est construit réellement un bastion dans l’usine. Le nombre de membres grossit chez Renault alors qu’il décline partout ailleurs dans les entreprises automobiles. Il incarne l’usine et c’est finalement le modèle qu’il porte pendant deux décennies.

 

Le communisme à son apogée

En effet, les années 1950-1960 favorisent la stabilisation du recrutement des personnels ouvriers. Elle bénéficie au Parti et à la CGT. Ils deviennent les porte-paroles des revendications et finalement participent de l’encadrement dans l’entreprise, non pas comme les cadres ou les responsables du personnel, mais par la gestion des revendications ouvrières et la négociation avec la direction. Parallèlement, le Parti conduit une politique à destination des travailleurs immigrés est se montre favorable à l’indépendance de l’Algérie. C’est l’accord d’entreprise de 1955 qui offre à la CGT la possibilité de devenir l’interlocuteur de la direction.

L’auteur constate que les mots d’ordre du Parti sont finalement peu suivis quand il s’agit de questions politiques, et écoutés lorsqu’il est question de revendications sociales. Comme en témoigne la différence entre les effectifs du PCF en 1953, d’environ 1 000 membres, et le nombre de votants pour la CGT de 17 000. 1 000 est à un peu près le nombre maximal de personnes assistant à des réunions politiques que le PCF peut organiser place nationale à Billancourt. En ce lieu, centre de la vie politique de l’entreprise, les dirigeants communistes s’y succèdent pour rendre compte de la politique du Parti, attirant, parfois, une assistance finalement limitée au regard de l’influence syndicale de la CGT. L’auteur souligne que le Parti utilise en revanche à merveille cette courroie de transmission comme vivier de recrutement, et ses cercles concentriques comme le contrôle du Comité d’entreprise, et la bibliothèque utilisée pour promouvoir aussi les autres couronnes extérieures du communisme.

 

Le divorce et l’effritement

L’auteur montre bien que Mai 68 constitue un choc pour le PCF. La ligne du Parti, qui justifie et valide l’accord de Grenelle, entraîne la contestation de sa base, entrée en sympathie avec la concurrence d’extrême gauche. Même si la ligne du Parti reste majoritaire chez les militants, les événements de Mai 1968 constituent un ébranlement, d’autant que les conflits sociaux dans l’entreprise, comme dans le reste de la métallurgie, sont davantage portés par des établis d’une part et par des ouvriers spécialisés, souvent issus de l’immigration, d’autre part. Comme dans le reste de la société, le PCF a du mal à canaliser les contestations. La « lutte pour le bifteck » a été supplantée par la lutte pour « la qualité de vie ». Les efforts de recrutement et le volontarisme politique permettent de compenser ce recul et même de connaître une croissance des effectifs en trompe-l’œil.

L’embellie est de brève durée et le mirage se fracasse sur l’échec de l’Union de la gauche et la difficulté que le PCF a à s’adapter aux nouvelles stratégies managériales et celle des rapports sociaux dans l’entreprise. Entre 1981 et 1984, le communisme dans l’usine est porté par les lois sociales mais elles entrent en concurrence avec les nécessités économiques imposées par le tournant de la rigueur. Le PCF adopte de nouveau une posture combative mais il a perdu de son audience et ses relais se sont amenuisés. Avant la fermeture de l’île Seguin, le conflit autour des « 10 de Renault », ces militants qui avaient pénétré de force dans les bureaux de la direction et dont l’affaire judiciaire devient un symbole et l’ultime tentative de renverser un rapport de force.

 

Cette étude finement conduite montre que le PCF a finalement davantage accompagné les politiques de la direction que réussi à imposer une autre politique. Privilégiant l’encadrement et le recrutement, les militants communistes se sont davantage intégrés au système, loin de l’image que le PCF a cherché à donner de lui même.