Dans cet épisode, Jean-François Dunyach, spécialiste du monde britannique au XVIIIe siècle, présente les grands changements politiques et sociaux en Grande Bretagne et en Amérique.

 

« Brèves de classe » - Podcast pour l'APHG

« Le modèle britannique et son influence au XVIIIe siècle »

 

 

Présentation de l'intervenant : Jean-François Dunyach, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, agrégé d’histoire, Maître de conférences Habilité à Diriger des Recherches en Histoire moderne, Sorbonne Université. Spécialiste de l’histoire de la Grande-Bretagne et des échanges franco-britanniques et atlantiques au XVIIIe siècle, il a notamment publié et codirigé :

• Avec Alban Gauthier, L’Empire britannique, une communauté de destins, Rennes, Presses Universitaire de Rennes, 2018 ;

• Avec Aude Mairey, Les âges de Britannia, Repenser l’histoire des mondes britanniques (Moyen Âge-XXIe siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015 ;

• Avec Nathalie Kouamé, Sous l’empire des îles, Histoire croisée des mondes britannique et japonais, Paris, Karthala, 2020 ;

• À paraître, Histoire de la Grande-Bretagne, Paris, Presses Universitaires de France, Que Sais-Je ?, 2020.

 

 

Bibliographie :

 

• Bernard Cottret, La glorieuse Révolution d'Angleterre : 1688, Paris, Gallimard (1988) 2013.

• Edmond Dziembowski, Un nouveau patriotisme français, 1750-1770 : La France face à la puissance anglaise à l’époque de la guerre de Sept Ans, Oxford, Voltaire Foundation, « Studies on Voltaire and the Eighteenth century », 1988.

Id., Le siècle des révolutions (1660-1789), Paris, Perrin, 2019.

• Joséphine Grieder : Anglomania in France, 1740-1789. Fact, fiction and political discourse, Genève, Droz, 1985.

• Catherine Larrère, « Les typologies des gouvernements chez Montesquieu », Études sur le XVIIIe siècle, Clermont-Ferrand, Université de Clermont II, 1979, p. 88-102.

• Harold J. Laski, « The English Constitution and French Public Opinion (1789-1794) », Politica, 3, 1938, p. 27-42. »

• Edna H. Lemay, « Les modèles anglais et américain à l'Assemblée constituante », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, n° 191, 1980, p. 872-884.

• Claude Nordmann, « Anglomanie et anglophobie en France au XVIIIe siècle », Revue du Nord, n° 261-262, 1984, p. 787-803.

• Céline Spector, « L'Esprit des lois de Montesquieu : entre libéralisme et humanisme civique », Revue Montesquieu, 2, 1998, p. 139-161.

• Ann Thomson, Simon Burrows & Edmond Dziembowski (dir.), Cultural Transfers, France and Britain in the long Eighteenth century, Oxford, Voltaire Foundation, SVEC, vol. 2010:04, 2010.

• Édouard Tillet, La constitution anglaise, un modèle politique et institutionnel dans la France des Lumières, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2001, en ligne https://books.openedition.org/puam/1452?lang=fr

• Michel Verpeaux, « Quelle ‘Constitution anglaise’ (1748-1848) ? », Revue d'histoire des facultés de droit et de la culture juridique, n° 13, 1992, p. 303-316.

• David Williams, "French Opinion concerning the English Constitution in the Eighteenth Century", Economica, London School of Economics and Political Science, X, 1930, p. 295-308.

 

Déroulement de l'émission : 

 

État général des îles britanniques leur situation en Europe au tournant du XVIIIe siècle.

Sur le plan politique : quelle est la situation depuis 1688 ? (rappels de la Glorieuse Révolution à l’Union de 1707, les partis politiques) : 1679 et 1689 – Habeas Corpus et le Bill of Rights.

Les institutions politiques : la monarchie et le Parlement britanniques : peut-on parler de monarchie parlementaire ? Le refus de l'arbitraire royal.

Le « modèle » britannique : en quoi consiste-t-il, qui en sont les propagateurs et les propagandistes (moment, thèmes, publics, rayonnement, les philosophes etc.) ?

Les limites du modèle en Grande-Bretagne et en Europe : critiques de la représentativité des institutions, critiques de l’hégémonisme / impérialisme britannique.

Les limites du modèle en dehors d’Europe : la révolution américaine… Peut-on parler d’un modèle américain à la fin du XVIIIe siècle ?

Conclusion : bilan, évolutions ultérieures du « modèle » britannique.

 

Document : Comparaison des constitutions française et britannique dans L’Espion français à Londres (1778-1779)

« [La constitution] de la Grande-Bretagne est supérieure à tout ce que l’antiquité a de plus remarquable dans ce genre. Le politique que je viens de citer, la divise en trois branches ; savoir, la puissance législative, la puissance exécutrice du droit des gens, & la puissance exécutrice de celle qui dépend du droit civil. […] Ces trois pouvoirs, par la constitution fondamentale de la Grande-Bretagne, sont enchaînés l’un à l’autre. […]

Un sujet en France, né dans l’obscurité, peut bien par son mérite personnel arriver aux premières marques d’honneur, mais il ne deviendra jamais premier pair. […] En Angleterre le livre d’or est ouvert pour tous ceux qui ont assez de mérite pour s’y faire inscrire. Lorsqu’ils sont législateurs, ils sont à côté du trône, & partagent avec le monarque, le droit de souveraineté. Comme l’institution libre est au-dessus de ces préjugés vulgaires, qui distinguent les personnes par la naissance & la fortune, les grands ne dédaignent pas les citoyens membres du parlement. Étant assemblés, pour régler les affaires de la république, ils sont tous égaux.

L’égalité introduit l’uniformité ; on n’y voit point de ces distinctions affligeantes, qui anéantissent la nature, en plaçant un homme à une distance infinie d’un autre homme. Dans un état où l’industrie est l’âme de la société, il n’y a point de profession avilissante ; tout art, tout métier, qui augmente la richesse politique, est glorieux. Les premiers seigneurs ne dédaignent point de s’allier avec le marchand drapier, le boutiquier, que dans tout autre gouvernement l’on méprise.

Par la constitution fondamentale, le marchand, l’artiste, le mécanicien même, lorsqu’il contribue à augmenter la richesse de l’État, y trouve une considération qu’il chercherait en vain dans tout autre gouvernement, & y est estimé au-dessus de celle que peut acquérir le héros. […]

Dans un gouvernement où tous les membres tiennent à la république générale, le corps politique a en lui la source de toute industrie. C’est dans les actes du parlement, en Angleterre, qu’est la science de chaque art ; c’est dans ce maître que chacun trouve le principe de sa profession. II faut que chaque citoyen soit occupé, & qu’il le soit relativement au bien public. Chacun participant à la république, elle devient l’ouvrage de tout le monde.

[…] Chacun se taxe volontairement. Le citoyen ne regarde pas comme un vol fait à sa fortune, la somme qu’il donne pour augmenter celle de l’État. […]

Les grands législateurs lient les vertus morales aux politiques ; c’est par le principe de sa constitution, que la Grande-Bretagne s’est rendue respectable à l’univers, par un événement mémorable dans l’histoire de l’humanité.

Tandis que la France bannissait ses citoyens, l’Angleterre mettait ces fugitifs au nombre des siens. Jamais la loi de l’hospitalité ne fut exercée avec tant de générosité. L’histoire ancienne & moderne ne produit rien d’aussi grand que l’accueil fait à des infortunés, à qui on ne pouvait reprocher d’autre crime que de s’assembler dans les temples pour prier Dieu suivant les lois de l’évangile. On ne les reçoit pas comme des étrangers malheureux à qui l’on accorde quelques secours passagers, mais ainsi que des frères de la même communion, à qui on donne un établissement fixe : chacun se cotise. […] L’humanité peut produire quelqu’acte particulier de générosité, la constitution seule peut les rendre généraux. […]

C’est à cette hospitalité que l’Angleterre doit ce nombre prodigieux de manufactures, dont la main-d’œuvre le distingue de tous les autres États de l’Europe. Mais c’eut été en vain que tous les protestants de l’univers fussent passés en Angleterre, avec tous les arts & les métiers du monde ; les fabriques ne fussent jamais établies, si le gouvernement & le génie de la nation n’y eussent coopéré. Que n’ont pas fait l’Espagne & le Portugal pour établir la main-d’œuvre dans leurs États ? Ils n’ont épargné ni richesses, ni intrigues ; mais toujours en vain, parce que leur despotisme s’y opposait, & que celui-ci éteint toute sorte d’émulation.

La noblesse, dans tous les autres États, est fière, haute, ignorante, indolente, laisse l’état économique comme elle le trouve. En Angleterre, ce sont les seigneurs qui jettent les premiers fondements de l’industrie publique. […]

C’est par cet esprit général du bien public que des factoreries anglaises sont établies dans tous les ports de mer de l’Europe, afin de faire le commerce de la première main.

L’Amérique, liée à l’Angleterre, contribue beaucoup à sa puissance ; les sujets Bretons qui l’habitent, sont les enfants de l’État : même gouvernement, même langue, mêmes lois, mêmes mœurs. Le corps politique a pour maxime inviolable, qu’il ne peut faire du mal à ses compatriotes, sans s’en faire encore plus à lui-même. II est décidé qu’il ne peut faire la guerre à ce peuple marchand, sans se rendre criminel de lèse-nation.

C’est de ce premier principe que sont venus tant d’écrivains utiles.

Pendant que le siècle de Louis XIV donnait à la France des Racine, des Molière, des Boileau, celui de la Grande-Bretagne faisait naître des Newton, des Locke, des Temple, des Raleigh, qui ont joint à la philosophie une connaissance plus utile à la société, celle de l’enrichir en l’éclairant sur le commerce. […]

Lorsqu’une constitution est fondée sur de vrais principes, elle anime les différentes parties de la société générale ; c’est une fontaine qui arrose toute la république, & fait croître partout de bonnes plantes. Ce n’est pas seulement autour du trône d’Angleterre qu’est cette noble émulation, les provinces & les États contigus s’en ressentent. C’est ici qu’on peut sentir la différence des constitutions d’un royaume à un autre. »

Pierre-Ange Goudar, L’Espion français à Londres, ou Observations critiques sur l’Angleterre et sur les Anglois…, Londres, (1778-1779) 1780, pp. 43-57.

 

Pierre-Ange Goudar (1708-1791), aventurier, voyageur, journaliste et littérateur français, parfois espion au service de la France. Dans L’Espion français à Londres, d’abord paru en feuilleton hebdomadaire entre 1778 et 1779, Goudar joue sur la curiosité du public français pour y exposer, souvent de manière satirique, ses réflexions sur la politique et la société britanniques.

 

 

Biographie : John Locke (1632-1704)

Philosophe empiriste (pour lequel nos connaissances proviennent de l’expérience sensible), John Locke fut également un penseur politique défendant la notion de droit naturel. Issu d’une famille puritaine, il devint, après des études variées à l’université d’Oxford, le secrétaire d’Anthony Ashley Cooper, futur comte de Shaftesbury et Lord chancelier d’Angleterre. Il exerça également des fonctions dans l’administration anglaise, notamment comme secrétaire du Conseil de commerce et des colonies puis comme membre du Bureau de Commerce. Il participa également à la rédaction des Constitutions fondamentales de la colonie anglaise de Caroline. De sensibilité politique whig, comme son protecteur, Locke exprima très tôt son opposition à l’autoritarisme des souverains Stuarts. Il soutint la Glorieuse révolution de 1688 dont il fut l’un des principaux interprètes et théoricien en philosophique politique. Il publia en 1689 le Traité du gouvernement civil (Two Treatises of Government en anglais) ainsi que la Lettre sur la tolérance, avant l’Essai sur l’entendement humain en 1690, où il exprima son empirisme philosophique. Il donna encore des Pensées sur l’éducation (1693) et un traité théologique, le Christianisme raisonnable (1695).

Dans son Traité du gouvernement civil, Locke fonde sa théorie politique sur la liberté innée et réelle de l’homme. L’homme, libre et aspirant au bonheur, possède une vie qui lui est propre et qu’il a le droit et le devoir de conserver. Selon Locke, pour les hommes, il n’est de pouvoir politique qu’en société, fondé sur un contrat librement consenti établissant des lois pour se gouverner. Ces lois doivent fidèlement exprimer et défendre les droits naturels de l’homme que Locke définit comme la liberté individuelle, le droit à la vie et à fonder une famille, le droit de propriété et le droit à échanger les fruits de son travail. Selon lui en effet, l’homme est propriétaire de son corps et de son esprit, des biens et richesses acquis par son travail, mais également de sa liberté, de sa santé, de sa sécurité, et de tout ce qui est nécessaire à son existence.

Pour s’assurer que la loi naturelle est mise en œuvre (la protection de tous et le respect des droits naturels), il faut un contrat social entre les individus, contrat qui crée une communauté qui seule détient tous les pouvoirs, et qui transforme les droits naturels en lois concrètement applicables. Locke distingue ainsi un pouvoir suprême (le législatif, qui crée la loi et appartient à la société) et un pouvoir exécutif (qui gère l’administration et recourt à la force si besoin).

Le libéralisme philosophique de Locke exerça au XVIIIe siècle une influence importante quoique contrastée sur plusieurs philosophes des Lumières et sur les théories politiques contractualistes (fondées sur un contrat).

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