Les lumières de Niterói nous invite à réfléchir sur notre humanité à travers une série d’aventures vécues par un duo tragi-comique.

Dans le Brésil des années 1950, Hélcio est un jeune homme voué à un destin exceptionnel dans l’univers du football. Doué balle au pied, il s’impose progressivement dans les différents clubs de Niterói, d’abord dans celui de l’usine locale, le Manufatora Atlético Cube puis au Canto Do Rio, appelé le « Cantusca ». Il est accompagné de son ami Noël, serveur dans un bar de plage. Noël souffre d’une malformation physique qui le définit dans le regard des autres. La veille d’un match important contre le Vasco da Gama, l’un des clubs les plus prestigieux de la baie de Rio de Janeiro et du Brésil, les deux compères aperçoivent au loin un homme en train de pêcher à la dynamite. L’occasion est trop belle ! Ils ne peuvent passer à côté de cette aubaine et décident d’emprunter une barque pour aller récupérer les poissons et les revendre sur l’île de Paquetá. Ce qui devait être la combine la plus simple et la plus efficace se transforme peu à peu en une réelle épreuve. Une série de péripéties les pousse dans leurs derniers retranchements et vient mettre à mal ce qui leur est le plus précieux : leur amitié.

Marcello Quintanilha est né en 1971 à Niterói, au Brésil. Auteur récompensé à plusieurs reprises dont le Prix du Polar à Angoulême en 2016 avec Tungstène, il s’impose comme la figure de proue de la bande dessinée brésilienne. Les lumières de Niterói, librement inspiré de la vie de son père, emmène le lecteur sur les plages de la baie de Rio de Janeiro, territoire de jeu privilégié de l’auteur. Quintanilha entremêle les récits avec une aisance et une fluidité impressionnantes. Ici point de rupture, ni de raccord maladroit, le récit est fait de hauts et de bas, de flash-back et de moments présents, à l’image de la vie de tous les jours. Quatre grands mouvements se dégagent aisément au fil de la lecture sans que le lecteur ne soit jamais perdu dans un enchevêtrement scénaristique. Spectateurs, nous vivons l’histoire et les aventures comme si nous étions la conscience du héros depuis ses rêves d’enfant avec un ballon jusqu’à ses premiers pas au sein du Canto Do Rio. Les deux folles journées vécues par le duo constituent le nœud du récit et révèlent des cases en pleine page d’une grande expressivité et d’une grande virtuosité. Le travail sur la planche est riche et vif avec un jeu permanent entre la verticalité et l’horizontalité de la case qui n’est pas un simple artifice, mais bel et bien motivé par la dynamique interne au récit. Les tons assez chauds permettent une contextualisation du lieu soulignant un certain exotisme.

L’amitié, la vraie protagoniste ?

Les lumières de Niterói entraîne le lecteur, et autorise une identification avec les personnages. Qui ne s’est pas reconnu dans cette paire antagonique ?  Qui n’a pas revécu des souvenirs d’adolescence ou de jeunes adultes en suivant les mésaventures de ce binôme carioca ? La dimension picaresque du récit fait écho aux duos sacrés de la littérature et du cinéma tels que Don Quijote et Sancho Panza, ou encore Laurel et Hardy et peut-être même Terence Hill et Bud Spencer. Chacun se retrouve dans ces personnages hauts en couleur : l’un, bel homme, à qui tout semble réussir, promis au rêve de tout gosse : devenir footballeur professionnel ; l’autre, moins gâté par le destin, devant vivre avec une malformation physique et qui se contente de son job de serveur. Mais tous les deux sont animés par cette fureur de vivre, une folle envie de s’en sortir. On vit leur escapade, se remémorant ses propres quatre cents coups, souffrant avec eux, haletant avec eux, on accompagne leur chute et leur résurrection. Parce qu’il est bel et bien question ici de mort et de renaissance ! Certes symboliques, mais tout aussi réelles, ces étapes initiatiques, partagées par le plus grand nombre, pour en sortir grandi, comme en sortent grandis les héros, peut-être l’un davantage que l’autre. L’identification du lecteur s’amenuise progressivement tant le héros Hélcio semble être inaccessible, touché par la grâce, son capital sympathie s’étiole au fur et à mesure qu’il bascule sur l’oublié, ce frère de l’ombre.

Toutefois, nous pouvons regretter que le futebol ne soit réduit qu’à une toile de fond. Ce sport, qui était et est toujours une religion au Brésil, a cette faculté de rassembler ce qui est épars, d’unir toutes les strates de la société derrière un seul étendard. Le football représente encore aujourd’hui un ascenseur social, mais aussi une lutte violente sur la voie du triomphe. Une chronique sociale peut-être plus poignante si Quintanilha avait fait le choix d’insister sur cet aspect-là.