Ce colloque de 2019 revient sur le rapport des Polonais à la Shoah et l’antisémitisme prégnant à ce moment dans la société.

La publication rapide des actes a répondu à une urgence, née de la tentative d’intimidation entreprise par une trentaine de nervis mélangeant nationalistes, négationnistes et catholiques intégristes polonais. Les 21 et 22 février 2019, ils ont tenté d’empêcher l’expression d’un débat sur la relation de la Pologne et son histoire. Les organisateurs souhaitent montrer les évolutions et les acquis de la recherche en Pologne sur la Shoah et plus largement sur l’antisémitisme polonais.

Après un prologue consacré aux évolutions de l’historiographie de la Shoah, l’ouvrage distingue deux phases : la première sur l’extermination des juifs et la seconde sur la mémoire de la Shoah en Pologne.

 

Une question historiographique

Le colloque est largement construit autour des travaux de Jan Gross, l’auteur Des Voisins : 10 juin 1941. Un massacre de Juifs en Pologne recherche portant sur un pogrom conduit par des Polonais en 1941. Physicien, il quitte la Pologne après 1968 à la suite de la campagne antisémite. Il entame aux États-Unis un doctorat sur la Société polonaise face à l’occupation allemande dans lequel il consacre seulement une page et demie à la question juive. C’est cette absence de réflexion initiale qui a en partie déterminé la poursuite de ses recherches sur les Polonais face à l’extermination des Juifs et sur la place de l’antisémitisme dans la société polonaise. Facilités par la fin du communisme, les travaux de Jan Gross ont brisé le halo de silence. Depuis l’historiographie polonaise sur la Shoah, grâce notamment au travail des chercheurs du Centre de recherche sur l’extermination des Juifs, a beaucoup progressé, permettant une approche précise du sujet.

 

Les Polonais et la Shoah

Dans la première partie du colloque, les différentes contributions reviennent sur la participation des Polonais à l’extermination des Juifs. Certains articles rappellent en filigrane la place de l’antisémitisme en Pologne avant la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs contributions soulignent l’importance des témoignages extérieurs pour faire l’histoire de la Shoah. Ainsi, Jan Grabowski montre qu’une part substantielle de la société polonaise a directement aidé les nazis dans leur projet, soit comme supplétifs policiers, par la dénonciation et par la spoliation. Les exemples de survies sont très peu nombreux. L’exemple de la région de Novy Targ montre le contrôle tatillon des autorités locales polonaises et leur soutien à l’extermination. Certains Polonais participent aux massacres des Juifs réfugiés dans cette région montagneuse.

Inversement, outre les analyses sur le rôle de Zegota, l’organisation créée spécialement pour sauver les Juifs de l’extermination, des communications se penchent sur les rôles des communistes qui ont aussi sauvé des Juifs mais davantage parce qu’ils appartenaient à des réseaux militants. D’autres communications se penchent sur les faibles possibilités de survie en Pologne et étudient Auschwitz dans le processus d’extermination de l’ouverture du camp à la gestion de sa mémoire dans la Pologne contemporaine.

 

Une question mémorielle

La deuxième partie est consacrée à la perpétuation de la mémoire de la Shoah en Pologne. L’analyse du pogrom de Kielce de 1946 vient montrer que les tentatives d’explication par une manipulation des services secrets soviétiques ne résistent pas à l’examen. Ce pogrom repose sur la participation de Polonais, dont l’antisémitisme est manifeste. Il s’appuie sur les vecteurs traditionnels de l’antijudaïsme chrétien comme l’accusation de meurtre rituel.

De même plusieurs contributions rappellent que l’antisémitisme demeure un élément structurant de la vie politique et sociale en Pologne. Certains Polonais « justes parmi les nations » servent de justification, comme Irena Sendler, alors qu’elle ne représente que sa propre volonté. En effet, les travaux sur les journaux des survivants et ceux des morts retrouvés sous les décombres des différents ghettos témoignent presque tous de la prégnance de l’hostilité des Polonais vis-à-vis des Juifs. La campagne antisémite de 1968 lancée par le Parti ouvrier Polonais (le PC) s’inscrit dans la volonté du Parti de retrouver une légitimité et une assise auprès de la population.

 

Les actes du colloque permettent de comprendre que l’antisémitisme latent dans la Pologne contemporaine est la résultante d’une longue histoire. La crise actuelle reprend ainsi certains mythes nationaux de l’Histoire polonaise que la campagne de 1968 a réactivé. Les tensions contemporaines rendent le travail des historiens de la Shoah en Pologne particulièrement difficile, s’ils ne veulent pas se soumettre aux dictats de la majorité.