Un ouvrage riche et intéressant qui aborde un grand nombre des questions liées aux évolutions actuelles d'Internet.
Le sous-titre, "L’alchimie des multitudes", peut laisser craindre un essai un peu abscons.
En fait, depuis San Francisco, Francis Pisani, connu pour son blog dédié aux nouvelles technologies Transnets.net, et Dominique Piotet, de L’Atelier, cellule de veille technologique de la BNP Paribas, nous font bien percevoir comment les évolutions de l’Internet, depuis quelques années, transforment les internautes en "webacteurs".
Alors que le nombre d’utilisateurs de l’Internet devrait représenter un quart de la population mondiale d’ici début 2009, les internautes ne se contentent plus d’acheter en ligne, de faire des rencontres, ou de suivre des conversations de groupe.
Car dans cette ère de l’Internet participatif (aussi appelée "Web 2.0", terme contesté par les auteurs), les utilisateurs sont passés "du statut de voyageurs de l’Internet (internautes) à celui d’acteurs du web, façonnant les sites à leur manière, proposant services et contenus qui leur sont propres, commentant et discutant les informations disponibles".
Dans un premiers temps, l’ouvrage décrit le web d’aujourd’hui, soit les utilisations actuelles de l’Internet, notamment par les jeunes, pour lesquels il est devenu "le lieu social de l’adolescence". De fait, les ados, en tant qu’early adopters, sont les premiers à se l’approprier : ils furent les premiers fans de MySpace, où ils créent leur espace personnel. L’ouvrage aborde aussi les nouveaux liens qui apparaissent sur le web, grâce aux nouveaux outils qu’il passe en revue, tels que les blogs bien sûr, YouTube, et Twitter, sorte de mini-blog instantané qui permet à l’internaute de dire ce qu’il est en train de faire. Culture de l’instantané et du partage oblige…
Autre point essentiel abordé dans cet ouvrage, et propre au Web 2.0 : comment les webacteurs créent désormais de la valeur. Car tout est là : ce sont eux qui travaillent, en créant du contenu à valeur ajoutée pour un site : sur Digg.com, ils recommandent des sites et votent pour leurs favoris ; ils nourrissent l’encyclopédie en ligne Wikipedia… le tout de façon bénévole. D’où la notion naissante de crowdsourcing, largement abordée dans cet ouvrage, par laquelle des entreprises font appel à l’"intelligence des foules", que ce soit sur iStockPhoto.com, ou sur la jeune pousse française high tech CrowdSpirit. Les auteurs soulignent le revers de la médaille : les internautes-experts bénéficient-ils d’une juste rétribution ? Car le crowdsourcing risque de devenir une occasion pour les entreprises de réduire de façon drastique leurs coûts de R&D, face à des internaute dispersés, n’ayant pas de contacts entre eux, et disposés à travailler gratuitement – ou pour peu. Il faudra distinguer les initiatives collectives, basées sur le partage du savoir, dans la lignée de Wikipedia, et l’utilisation du crowdsourcing par les grosses entreprises commerciales.
L’ouvrage effleure aussi (un peu légèrement) les questions-clé de protection des données personnelles des internautes qu’induisent ces nouveaux usages, et leur capacité à se rebeller, comme contre l’outil publicitaire Beacon qu’avait envisagé de déployer Facebook.
Les auteurs se demandent également comment les entreprises se convertissent à l’Internet. Grâce à la co-création, elles peuvent faire appel à la créativité et l’expertise des internautes. Mais les business models tardent à émerger… A côté de cela, des révolutions silencieuses se font entendre dans leur management interne, avec l’ouverture de blogs et de wikis.
Un autre sujet crucial reste l’influence de l’Internet participatif sur les médias traditionnels : "ils ne savent pas comment se comporter face à un mouvement dans lequel la participation et la constitution de groupes tranchent les relations sociétales (y compris de pouvoir) existantes", affirment les auteurs. Qui tentent de montrer les débuts d’ouverture des médias traditionnels, sans pourtant évoquer le phénomène du "journalisme participatif", qu’esquissent Rue89 et autres Bakchich.info.
Un ouvrage riche, émaillé d’interviews d’experts, et de portraits de jeunes pousses prometteuses de la Silicon Valley. Attention, malgré l’écriture claire, le néophyte devra parfois s’accrocher…