Un roman didactique sur l’inventeur du « magnétisme animal », et ses vicissitudes dans l’Europe des Lumières pour que le lecteur juge par lui-même.

Frédéric Gros, agrégé de philosophie, a édité Michel Foucault en Pléiade et propose une citation de sa Naissance de la clinique (1963) en exergue de son roman sur Anton Mesmer (1734-1815), une figure très célèbre et très controversée des Lumières : « Ce livre n’est pas écrit pour une médecine contre une autre, ou contre la médecine pour une absence de médecine. » Du 7 janvier au 1er mars 1815, en dix lettres à Wolfart qui vient de lui proposer la création à l’université de Berlin d’une chaire de magnétisme animal, Mesmer revient sur sa vie, sans que soient exploitées les ressources de l’épistolarité, et dans un ordre assez plat qui ne fait sans doute pas la part assez belle au romanesque. Dans un roman documenté, Frédéric Gros déroule l’ordre chronologique, non sans avoir recours à des notes, ne serait-ce que pour raconter la mort de son personnage, qui ne peut évidemment pas figurer dans une lettre, fût-elle inachevée. La première lettre donne le ton de cette existence, organisée autour de la découverte de ce fluide vital, qui valut à son inventeur autant de gloire que de revers. La proposition de Wolfart le laisse malgré tout inconsolable : « C’est une belle revanche sans doute. Mais elle vient tard, monsieur. Trop tard. J’ai plus de quatre-vingts ans, passés essentiellement à me défendre d’accusations et de sarcasmes, encore davantage heureusement à guérir ceux que les médecins abandonnaient à leurs souffrances. Il y a trente ans, en 1784, moi, Franz Anton Mesmer, l’inventeur du magnétisme animal, le découvreur de ce présent miraculeux fait aux hommes, de cette aubaine universelle, je fus humilié, insulté à Paris par deux commissions royales qui déclarèrent nul, inexistant le fluide, le feu invisible du monde, le sang de la Création. Bailly la présidait, et Benjamin Franklin aussi avait signé. »

 

Au cœur de l’Europe des Lumières

Né à Iznang, dans la Souabe, au bord du lac de Constance, troisième d’une famille de neuf enfants engendrés par une mère « très simple et pieuse », et un père « garde forestier du prince-archevêque qu’il accompagne dans les bois », le jeune Mesmer est très tôt en contact avec la nature : « Nous passions des heures sans prononcer un mot mais à sentir, écouter, humer, toucher surtout. » Pendant ses études de philosophie et de théologie à Ingolstadt, il découvre les Lumières françaises, « tempête radieuse, vent dévastateur ». Il devient ensuite médecin et franc-maçon et développe sa découverte du magnétisme : « ce qui secrètement relie la résonance du rocher à la sensibilité des fleurs, le corps des étoiles à notre sang. Nervure de l’Être, ce par quoi, ce sans quoi, ce pour quoi la vie se guérit, se transforme. Sa puissance de vibration. » La musique est également magnétique et une grande partie du roman est consacrée à Mozart, Haydn et Gluck. Après avoir d’abord utilisé des aimants, Mesmer comprend que ce sont les « passes » de ses mains qui sont capables de soigner, ce qu’il fait alors, à Vienne et à Paris, en guérissant les aveugles et les paralytiques.

 

Le fluide de la Révolution

Pour Mesmer, « le corps est la lumière de l’âme », et tout Paris va bientôt se précipiter dans ses célèbres « baquets » pour s’y régénérer. Ce fluide cosmique universel et accessible à tous entre en résonance aussi avec les idéaux de la Révolution française et séduit Lafayette et Marat. Mais celui qui passait pour un génie visionnaire est vite traité comme un charlatan et se heurte à l’hostilité des médecins de l’Académie dont les privilèges sont menacés : « Je n’ai senti chez eux que de la peur. Peur d’avoir été trompés par leurs professeurs, leurs études, leurs diplômes, leurs apothicaires, leur sérieux, par eux-mêmes enfin, par leur histoire. Peur de ne plus pouvoir soigner en latin, de ne plus pouvoir négocier avec les pharmaciens. Effroi devant l’évidence élémentaire de la vie et de la guérison. Peur de la santé indivisible et simple. » Marie-Antoinette tente de retenir Mesmer à Paris, en lui offrant « une pension de vingt mille livres et un établissement pour installer [sa] clinique. » Il refuse par une lettre qu’il rend publique : « On me crut fou. On n’achète pas la vérité. »

 

Ce roman se présente donc comme une synthèse utile des connaissances sur la pensée naturaliste et la vie de Mesmer dont le rêve d’harmonie universelle est typique des Lumières, tout comme ce goût des larmes, où se mêlent la musique et ses effets, le désir, et les passions politiques.