Eugène Savitzkaya aime - comme Valère Novarina - les textes destinés à être proférés et à fonction « blasphématoires ».

A mesure que l'Apocalypse approche, Saviyzkaya n'y va pas de main morte. Il fouille dans les entrailles de la terre et de ses locataires. Cela ne sent pas forcément la rose. La puanteur monte aux milieux des moisissures et des cristallisations. Mais le mot d'ordre demeure clair : « Joies ! Joies ! Mille Joies ! ». Tel est le leitmotiv qui est là pour tarauder le « bien » penser.

Une nouvelle fois Eugnène Savitzkaya prend son lecteur à revers et au débotté en ces quatre textes publiés à l'origine en revue (dont la superbe Luna Park entre autres). S'y jointoient (entre autres) le genre lyrique par excellence (l’ode) et ce qui l'est moins (le paillasson)... Cela relève pour une part de la farce et l'auteur y va plein pot. Il cultive l'allusion salace et impie dans ces divers « jeux de faces » pour revivifier le langage qui rappelle celui des spectacles impies qui se donnaient en prélude aux Mystères devant les cathédrales.

L'auteur reste à la recherche du « feu fondateur ». Cela ne se fait pas sans heurts. Fumées et scories sont le prix à payer pour créer un nouveau monde. Il se nourrit de matière comme « d'autres se nourrissent de rats, de grenouilles et de menu fretin, de porcs, de canards, de navets jaunes ou d'hommes et de femmes. » Mais c'est ainsi qu'une libération avance tout feu tout flamme. A l'homme de savoir si c'est « vers le néant des choses, des êtres » ou si peuvent refleurir des fruits, fermenter un sang neuf pour que la vie enivre encore.

Les dialogues sont grivois mais juste ce qu'il faut. A l'homme nu qui demande à la femme dans le même appareil « Comment aimes-tu ma courgette ? », celle-ci répond sans ambages : « Je me la fourre sous l’aisselle, je me la pousse dans l’oreille, je me la passe à la ceinture de soie, et je me la plie en deux ». L'auteur retrouve une langue mère, non expurgée mais à la métaphore ailée. Reste au lecteur de s'essuyer l'esprit sur le paillasson d'odes en désordre qui ignorent les odalisques.

Les vierges aux robes blanches et bleues (qu'on nomme parfois Vierge ou Saintes), sont soudain métamorphosées par « des baies rouges, des oranges et des grenades ». Elles sont maîtresses « des poissons et des castors » qui insufflent la vie par tous nos pores. Qu'importe nos faiblesses et les tempêtes sous nos crânes. Si bien que « Ode au paillasson », « La guerre des anges », « Peuples périssables » et « Contre l’homme » constituent une féerie verbale, un enfer de vagues. Ils apprennent à voler moins dans l'azur que dans une fornication paradoxale.

Le corps est perçu comme cadavre mais dépasse l'abîme de la mort dans un désir cannibale. Savitzkaya met en garde contre le danger de la lettre et les jeux de surface. Il invite à retrouver les vertus de l'« épaisseur » du corps à l'image de ses « doubles » qui soulignent le danger mortel que représente la tentation de fusion littéraire littérale : le livre n'est pas le corps, le mot n'est pas la chose, tout comme l'art n'est pas la vie.

L’écrivain belge cherche à montrer que le texte n’est jamais une fenêtre ouverte sur le monde ou une tranche de vie. A peine et parfois – en fidélité à Stendhal – un miroir le long d’une route (ici de traverse et de faubourg). Mais chaque texte reste surtout un moyen d'approfondir la notion de cadre et de cadrage en une pénétration des ténèbres du pathos. C'est pourquoi si tout texte de l'auteur est une illusion il l’est comme le sont ceux de Pasolini : en rien une chimère. Il est épiphanique au sein même de destins troubles et troublants envahis par des instances inconnues sinon par l'inconscient.