Depuis quelques semaines, une polémique divise la communauté historienne, et les médiévistes en particulier. L'excellente collection "L'univers historique" des éditions du Seuil a en effet publié, en mars dernier, un livre qui n'est pas passé inaperçu. Prochainement chroniqué sur nonfiction.fr, il s'intitule Aristote au Mont Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne. Son auteur, Sylvain Gouguenheim, est professeur d'histoire médiévale à l'École normale supérieure de Lyon, et auteur notamment d'un ouvrage remarquable sur les Chevaliers teutoniques (Tallandier, 2008).

Que nous dit-il ? En substance, l'héritage grec antique, prétendument disparu de l'Europe, n'aurait en réalité jamais été oublié (en témoigne l'activité de copie des oeuvres d'Aristote de l'abbaye du Mont-Saint Michel, dès le XIIe siècle), notamment en raison des liens avec Byzance et d'une volonté des élites de l'époque, dès les Carolingiens. Ainsi, l'Europe ne devrait que très peu à l'Islam dans la transmission du savoir antique - ce serait même l'inverse   . D'ailleurs, explique-t-il, l'hellénisation du monde musulman n'aurait été que superficielle, d'abord en raison de l'absence d'une connaissance directe de la langue grecque, d'une différence d'attitude vis-à-vis du savoir grec entre lettrés chrétiens et musulmans, et du statut du Coran   .

Positivement critiqué par Roger-Pol Droit dans Le Monde des Livres du 4 avril dernier, l'ouvrage de Sylvain Gouguenheim a suscité trois nouveaux articles dans le supplément littéraire du grand quotidien du soir - dont ils couvrent entièrement la deuxième page -, daté de ce jour. Jean Birnbaum fait état de quelques réactions (en particulier Alain de Libera), tandis que les médiévistes Gabriel Martinez-Gros et Julien Loiseau contestent l'analyse de Gouguenheim, l'accusant d'établir une "hiérarchie des civilisations" et d'accointances avec l'extrême droite. Procès en sorcellerie ? Interviewé par Le Monde, Sylvain Gouguenheim, se défend de telles intentions et se dit "bouleversé par la virulence et la nature de ces attaques".


* Lire la critique d'Aristote au Mont Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne (Seuil), par Rémi Gaillard.