Un livre de vulgarisation puise aux meilleures sources pour raconter les mille vies de Beaumarchais qui ne fut pas que dramaturge.

Prix Goncourt en 1988 pour L’Exposition coloniale, Érik Orsenna a déjà publié une biographie d’André Le Nôtre (2000), de Louis Pasteur (2015) et de La Fontaine (2017), auquel il avait consacré une série d’émissions sur France Inter. Cette fois il s’intéresse à Beaumarchais, en trente-sept chapitres et un épilogue, placés sous le signe de la liberté qui fut une invention du XVIIIe siècle, et reprenant une série de huit épisodes diffusés sur France Culture pendant l’été 2019.

 

Une ivresse de vivre

Fils d’horloger, chéri de ses parents et de ses sœurs, le jeune Pierre-Augustin Caron invente l’« échappement à double virgule » dont il se fait voler le brevet par Lepaute, finalement condamné par l’Académie des Sciences, à la suite d’un mémoire rédigé par celui qui défendra plus tard la qualité et les droits d’auteur. La polémique atteint la cour où on veut connaître ce prodige et Beaumarchais devient professeur de harpe des filles de Louis XV. Il acquiert une charge de lieutenant général des chasses, devient administrateur de la Compagnie des eaux, mais il est aussi armateur, sans avoir jamais vu un bateau, ou marchand d’armes. De sa prison de Londres, il négocie le traité d’indépendance des États-Unis. Il est le premier éditeur des œuvres complètes de Voltaire. Il a le sens du rebond et n’est arrêté par aucune contradiction. Il est de toutes les affaires et se trouve très à l’aise dans l’intrigue, comme son fameux Figaro.

 

Deux pièces géniales

Même si elles ne représentent qu’une infime partie de sa vie, Le Barbier de Séville (1775) et Le Mariage de Figaro (1784) assurent sa gloire littéraire et témoignent de son sens de l’effort et de sa détermination pour se faire applaudir. Érik Orsenna est peut-être un peu sévère dans son jugement très négatif sur le dernier volet de cette trilogie, La Mère coupable (1792), la fin du « roman de la famille Almaviva » dans une France révolutionnée. Il a l’art en tout cas de citer les deux chefs-d’œuvre incontestés de Beaumarchais en échos des épisodes de sa vie, et notamment de ses amours tumultueuses, comme cette phrase de Figaro qui pourrait servir de devise à son auteur : « En fait d’amour, vois-tu, trop n’est pas même assez. »

 

Une biographie pour aujourd’hui

Tout le sel du livre qui nous entraîne dans cette « suite de folles journées » provient de sa mise en perspective dans le monde d’aujourd’hui, d’hier ou d’avant-hier, que ce soit pour évoquer Pompidou, Mitterrand, ou le plus récent « En Même Temps » de Macron déjà inventé par Beaumarchais à son époque. Alors que pour son livre sur La Fontaine, l’auteur avait su simplifier les superbes études de Marc Fumaroli pour les rendre accessibles à un plus large public, il s’appuie cette fois sur la biographie monumentale de Maurice Lever et incite ses lecteurs à découvrir les Mémoires dans l’affaire Goëzman, succès de librairie au XVIIIe siècle remis dans son contexte et cité avec admiration. Érik Orsenna rend également hommage à Pierre et Jacqueline Larthomas, éditeurs de Beaumarchais dans la Pléiade et au volume Nouveaux regards sur la trilogie de Beaumarchais dirigé par Sophie Lefay. Cette cavalcade dans la vie de Beaumarchais entraîne le lecteur et lui donne l’exemple de la liberté, puisque « n’être qu’un est une prison », selon la formule de Fernando Pessoa placée en exergue de ce livre aussi plaisant qu’instructif.