En 40 pages d’un récit maîtrisé, Karel Pecka peint l'univers où vivait la Tchécoslovaquie dans les années 1970, monde de misère et d'imposture, de bureaucratie et de travail forcé.

Voici un récit court, une espèce de nouvelle — dans les deux sens du mot —, parvenue d'un autre monde. Il est dû au talent singulier de l'écrivain tchèque Karel Pecka (1928-1997), recueilli à Prague dans des circonstances que relate Marie-Hélène Prouteau dans sa préface à la présente édition. Le récit fut publié à Paris une première fois en 1988 comme un samizdat, dans la revue La Nouvelle Alternative. Aujourd'hui, cette version légèrement modifiée est reprise aux éditions Alidades.

En moins de quarante pages d'une densité saisissante, l'auteur a fait tenir l'univers où vivait la Tchécoslovaquie dans les années 1970, monde de misère et d'imposture, de bureaucratie et de travail forcé, représenté à travers l'expérience de deux intellectuels employés aux tâches inutiles de pompeurs d'eau dans un marécage empoisonné de déchets.

L'idée de l'écrivain : la relation de deux personnages que réunissent, en plein hiver, cette condition et la sorte d'amitié bizarre et complexe qui les lie à travers la brève apparition, sur leur chantier et dans leur vie, d'un chien errant.

Baptisé Sacha, car l'un des deux prétend reconnaître dans les yeux de ce corniaud le regard d'Alexandre Dubček, le chien va semer entre les deux hommes la graine d'une zizanie et d'une complicité nouvelle.

Le tour de force consiste à créer la brève histoire qui tressera rigoureusement une intrigue presque policière au dénouement inattendu, les regards entrecroisés entre deux hommes et un chien et des scènes improbables, l'organisation absurde d'un chantier abandonné à lui-même, le petit monde d'un village perdu dans une campagne glaciale, l'organisation sociale et politique d'un pays telle qu'elle se transpose et se révèle dans ce village, et l'exigence de valeurs que proclame en creux cette protestation contre un univers dépourvu de toute grâce.

Ces valeurs finiront par se manifester sous la forme d'une solidarité minimale, sans phrases et sans avenir, où se mêlent le pardon des fautes et des offenses, la compassion et la reconnaissance réciproque des vivants dans une humanité réduite à son dernier degré. Sous la forme d'un récit maîtrisé, le contrepied exact d'un prophétisme désastreux, tel est peut-être le mode vrai et efficace d'une critique politique.