Loin du mythe originel, les conditions des travailleurs des plateformes numériques apparaissent désormais peu enviables.

Loin de l’idéal d’une économie collaborative ou de partage, qui promouvrait un travail valorisant et autonome, les plateformes numériques se signalent surtout par les mauvaises conditions de travail et d’emploi qu’elles procurent à leurs travailleurs. Caractérisées par des revenus insuffisants, des tâches non rémunérées, une précarité exacerbée... Avec désormais des mouvements de résistance collective, concernant les travailleurs pour lesquels cette activité est leur principale source de revenus. Et également une multiplication des contentieux, qui portent, d’une part, sur les obligations qui incomberaient aux plateformes concernant les prestations principales auxquelles elles donnent accès, alors que celles-ci se présentent comme de simples intermédiaires (un sujet concernant à la fois la concurrence et les contraintes réglementaires que les Etats souhaiteraient leur imposer), et, d’autre part, sur le statut social des prestataires qu’elles emploient, dont elles persistent à dire qu’il s’agit de travailleurs indépendants, même si leur organisation le contredit.

Ce petit ouvrage réunit cinq contributions, très lisibles, de spécialistes, sociologues et juristes, qui rendent compte des travaux qu’ils ont réalisés dans le cadre d’un programme de recherche sur le sujet, et permet de faire un tour de la question.

Diane Rodet étudie ainsi les rapports entre le capitalisme de plateforme, l'économie collaborative et l'économie solidaire, à partir notamment d'une enquête qu'elle mène sur la Ruche qui dit oui ! Le premier partage avec l'économie sociale et solidaire, note-t-elle, le fait de proposer des activités précaires dont le caractère de travail est souvent nié à des individus en recherche d'alternatives professionnelles, que ceux-ci aient des difficultés à trouver un emploi ou tout au moins un emploi présentant un intérêt intrinsèque et ménageant une autonomie dans l'organisation et la réalisation du travail.

Pauline Barraud de Lagerie et Luc Sigalo Santos s’intéressent aux plateformes de microtravail et notamment, pour la France, à la plateforme Foule Factory, dont ils montrent la proximité avec le tâcheronnat au XIXe siècle, qui avait fini par être interdit.

Anne Jourdain et Sidonie Naulin, à partir d’une étude portant sur les blogs culinaires et les plateformes Etsy et La Belle Assiette, se penchent quant à elles sur la marchandisation de loisirs sur internet, dont elles montrent que très peu d’individus en tirent des revenus significatifs alors, qu’ils effectuent un travail demandant un investissement important, dont la valeur est en grande partie captée par les plateformes elles-mêmes.

Sarah Abdelnour et Sophie Bernard analysent les mobilisations des travailleurs d’Uber et Deliveroo contre la dégradation de leur rémunération suite aux baisses de tarifs décidées par ces plateformes, en montrant les obstacles à la mobilisation collective auxquels ils sont confrontés et la forme que prend alors leurs revendications.

Hélène Nasom-Tissandier et Morgan Sweeney enfin analysent les contentieux auxquels ont à faire face les plateformes numériques de transport, en montrant notamment l’enjeu que représente le fait pour la justice de se référer pour apprécier le statut des travailleurs considérés au seul critère de subordination, comme c'est encore très majoritairement le cas en France, et/ou à celui de dépendance, qui permet d'apprécier l'opération économique et le montage juridique dans sa globalité.