Alors que l'ouragan Dorian vient de passer au-dessus de l'Atlantique nord, entraînant son lot de destructions, nous republions avec une mise à jour cet article sur les catastrophes naturelles (2007).

L’actualité récente est saturée de catastrophes naturelles ou environnementales. En dernière date, l’ouragan Dorian nous rappelle que si les cyclones n’augmentent pas en quantité, en revanche, il est possible qu’ils se fassent de plus en plus violents au rythme du dérèglement climatique. Auparavant, l’été a également laissé le triste spectacle de fontes spectaculaire des glaciers au Groenland, sans revenir sur les immenses incendies en Amazonie ou en Alaska, entre autres.

En cette rentrée de phénomènes catastrophiques, il peut être intéressant de rappeler que ces cataclysmes régionaux ont également des conséquences globales – après tout, à l’octobre 2017, l’ouragan Ophélia dans le nord de l’archipel britannique, n’avait-il pas eu des effets visibles jusque dans le ciel du Portugal ou de l’Estonie ? Mais, remontons plus loin encore, au Moyen Âge, afin de voie comment les catastrophes naturelles, se jouant des frontières, peuvent prendre une envergure mondiale : en effet, en 1257, un volcan sur l’île de Lombok en Indonésie allait avoir de brutales répercussions en Europe, atteignant même Londres.

 

Sur les traces de l’étrange été hivernal de 1257…

En 1257, un long et rigoureux hiver recouvre le continent européen. Pour comprendre le phénomène, il faut suivre l’enquête passionnante de chercheurs français – qui donna même lieu à un documentaire – sur les traces du fauteur de troubles : un mystérieux volcan. Tout commence par le travail de volcanologues relevant dans les années 1970 des échantillons de particules volcaniques piégées dans des carottes de glace (n’ayant pas encore fondu…) au Groenland et en Antarctique, qu’ils réussirent à dater aux alentours des années 1250 et à relier à une explosion volcanique d’une immense ampleur – sans doute l’une des plus importantes de ces 10 000 dernières années. À partir de là, restait à trouver le responsable parmi une longue liste de volcans suspects, s’étendant du Pérou à la Nouvelle-Zélande. Ce furent deux volcanologues français, Jean-Christophe Komorowski et Franck Lavigne, qui parvinrent à résoudre l’enquête, entre 2010 et 2013 : l’explosion volcanique eut lieu en 1257 et provenait du volcan Samalas, sur l’île de Lombok en Indonésie. Pourtant, l’histoire ne s’arrête pas là. Les climatologues s’attaquèrent à leur tour au dossier et soulignèrent que cette éruption fut si puissante que, par la masse de particules volcaniques expulsées et en circulation dans l’atmosphère, elle provoqua des dérèglements climatiques à l’échelle du monde. L’hémisphère sud fut d’abord touché, suivi de l’hémisphère nord et, en particulier, de l’Europe où, à certains endroits, la température chuta de manière sensible et durable pendant au moins un an. C’est à ce moment que les historiens entrent en scène afin de confronter ces faits scientifiques avec leurs sources et ainsi déceler les effets de ces phénomènes sur les sociétés.

Selon la chronique d’un certain Matthieu Paris, moine bénédictin du monastère de Saint-Alban en Angleterre, Londres fut frappée par une période de grand froid, en plein été 1257. Les pluies incessantes rendirent les routes boueuses, en même temps que des milliers de personnes mourraient de faim et de maladie du fait de récoltes insuffisantes liées au mauvais temps. En Allemagne, les annales de la ville de Spire révèlent qu’au cours de cette même année 1257, les températures étaient si faibles pour la saison, que les habitants auraient inventé un mot spécial pour désigner ce phénomène inhabituel : « munkeliar », « l’année sombre ». Cependant, ce mot signifiait aussi « l’année du brouillard », en référence aux nuages qui recouvraient le pays à ce moment-là et qui étaient sans doute issu du déplacement des immenses masses de particules volcaniques dans l’atmosphère, depuis l’Indonésie à travers le globe. En bref, en 1257, Winter is here en Europe…

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Cette enquête passionnante nous révèle des liens insoupçonnés à l’échelle du monde pendant la période médiévale. Mais cette enquête nous apprend aussi que les historiens peuvent travailler avec d’autres scientifiques pour mieux connaître le rôle des environnements naturels sur les sociétés à travers l’histoire. Après tout, un hiver précoce ne peut-il pas changer du tout au tout l’issue d’une bataille ou la vitalité économique d’un État et conduire à sa chute ? Ce domaine de la recherche historique, intitulé « histoire environnementale », est revenu en force depuis les années 1990 du fait de l’importance grandissante des enjeux climatiques et de l’écologie dans notre monde contemporain menacé par le dérèglement climatique.

 

Le monde sous un nuage de cendres ?

Ce nouveau regard sur l’histoire nous permet d’envisager les grandes dates ou tournants historiques avec un autre regard. Avançons un peu dans le Moyen Âge et prenons l’année 1453. Elle est souvent retenue par les historiens et professeurs comme une date d’une grande importance car ce fut l’année décisive où Constantinople, la capitale de l’empire byzantin, fut conquise par les Turcs ottomans, marquant ainsi la mort d’un des plus grands empires de l’histoire et, avec lui, la fin de la période médiévale. Mais, si nous nous replongeons un peu plus dans l’événement, on sera surpris de voir que le 25 mai 1453, quatre jours avant l’assaut final des Turcs sur Constantinople, un épais brouillard, troué de quelques traits de lumière, aurait enveloppé la ville assiégée. Pour les attaquants, c’était le présage d’une victoire prochaine, tandis que les défenseurs y voyaient le signe de leur défaite. Pour un historien des années 1960, ce phénomène étrange restait inexplicable. Mais, pour les « historiens 2.0 » d’aujourd’hui, cette brume s’explique d’un point de vue scientifique par un événement de plus grande ampleur que le siège de Constantinople : l’éruption  du volcan Kuwae dans l’archipel pacifique du Vanuatu en 1452. C’est à nouveau une fine équipe de chercheurs, rassemblant entre autres historiens, archéologues et climatologues, qui a pu localiser et dater cet événement, au moins aussi impressionnant et dévastateur que l’éruption en 1257. Sur place, l’île volcanique de Kuwae fut détruite et pris la forme d’un gigantesque cratère. Mais, au-delà, les 35 km3 de matières volcaniques éjectées dans l’atmosphère produisirent un immense nuage de poussière qui parcourut le globe et fit écran au rayonnement solaire. Cela provoqua, comme en 1257, une baisse de la température mondiale allant jusqu’à 1°C pendant un ou deux ans. Telle est l’origine de ce mystérieux nuage observé à Constantinople le 25 mai 1453. Ailleurs, les conséquences de ce dérèglement furent parfois plus dramatiques : au Caire les crues du Nil sont insuffisantes, à Moscou la famine règne, et en Chine, les chroniques mentionnent des chutes de neige pendant quarante jours au sud du fleuve Jaune. On le voit, l’éruption qui eut lieu en un point précis du globe n’en affecta pas moins des espaces extrêmement éloignés les uns des autres, liant les individus vivant sur terre dans une même communauté de destin et de dangers.

Reste que, par différence avec nos volcans médiévaux qui étaient des catastrophes strictement naturelles, aujourd’hui les catastrophes environnementales, liées plus ou moins fortement à un activité humaine et industrielle débridée, se font de plus en plus prégnantes en de multiples endroits du monde et parfois avec des effets d’échelle globale. Ces épisodes de drame rappellent aussi les grands enjeux de notre actualité – inégalités et dérèglement climatique – qu’on ne pourra affronter qu’avec des mesures politiques ambitieuses.

 

 

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