Rodia Bayginot et Philippe Ordioni créent des séries de portraits dont le but est la perte de repères de l'identité. Entre drôlerie et monstruosité chaque image élargit le secret du cortège humain.
Rodia Bayginot est plasticienne, Philippe Ordioni, photographe. Depuis plus de douze ans ils travaillent en écho. Ils ont déjà trois séries de portraits à leur actif et une quatrième suit son cours. Un court métrage montre comment leur colaboration fonctionne dans un travail de rencontres et de surprises (« Effusions (2019) de Rodia Bayginot et de Philippe Ordioni »).
Ils cherchent les métamorphoses du portrait par l’éclosion d’une forme de fantasmagorie parfois monstrueuse mais le plus souvent baroque et drôle. La figuration se situe entre le rêve et le réel. Rodia Bayginot maquille les modèles (connus ou inconnus) et Philippe les scénarise. Chaque personne choisie incarne au mieux « son » monstre grâce à l’alchimie des deux artistes.
Tout devient drôle ou inquiétant. En primitifs du futur les deux créateurs imaginent celles et ceux qui semblent ne devoir leur salut qu’en sombrant dans une schizophrénique visuelle pour faire face à un monde lui-même mentalement et psychiquement affecté.
Au leurre répond le simulacre. Le tout dans ce qui pourrait être un jeu de massacre mais qui ne l'est en rien. Philippe Ordioni dit - si on le croit - qu'il n’a pas encore réalisé la prise parfaite. Il cite pour le confirmer une phrase de Diane Arbus : « Je n’ai jamais réussi à réaliser la photo que je voulais prendre, elle est toujours soit pire, soit meilleure ». Il pousse pourtant la folie toujours plus loin là où les corps sont engagés de manière frontale. Tout est captivant, fantastique. L’univers de « Delicatessen » n’est jamais loin mais en plus onirique.
Dans leurs portraits les deux créateurs réunissent l’empire et le ghetto. Ils révèlent des détresses et des tendresses en faisant œuvres de fantaisie et de fantasmagorie et en ouvrant le portrait à une vérité d’incorporation. Ils réveillent (qui sait ?) la victime et le bourreau, en scénarisant l’anonyme ou la star. Jaillit un théâtre aux fenêtres ouvertes et closes. Des femmes aux yeux presque absents regardent le regardeur c'est un labyrinthe optique qui ravirait Lacan.
En une telle expérience les invités pensent que le monde ressemble de moins en moins à ce qu’ils croient. Et sans le savoir ils sont déjà en pays étranger. En chacun de ces « tableaux » au delà de l’organisation montrée, une autre géométrie cherche à cerner un en deçà. Un passage se crée vers l’autre face du semblable. Le noir et blanc assourdit l’angoisse. Les corps sont prégnants mais tout autant ensorcelés d’absence. Ils n’ont plus d’âge.