Une analyse du nouveau modèle politico-culturel né en Californie qui se demande ce que pourrait signifier son acclimatation dans notre pays.

La naissance et le déploiement d’internet et du web 2.0 doivent beaucoup à une culture qui a noué ensemble trois concepts, avant tout en Californie, comme l'explique Monique Dagnaud dans cet ouvrage paru en 2016. Ce « modèle californien » se fonde sur un idéal de l’individu autonome, qui agit en se coordonnant aux autres grâce à son ordinateur, sur une circulation sans entrave des flux d’information, comme moteur d’une amélioration des sociétés et d’une extension démocratique, et enfin sur un accès libre et gratuit aux contenus, qui repose sur une conception généreuse du partage au bénéfice du progrès et de la culture pour tous. 

Monique Dagnaud en retrace les origines multiples dans la première partie et montre comment celles-ci ont pu se combiner pour produire ce résultat. Elle scrute ensuite dans la seconde partie les métamorphoses psychologiques induites par cette manière de concevoir l’individu et la société. Elle explore ainsi successivement la sphère des interactions émotionnelles, le champ cognitif et l’imaginaire et les croyances. Elle examine à la suite les transformations qu’ont apporté les réseaux numériques dans les modes de vie, la culture et l’activité politique, qui jouent, rappelle-t-elle, de manière très inégale selon les niveaux d’études et les classes sociales. 

Elle se penche enfin sur les valeurs qui animent les acteurs de la high-tech, ingénieurs, financiers et designers, et l’émergence de l’économie collaborative. Elle revient notamment sur les parcours de quelques-uns des jeunes animateurs de OuiShare, qui est le regroupement majeur de l’économie collaborative militante en France. Et fait le lien avec le mouvement des « créatifs culturels » cerné à la fin des années 1990 par plusieurs sociologues américains pour décrire des individus qui aspirent à une vie plus qualitative, tolérante et ouverte aux autres, axée sur le partage et soucieuse des enjeux écologiques.

Ambigus parce que pouvant être mobilisés pour poursuivre des finalités antagonistes, allant du capitalisme le plus brutal à la mise en place de dispositifs au service du bien commun, élitistes par nature, l’esprit collaboratif et la foi dans l’innovation caractéristiques de ce modèle n’en renferment pas moins des potentialités immenses, explique Monique Dagnaud, qui ébranlent déjà tous nos schémas anciens. 

Le « rébus du collaboratif » est loin d’avoir livré tous ses secrets, reconnait l’autrice, qui adopte néanmoins une position optimiste sur le sujet, tout en appelant en conclusion à une intervention de l'Etat pour faciliter son acclimation dans notre pays (sans que l'on comprenne bien en quoi celle-ci devrait consister). On peut toutefois se demander si le cours qu’a pris le monde ces derniers temps n’est pas en train d’invalider cette perspective ou de la confiner à des sphères très réduites. Mais la collaboration peut aussi s'entendre de multiples façons, ce qui pourrait conduire à questionner le modèle ici proposé.