Pour l’économiste Christian Gollier, l’instauration d’un prix unique et universel du carbone reste le seul moyen efficace pour lutter contre le réchauffement climatique.

Avec Le Climat après la fin du mois, le professeur Christian Gollier, de l’École d’économie de Toulouse, spécialiste internationalement reconnu en économie du changement climatique, signe un ouvrage qui s’inscrit pleinement dans les débats sociétaux de notre temps. Après plusieurs mois de mouvement des Gilets Jaunes, et après l’annulation concomitante, par le gouvernement, de l’augmentation prévue de la taxe carbone à l’hiver 2019, l'ouvrage arrive à point nommé.

Ce livre a trois grands mérites. Premièrement, il couvre un large panel d’enjeux, des initiatives citoyennes locales – que l’auteur juge malheureusement insuffisantes pour relever le défi climatique – aux négociations internationales – les raisons et limites de l’accord de Paris (issu de la COP21) sont étudiées en détails – en passant par les instruments nationaux de politique environnementale (fiscalité, normes, etc.). Il aborde des questions très concrètes (achat d’un véhicule, projets de construction d’un aéroport), sans faire l’économie d’explications théoriques fouillées lorsque cela est nécessaire, travaux scientifiques à l’appui.

Deuxièmement, l’ouvrage témoigne d’un véritable effort de pédagogie pour rendre compte de la complexité des enjeux. Il fourmille d’anecdotes, d’exemples et de raisonnements menés pas-à-pas pour accompagner le lecteur. Certains passages restent relativement techniques en raison de la mobilisation importante de concepts économiques ; mais ceux-ci sont presque systématiquement expliqués, ce qui rend la lecture suffisamment fluide.

Enfin, troisième grand mérite du livre, le message général que l’auteur souhaite transmettre aux lecteurs est clair et sans équivoque : selon lui, il n’existe qu’un seul moyen pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique, à savoir instaurer un prix unique et universel du carbone à l’échelle mondiale. Aucune exemption ne devra exister, et les inégalités infranationales comme internationales ne devront pas conduire à moduler ce prix, seulement à l’accompagner de mesures compensatoires pour les populations les plus fragiles.

Ce message sert de fil rouge tout au long de l’ouvrage. S’il constitue une force pour l’argumentation, en évitant toute ambiguïté, il n’est pas sans rendre le livre parfois prévisible, et par endroits moins convaincant.

 

Le prix unique et universel du carbone comme seul salut

La promotion d’un prix unique et universel du carbone fait l’objet de débats dans le monde académique. Si sa validité théorique est très largement reconnue, son intérêt pratique est parfois questionné, compte tenu des réalités de souveraineté et des disparités régionales qui le rendent difficilement implémentable. Surtout, Christian Gollier semble indiquer qu’un tel prix unique du carbone – estimé à 50€/tCO2 aujourd’hui – serait le seul instrument qui ne souffrirait pas d’arbitrages politiques opaques ou de difficultés de calibrage par le régulateur. Comme il l’admet pourtant en fin d’ouvrage, il existe une grande incertitude autour du montant optimal du prix du carbone, qui dépend de la valeur que nous attribuons au futur, de la sensibilité du climat aux émissions de gaz à effet de serre, et d’autres paramètres difficiles à déterminer. Cette incertitude ne risque-t-elle pas de bloquer les négociations nationales ou internationales, chacun préférant le montant qui l’arrange dans un contexte d’estimations divergentes ?

L’auteur explique que les normes, subventions, systèmes de bonus-malus et autres dispositifs alternatifs au prix du carbone souffrent de nombreux défauts. Ils seraient coûteux, souvent peu transparents pour le consommateur final, et ils seraient sous-optimaux socialement, c’est-à-dire qu’ils mobiliseraient des moyens financiers dans des proportions inadéquates, et cibleraient mal les individus sur lesquels faire porter les efforts de dépollution.

C’est sans doute vrai pour un certain nombre de dispositifs, mais peut-on aller jusqu’à affirmer avec l’auteur qu’une taxe carbone unique et universelle éviterait tous ces problèmes ? Un argument théorique qu’il mobilise est qu’une telle taxe est efficace économiquement en permettant d’égaliser le coût privé de la pollution et son coût social (tenant compte des effets sur la santé et sur l’environnement) – c’est le principe de la taxe pigouvienne, familier de la plupart des étudiantes et étudiants en économie.

À une échelle locale, on sait pourtant depuis le tournant des années 1970, et les travaux de William J. Baumol et Wallace E. Oates, que les dommages marginaux d’une pollution sont très difficiles à évaluer économiquement par un régulateur. C’est d’autant plus vrai pour le changement climatique qui implique des dommages potentiels qui ne se produiront que dans un futur plus ou moins lointain, soumis à de fortes incertitudes. Baumol et Oates proposaient en leur temps d’assortir le mécanisme de taxe d’un système de normes adaptatives, pour mieux maîtriser les incertitudes tout en conservant la flexibilité du signal-prix. Christian Gollier semble ici refuser tout aménagement au prix unique et universel du carbone, mais le principe de réalité ne rend-il pas nécessaires quelques compromis pour rendre les instruments de politique climatique pleinement opérationnels ?

 

Et en dehors de l’économie ?

Œuvre d’un économiste, Le Climat après la fin du mois fait sans surprise la part belle à l’expertise économique pour envisager la lutte contre le changement climatique. Le signal-prix est donc érigé en solution idoine, au détriment d’autres mécanismes extra-économiques auxquels l’auteur n’accorde qu’un crédit très limité. Il ne croit guère aux changements comportementaux volontaires, nommés « motivations intrinsèques », car l’être humain serait avant tout mu par ses intérêts de court terme, souvent égoïstes, et centrés sur des préoccupations de pouvoir d’achat – ce serait là le principal enseignement du mouvement des Gilets Jaunes.

L’économie occupe certainement une place centrale dans nos sociétés, et sans doute le signal-prix et la fiscalité ont un rôle fondamental à jouer pour inciter les individus à changer leurs comportements quotidiens et leurs décisions d’investissement. Il est sans doute vrai, aussi, que la transition écologique nécessitera des efforts, et que certains, au moins à court terme, verront leur pouvoir d’achat grevé par les mesures à mettre en place.

On regrettera néanmoins que Christian Gollier ne mobilise pas davantage les travaux d’autres disciplines pour alimenter la réflexion. Il fait certes quelques références éparses à l’éthique et à la philosophie morale, ainsi qu’à la psychologie lorsqu’il évoque l’économie comportementale – branche s’intéressant au rôle des émotions et des limites cognitives dans nos choix économiques. Mais il mobilise avec parcimonie les travaux d’anthropologues – on remarquera la référence aux thèses (débattues) de Jared Diamond. Et il ne fait pas grand cas des travaux en philosophie politique, en sociologie et en sciences de l’éducation qui offrent pourtant des pistes utiles pour penser les changements non seulement individuels mais aussi institutionnels et macro-sociaux.

Pourquoi, en particulier, ne pas accorder plus d’attention aux processus d’imitation, de mode, de normes sociales qui jouent un rôle si important dans nos comportements ? Pourquoi ne pas faire état de plusieurs décennies de recherche en sciences de l’éducation sur le développement durable, ses mécanismes d’appropriation et de transmission ? Pourquoi ne pas convoquer davantage le droit et la philosophie politique pour réfléchir aux institutions et au contrat social qui structurent nos périmètres d’action et nos modes de vie ? Ces leviers sont sans doute plus indirects, moins visibles, qu’un signal-prix, mais ils sont susceptibles d’opérer des basculements sociétaux tout aussi profonds.

La question n’est pas tant de savoir si l’être humain est bon ou mauvais par nature, comme semble le suggérer Christian Gollier, mais de comprendre comment un certain environnement socio-économique, politique et culturel le façonne, et quels mécanismes sont susceptibles de changer les choses. Le signal-prix est un levier d’action essentiel, mais il n’est probablement pas le seul.

Pour terminer, si l’on regrettera quelques facilités langagières – était-il vraiment nécessaire de qualifier les promoteurs d’une transition écologique heureuse de « bien-pensants » et les négociations internationales lors des COPs de « chamailleries » ? – et si certaines affirmations pourront paraître discutables – les historiens trouveront étonnante l’idée qu’aucune grande transition sociétale n’a pu se faire sans être accompagnée de mouvements de signal-prix – force est d’admettre que Christian Gollier réussit son pari de sortir de l’arène scientifique pour prendre position dans les débats qui animent la société. Ses propos méritent confrontations d’idées et esprit critique, mais cela ne remet en cause ni le courage ni la sincérité de l’exercice.