Un regard sur l'aménagement du territoire et l'urbanisme à travers la planification des régions et des métropoles depuis les dernières réformes territoriales.

Xavier Desjardins, qui fut coordonnateur du pôle urbanisme et politique de la ville de Nonfiction il y a une dizaine d'années, est aujourd’hui professeur en aménagement de l'espace et urbanisme à Sorbonne Université, après avoir écrit de nombreuses publications sur les politiques territoriales, les outils et méthodes de l'urbanisme, ainsi que sur leur rapport avec les mobilités et les échelles de gouvernement.

Il revient ici sur trois de ses dernières publications portant sur la planification territoriale, à la fois en urbanisme (à travers les villes et intercommunalités, traitées dans son manuel Planification urbaine. La ville en devenir) et en aménagement (par le biais des régions), depuis les dernières réformes territoriales (création des métropoles et des « grandes régions ») qu'il a accompagnées dans leur mise en œuvre en tant que consultant au sein de la coopérative Acadie (l'ouvrage collectif Faire région, faire France. Quand la région planifie, qu'il a dirigé avec Daniel Behar et Sacha Czertok, fait le bilan des nouveaux schémas régionaux dans le cadre d’une mission confiée à Acadie par le gouvernement). Au sein du programme « POPSU   métropoles » du PUCA   , il assure également la responsabilité scientifique du projet portant sur la Métropole Rouen Normandie, dont est issu son ouvrage (avec Jean Debrie) La métropole performative ? Echelles de la fabrique métropolitaine rouennaise.

Nonfiction : Vos ouvrages permettent de confronter des dynamiques géographiques (urbanisation, métropolisation, densification et étalement urbain…) et politiques (institutionnalisation des nouvelles « métropoles » et « grandes régions » depuis les lois MAPTAM   et NOTRe   en 2014-2015) en posant la question du devenir de la planification territoriale dans un pays qui, par tradition centralisatrice autant que par nécessité économique et industrielle, a fait de l’aménagement du territoire une politique nationale tardivement décentralisée, avec l’émergence des pouvoirs locaux depuis 40 ans. Est-ce une gageure que de mettre en perspective ces nouveaux outils urbains, métropolitains et régionaux en matière d’aménagement de l’espace, à l’heure où l’on parle des territoires de manière intempestive ?

La planification, qu’elle soit urbaine ou régionale, est certes un sujet bien connu des professionnels de l’aménagement et des collectivités territoriales, mais, dans le monde strictement universitaire et plus largement des experts de l’urbanisme, ce sujet intéresse peu. Il y a plusieurs raisons à cela : c’est à la fois jargonneux, mouvant, obscur et complexe, avec un « coût d’entrée » important pour les novices, et sur le fond il s’agit d’une démarche qui est remise en cause par de nombreux analystes, qui considèrent que ce qui fait changer les villes et les territoires, ce sont davantage des mouvements sociaux et économiques que des choix politiques et institutionnels. Or, le parti pris général de mes ouvrages est de dire que, même imparfaite, la planification, à travers les documents d’urbanisme et les schémas régionaux d’aménagement, a un rôle, peut-être modeste mais réel, dans la transformation des territoires et qu’il est possible de le mesurer finement afin d’en discuter. En effet, l'état actuel de la planification n'est pas satisfaisant. Plus globalement, mon angle d’attaque est de mieux détecter ce que la politique et les choix collectifs peuvent transformer dans les territoires.

Alors que le gouvernement propose désormais d’être un « facilitateur » de la cohésion des territoires, plus que le prescripteur d’une politique nationale d’aménagement du territoire (liée à l’héritage de l’ancienne DATAR   ), comment les régions et métropoles ont-elles pris en charge cette lourde responsabilité de planification territoriale avec des moyens renforcés ? Est-il trop tôt pour en faire le bilan, comme vous le proposez dans vos ouvrages ?

Il est possible d’en faire un bilan intermédiaire, bien entendu non de manière définitive. Les régions ont demandé de longue date d’avoir un rôle planificateur renforcé sur leur cœur de compétences « historique », à savoir l’aménagement du territoire et le développement économique. Sans devenir aussi puissantes que les Länder allemands, les régions ont en effet gagné avec les dernières réformes de 2014-2015 un pouvoir prescriptif qui les rapproche de leurs homologues européennes dans des pays plus décentralisés.

Les régions ont cependant beaucoup de mal à utiliser ce pouvoir prescriptif à travers les SRADDET   parce que, finalement, c’est très difficile pour elles, à la fois politiquement et techniquement, d’être en capacité d’imposer aux collectivités locales des orientations trop précises en matière d’urbanisme ou d’aménagement. Dans les faits, les régions ont donc fait autre chose que ce qu’elles ambitionnaient de faire initialement avec ces nouveaux outils de planification. Mais, au-delà de cette éventuelle déception, il est intéressant de voir que ce qu’elles ont réalisé à travers cette « première génération » de SRADDET, par la mise en perspective des transitions et de cohésion des territoires (et notamment dans la relation entre ces territoires, à la fois urbains et ruraux). D’une certaine manière, elles expérimentent une nouvelle forme de planification qui part des enjeux environnementaux, en lien avec des objectifs déjà fixés (par des accords gouvernementaux, internationaux et nationaux). Le futur est en quelque sorte « déjà là » et tous les débats portent sur le chemin pour l’atteindre. Cela est nouveau en France car la planification historique des « Trente Glorieuses » cherchait essentiellement à amplifier des dynamiques de croissance en germe autour de consensus à la fois en termes de production et de répartition de services publics ; puis celle des années 1980 et 1990, en lien avec la décentralisation, était davantage dans une logique bottum up, à partir des projets de développement local ; et aujourd’hui, la planification remet en question ces anciennes logiques de projet. Des objectifs de transition environnementale pour le sol (le « zéro artificialisation nette ») ou l’énergie (le « zéro émission nette ») conduisent à concentrer les débats sur les arbitrages sociaux et territoriaux de ces raretés volontairement consenties : comment vont se répartir les efforts entre territoires et groupes sociaux ? C’est donc une transformation très importante et, de ce point de vue, les régions ont réellement travaillé cette nouvelle forme de planification.

Vous assimilez, dans le court ouvrage que vous consacrez à Rouen dans la collection du programme « POPSU   métropoles » du PUCA   , la capitale normande à une « métropole performative ». Pouvez-vous développer ce point de vue ? Y aurait-il plusieurs catégories de métropoles en France en fonction de leur potentiel de développement démographique et d’attractivité économique ?

Avec mon collègue Jean Debrie, nous avions conscience que le titre de l’ouvrage pouvait être compris de diverse manière. Il n’est ici pas question de la performance métropolitaine mais de sa dimension performative : dire qu’une métropole existe pour la faire advenir. Effectivement, à l’échelle internationale, Rouen est davantage une ville moyenne qu’une métropole et, d’une certaine manière, notre sujet n’est pas de savoir si Rouen est une métropole complète au sens de la « ville globale » comme Paris (cela n’est évidemment pas le cas et c’est davantage un morceau d’un système plus large, la « métropole France » autour du Grand Paris, dont parle notamment Pierre Veltz dans ses ouvrages), mais de comprendre si l’affirmation institutionnelle de la métropole rouennaise a changé quelque chose dans la manière de gouverner la capitale normande.

Or, cela l’a changée de deux manières : d’une part, de nouveaux sujets ont été investis par les élus et les services (de la ville de Rouen comme des communes périphériques), avec notamment de nouveaux partenariats qui ont été créés (avec Paris et Le Havre, en partie sous l’impulsion de l’Etat), et, d’autre part, au-delà de la plus grande échelle de l’intercommunalité et de son degré plus important d’intégration politique, la métropole de Rouen constitue un mode transitoire de gouvernance du pouvoir local, qui pourra demain aller plus loin (avec éventuellement la prise en charge de compétences aujourd’hui dévolues au département de la Seine-Maritime, par exemple). Finalement, dans ce nouvel âge de l’intercommunalité, le sujet n’est plus vraiment celui de l’identité du territoire métropolitain mais davantage celui du dialogue territorial. Le mot « métropole » (ou en tout cas sa traduction institutionnelle) change-t-il la réalité territoriale ? Ce n’est pas forcément évident mais en tout cas c’est une question intéressante car on voit bien que cela contribue à transformer les contenus et les modes de fabrication de l’action publique locale.

Dans le livre collectif Faire région, faire France que vous consacrez au bilan des SRADDET des régions françaises – depuis le découpage issu de la loi de 2015 –, vous mettez en perspective trois dimensions importantes de la planification régionale : l’articulation des mobilités (et non plus seulement des infrastructures de transports), les stratégies de transition écologique (et pas uniquement de développement durable) et l’affirmation d’une nécessaire cohésion des territoires (plus que d’une plus incertaine égalité des territoires). Les régions sont-elles désormais devenues cet échelon « intercesseur », entre le niveau local et l’Etat central, pouvant jouant un rôle de pivot dans l’aménagement du (ou des) territoire(s) français ?

A mon avis, les régions ne jouent pas encore ce rôle pivot car, d’une certaine manière, elles se comportent toujours comme « le plus grand des petits » échelons de la gouvernance territoriale. Leur « rêve » est de devenir l’organisateur des pouvoirs locaux mais elles ne se considèrent pas comme des contributrices d’un dessein national français. Les régions cherchent en effet à « faire région » mais pas tellement à « faire France », elles ne présentent jamais dans leurs schémas ce que pourrait être leur contribution à la transition aux échelles française ou européenne. C’est une limite encore importante, qui ne se retrouve pas dans un pays fédéral comme l’Allemagne, bien entendu. Les régions françaises n’ont pas investi cette dimension nationale, ce qui ne fait pas (encore ? ) d’elles un pivot de l’aménagement du territoire.

Enfin, en matière de planification urbaine – sujet de votre manuel du même titre –, quel est l’impact de mesures telles que « Zéro artificialisation nette » (depuis le plan national pour la biodiversité de 2018) ou encore « Zéro émission nette » (objectif affirmé par la loi relative à l’énergie et au climat de 2019) sur les documents d’urbanisme au niveau communal (le plan local d’urbanisme, héritier des anciens plans d’occupation des sols) et intercommunal (le schéma de cohérence territoriale) ? Ces dimensions à la fois foncière et environnementale se retrouvent-elles dans d’autres pays européens ?

Cet ouvrage Planification urbaine est d’une nature différente par rapport à l’étude portant sur Rouen ou au bilan des schémas régionaux. L’idée était ici de faire la synthèse, sous la forme d’un manuel, de l’histoire de la planification, avec une dimension à la fois française et internationale, pour capter un double public, les étudiants d’abord, mais aussi les professionnels et élus en situation, désireux de se familiariser avec ces sujets par une documentation moins pratique que théorique, avec une prise en compte du temps long et des problématiques sociales. Et cette démarche se conclut en effet par la dimension environnementale avec ces enjeux saillants des objectifs dits ZAN (zéro artificialisation nette) et ZEN (zéro émission nette) qui sont au cœur de la planification en cours.

Or, c’est à la fois une chance et un risque pour la planification territoriale d’intégrer ces deux exigences : cela la remet à l’agenda national et local mais donne sans doute au volet foncier une importance trop « étouffante » dans l’action publique. Rappelons qu’en France, la planification répond historiquement à trois objectifs : l’énoncé d’un futur souhaitable, la meilleure coordination des politiques publiques (de mobilités, par exemple) à l’échelle d’un territoire et, enfin, la prise en compte de la dimension foncière dans la trajectoire de développement. Or, sans même se prononcer sur le débat de savoir s’il faut un objectif en termes d’artificialisation des sols et de lutte contre l’étalement urbain, il existe au-delà de cet objectif foncier bien d’autres dimensions importantes à prendre en compte dans la planification : le marché du logement (très perturbé par un éventuel tarissement du foncier disponible) ou le fonctionnement des services publics locaux (construire un lotissement permet à certains maires de « sauver » leurs écoles), par exemple. Il faut donc avoir une vision plus large que le seul aspect foncier pour pouvoir rendre opérante et, surtout, acceptable une exigence telle que le « zéro artificialisation nette ». Ce type de slogan constitue donc à la fois une opportunité pour remettre au cœur des préoccupations la planification territoriale mais aussi une menace si sa seule traduction concerne le volet foncier des documents d’urbanisme. En effet cela risque d’aboutir à des incompréhensions des élus et citoyens, voire à des refus. Ce serait donc une réponse très imparfaite aux enjeux pourtant essentiels que l’on voudrait traiter par ce biais.