"Réveillons-nous !". C’était le slogan qui animait le Laboratoire de l’Egalité né en décembre 2009 pour mettre en avant la question du sort des femmes dans la réforme des retraites. Ni association féministe militante, ni mouvement directement affilié à un parti politique, le Laboratoire de l’Egalité s’est d’abord affirmé comme une "plateforme d’échanges" réunissant divers experts sur le thème de l’égalité hommes-femmes. Au niveau européen on trouve le  LEF qui représente 2500 associations de femmes en Europe, et porte leurs revendications et priorités. Ces formes d’associations apparaissent comme une transition dans le paysage féministe : revendiquant une volonté politique d’application du droit des femmes, ses membres usent aussi de leur expertise pour peser dans le débat, que ce soit au niveau national ou international, sans pour autant valoriser une action militante, de terrain. Une bonne alternative pour unir les féministes ?

 

L’ambition du Laboratoire de l’Egalité est aujourd’hui double : "réunir le maximum de compétences pour parler d’une seule voix avec les décideurs économiques et politiques (…) et rassembler des acteurs engagés dans la promotion de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes". Ne bénéficiant d’aucun financement politique, le Laboratoire de l’Egalité a été créé spécifiquement fin janvier 2009 pour proposer des alternatives concrètes sur la situation des femmes dans le projet de réforme des retraites. Le but principal était donc de se concentrer avant tout sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, et les inégalités mises en valeur dans le projet de réforme des retraites initiée par le gouvernement. Suite au constat d’un manque de réflexion sur ce sujet, trois objectifs autour de la notion non pas de "féminisme" mais "d’égalité homme-femme" se sont imposés : 

- "Porter la voix de l’égalité auprès des décideurs économiques et politiques à travers des propositions étayées et concrètes". 

 

- "Développer, partager et diffuser une culture commune de l’égalité entre les femmes et les hommes. Favoriser le partage d’expérience et l’enrichissement mutuel des acteurs de l’égalité". 

 

- "Favoriser la création et le développement des emplois féminins, viviers de croissance de l’économie. Soutenir l’entreprenariat des femmes".

 

Cette notion d’égalité est préférée à celle de féminisme car, comme le résume Olga Trostiansky, adjointe au maire de Paris, chargée de la solidarité, de la famille et de la lutte contre l’exclusion, membre et parmi les fondateurs du Laboratoire de l’Egalité, "Dans le monde associatif, le gros mot c’est "entreprise" et dans l’entreprise, le gros mot c’est "féminisme"". Issue du milieu entrepreneurial, Olga Trostiansky s’est penchée sur le problème de l’inégalité socioprofessionnelle, en invitant des associations comme la CADAC (Collectif national pour le droit à la contraception et à l’avortement) mais aussi la blogosphère féministe, les réseaux "féminins" des entreprises, ou des grandes écoles ainsi que des hommes (qui représentent 20% des membres du Laboratoire de l'égalité) pour réfléchir sur une question concrète : "Quelles sont les conséquences pour les femmes de cette nouvelle réforme des retraites?".

 
 

L'objet du Laboratoire de l'égalité n'est pas de s’épancher sur d’autres problématiques "féministes" comme la prostitution ou la question du voile qui restent selon elle, des questions importantes selon Olga Trostiansky mais à l’échelle de la société. Unir experts, partenaires sociaux, monde de l'entreprise et mondes associatifs autour d’un thème commun serait donc la stratégie pour se faire entendre dans le débat public ? C’est en effet le cas du Laboratoire de l’Egalité qui a participé activement au débat sur la réforme des retraites. La réussite était surtout dans la "médiatisation du problème" "et une "prise de conscience du grand public de ces inégalités". Aujourd’hui, son but est d’inciter les partis  à prendre ces sujets en main en vue de 2012, comme le confirme un récent communiqué de presse du Laboratoire pour l’Egalité, qui propose un "pacte pour l’égalité" aux futurs candidats.

 
 

Un lobby comme le Laboratoire de l’Egalité complèterait donc le militantisme féministe traditionnel et sa formule associative, en pesant directement sur la réflexion législative et exécutive.

 

Olga Trostiansky s’appuie aussi sur le LEF (Lobby Européen des Femmes) et la CLEF(Coordination Française pour le Lobby européen des Femmes), associations qui ont pour missions d’informer et d’influencer les politiques au niveau national et européen. Le LEF, créé en 1990, est une plateforme d’associations de femmes issues de toute l’Europe qui a pris l’étiquette de "lobby" car elle dispose aussi de fonds propres et a une action politique. La CLEF est son organisation membre française, et réunit également plus de 80 associations françaises travaillant sur tous les thèmes liés à l’égalité femmes/hommes et aux droits des femmes. "Notre but est surtout de faire valoir les droits des femmes et l’égalité femmes/hommes au niveau européen, et d’être un organisme de référence dès que les député(e)s européen(ne)s veulent débattre de questions sur l’égalité femmes/hommes ou sur les violences faites aux femmes, grand thème de l’année 2010" décrit Pierrette Pape, chargée de politiques et coordinatrice de projets au LEF. L’organisme basé à Bruxelles joue un rôle important en matière de droits des femmes puisqu’il constitue la plateforme européenne faisant le lien entre le travail de terrain des associations de femmes et les institutions européennes.. "L’essentiel pour nous est d’arriver à conjuguer les réflexions politiques avec la réalité du terrain." Outre le contact permanent avec le terrain au travers des membres du LEF, les salariées du LEF à Bruxelles sont également des militantes  qui s’impliquent à des niveaux différents. " Moi-même, je fais partie d’associations militantes belges et de l’association française La Meute, car, outre mon engagement personnel, je veux toujours garder un pied dans le terrain." explique Pierrette Pape.

 
 

Quant à la CLEF, elle a un double objectif  : "Un but féministe, en luttant pour une égalité totale des femmes dans tous les domaines de la vie, et un but européen, pour promouvoir la construction de l’Europe dans laquelle les femmes ont une place et que leurs droits y soient respectés". Ses causes s’étendent aux violences faites aux femmes, à la lutte contre les extrémismes religieux ou encore à la reconnaissance du droit des femmes migrantes. Là encore, la lutte féministe "s’organise autour de clubs de réflexions, conférences internationales sur des sujets tels que : l’Accès de toutes les filles à l’éducation y compris les filles invisibles par absence d’état-civil", une table-ronde organisée à l’occasion de la 55e Commission du Statut des femmes à l’ONU. Le but est d’ "avoir un impact fort" et d’ "être reconnu d’ici 2015". 

 

Conjuguant action régionale, locale et internationale, le LEF et la CLEF s’imposent aussi sur la scène internationale en participant, par exemple, à la commission du statut des femmes donnée par l’ONU du 22 février au 4 mars 2011. Le LEF échange aussi avec d’autres associations européennes tels que l’IPPF (International Planned Parenthood Federation, fédération internationale des plannings familiaux), l’ILGA (International Lesbian and Gay Association, association internationale LGBT) ou encore l’AGE (Plateforme européenne pour les personnes âgées). Quand on lui  demande comment le LEF peut se construire une identité "féministe" en tant qu’ organisme à vocation européenne, Pierrette Pape répond : "certes, on ne peut pas simplement s’identifier au MLF puisque l’on représente toute l’Europe, notre histoire se base surtout sur des références à l’histoire internationale du combat pour les droits des femmes dans le monde entier comme la conférence de Pékin en 1995. Notre organisme démontre que les associations de femmes de toute l’Europe peuvent s’unir pour défendre des causes communes. C’est pourquoi nous avons aussi une vocation de médiation et d’analyse politique, afin de prendre en compte les disparités de législations entre les pays tout en demandant les meilleures lois pour les femmes."

 

les thèmes universels du féminisme et les lois propres à chaque pays fait donc aussi partie des missions du LEF. En le comparant au Laboratoire de l’Egalité, on peut voir que les objectifs se rejoignent. Eviter les thèmes qui divisent les associations et s’intéresser avant tout à l’application des lois pour les femmes est un moyen de mettre en valeur sous une autre forme le "féminisme" tel qu’on l’entend aujourd’hui. "L’important est d’apparaître comme des organes crédibles et unis lorsque l’on veut parler du droit des femmes ; si nous n’avons pas de position sur le voile au sein du LEF, nous avons par contre une position claire et forte sur la prostitution", conclut Pierrette Pape. Pour Olga Trostiansky, le but est de compter dans le paysage politique : "On a tout en mains au niveau des lois en France, maintenant il faut agir et faire de l’inégalité hommes-femmes un thème clef pour la campagne présidentielle"

 

A lire également sur nonfiction.fr :

 

- Les associations de banlieue, Voix de Femmes et Voix d'Elles Rebelles, par Lilia Blaise. 

 

Mix-Cité, par Pierre Testard.

 

Osez le féminisme, par Lilia Blaise.

 

La Barbe, par Quentin Molinier. 

 

Les TumulTueuses, par Quentin Molinier.

 
 

- Une analyse des nouvelles modalités d’action des militantes féministes, par Marie-Emilie Lorenzi. 

 

- Un entretien avec la chercheuse Christelle Taraud sur la structuration actuelle du mouvement féministe, par Pierre Testard.

 

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- Un aperçu de la présence féministe sur Internet, par Pierre Testard.

 

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- Un portrait d’une "ancienne", Florence Montreynaud, par Charlotte Arce.

 

- Un entretien avec Martine Storti, sur le passé et l'avenir du féminisme, par Sylvie Duverger. 

 

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- Un entretien avec Marie-Hélène Bourcier sur la queer theory, par Sylvie Duverger. 

 

- Une chronique de l'ouvrage de Jean-Michel Carré, Travailleu(r)ses du sexe (et fières de l’être), par Justine Cocset. 

 

- Une brève de féminisme ordinaire, par Sophie Burdet. 

 
 
 

* Ce dossier a été coordonné par Charlotte Arce, Lilia Blaise, Quentin Molinier et Pierre Testard.

 
 
 

A lire aussi : 

 

- Martine Storti, Je suis une femme. Pourquoi pas vous ? 1974-1979, quand je racontais le mouvement des femmes dans Libération, par Fabienne Dumont. 

 

- Réjane Sénac-Slawinski (dir), Femmes-hommes, des inégalités à l'égalité, par Aurore Lambert. 

 

- Sylvie Schweitzer, Femmes de pouvoir. Une histoire de l'égalité professionnelle en Europe (XIXe-XXIe siècles), par Léonor Gutharc. 

 

- "L'Etat doit-il réglementer la représentation du corps féminin dans la publicité ?", par Matthieu Lahure.