Philosophe et historienne de la pensée féministe, Geneviève Fraisse, qui a publié A côté du genre   , a accepté de répondre aux questions de nonfiction.fr sur l'actualité du féminisme.

 
 
 
Nonfiction.fr- Vous êtes une militante féministe depuis les années 1970 ; vous avez été déléguée interministérielle aux droits des femmes (1997-1998) et députée européenne (1999-2004), qu’est-ce qui vous a conduite à vous engager ? 
 

Geneviève Fraisse- Je ne me suis pas engagée, j’ai été engagée par l’Histoire, à deux reprises, comme jeune femme de 68 avide de la radicalité politique, et étudiante en philosophie, surprise de ce qui s’y disait des femmes ; puis, vingt ans plus tard, comme analyste de la démocratie exclusive   témoin du renouveau du féminisme, via la parité.  Et je suis ainsi propulsée dans des fonctions politiques. Dans les deux cas, il est question de lier, dans un même mouvement, théorie et pratique, au plus loin du modèle de l’intellectuel généraliste de mon enfance personnaliste   et au plus près de "l’intellectuel spécifique" proposé par Michel Foucault. 

 
Nonfiction.fr - Regrettez-vous de ne plus participer au pouvoir politique ? 
 

Geneviève Fraisse- Je ne peux pas le regretter puisque mon métier de chercheuse (lire et écrire) fut mon unique choix existentiel et professionnel ; j’ai fait mon "service politique" comme on pourrait souhaiter que beaucoup le fassent, puissent le faire. Par ailleurs, je m’étonne de l’importance (apparemment supérieure) donnée à ce moment de femme politique. Depuis 2004, cette question est persistante, insistante, et l’emporte toujours sur mon travail écrit. Dois-je en déduire que le féminisme activiste est préféré à celui de la pratique de la pensée ? Dois-je en conclure que la fascination pour le pouvoir politique sous-qualifie toute ambition de recherche de la "vérité" ?

 

Nonfiction.frComment avez-vous concilié vos activités de femme politique avec celles d’historienne et de philosophe ? Comment conciliez-vous votre engagement et vos travaux de recherche avec votre vie de famille ? 

 

Geneviève Fraisse- 1) Politique et pensée, savant et politique : en reprenant une thématique existentialiste, je mettrai la séparation ailleurs : se mêler, ou ne pas se mêler, de ce qui nous regarde ; disons que Simone de Beauvoir, s’est mêlée de ce qui la regardait (femme, vieillesse, notamment) ; face à Sartre, c’est important. Dans cette lignée, j’ai fortement entendu la réflexion post-68, plutôt maoïste, sur le lien entre théorie et pratique. 2) Je n’ai rien "concilié". En effet, je récuse radicalement ce terme : a) concilier suppose qu’il existe des contraires alors qu’on peut penser l’addition, donc l’ "articulation" des deux espaces, privé et public.  b) Dans Les deux gouvernements   j’ai tenté d’expliquer comment nos pères fondateurs ont construit la dissociation des deux lieux, domestique et politique, pour empêcher l’égalité de pénétrer l’espace familial. J’ai donc bricolé l’articulation entre famille et vie publique suivant les moments de la vie (âge des enfants, activité du compagnon) et si une chose a pâti d’un trop d’activité, c’est l’amitié. 

 
 

Nonfiction.frOn dit souvent que les commémorations traduisent l’essoufflement de ce qu’elles commémorent. Les manifestations autour de l’anniversaire du MLF vous semblent-elles être le symptôme d’un étiolement du féminisme ? 

 

Geneviève Fraisse- Essoufflement, non ; je suis très sensible à l’arrivée des nouvelles générations féministes. En revanche, cette commémoration prend tout son sens quand on sait l’oubli et l’effacement dont les femmes font les frais dans l’écriture de l’histoire ; plus grave est, à mes yeux, la supposition, récurrente, que les sexes seraient pris, ou cantonnés dans "l’atemporalité". L’important fut le travail d’inscription dans l’histoire, d’une part, et la mise en perspective de l’accumulation historique (de 1970 à 2010) et non d’une simple reviviscence, d’autre part. L’effacement de l’histoire des femmes se fait par les dominants, mais aussi par les dominées !

 
 

Nonfiction.fr- Dans A côté du genre, vous observez que les débats sur la parité en tant que principe politique avaient ranimé le féminisme   Qu’en est-il aujourd’hui de ce renouveau ?

 

Geneviève Fraisse- La parité n’est pas un "principe" politique, mais un outil, un "habit" de l’égalité. Ainsi il faut s’en servir – "la parité est vraie en pratique et fausse en théorie"   –, mais ne pas faire de faux débats philosophiques sur la parité (sur la question du fondement sexué du politique, ou sur la substance différenciée des sexes). Quant au mouvement pour la parité, il a permis, dans les années 90, le renouveau du féminisme et il a clairement désigné l’ultime étape de l’égalité, celle de la présence des femmes dans les lieux de pouvoir. La parité est un mot de comptable (combien ?) très efficace pour révéler l’absence des femmes des lieux du pouvoir (politique, médiatique, intellectuel), et de tout pouvoir symbolique en général. Mais il ne recouvre pas l’ensemble de la question féministe.

 

Nonfiction.fr- Vous avez clôturé le congrès international féministe de décembre 2010 organisé par l’association des Quarante ans du féminisme. Que pensez-vous du rapport entre les féministes historiques et les nouvelles féministes ? Repérez-vous un clivage générationnel sur les questions majeures d’aujourd’hui, le "voile", la sexualité (les pro-sexes versus les anti-sexe), la prostitution, les mères porteuses ? 

 

Geneviève Fraisse- Les oppositions se dessinent hors générations. La question posée est plutôt celle du puzzle. Je m’explique : la domination masculine, dans une société démocratique, se montre toujours morcelée, dans un éclatement de problèmes qui rend la lecture de l’ensemble improbable. Mon ambition est de rapprocher les morceaux du puzzle pour qu’on puisse "lire" le dessin d’ensemble. Il en est de même pour l’émancipation : les féministes s’en tiennent souvent à un éclatement des revendications sans chercher à les penser comme un tout ; alors, on peut être pour le foulard ou contre la prostitution, ou inversement. Il est temps de sortir des engagements partiels, qui sont l’écho de la stratégie de la domination. Car cette dernière se veut incompréhensible ne provoquant alors que des affrontements épars, épuisants. L’égalité des sexes est une représentation radicale. Les deux thèmes abordés (mère porteuse, foulard/niqab) sont des morceaux du puzzle. Tentons de les renvoyer à un dessin d’ensemble :

1) la pensée de l’égalité est confrontée à l’absence de symétrie entre les sexes (maternité, prostitution, violence bref, le corps sexué et genré). Que se passe-t-il si on se met à penser la symétrie, même de façon fictionnelle ? Pourquoi entériner sans discuter la dissymétrie entre les sexes ?

2) il faut mettre en rapport égalité et stratégie, en incluant à la fois une analyse du pouvoir des dominées, et une réflexion sur l’appropriation de la domination.

 

Nonfiction.fr- Du Consentement   ne donne pas le sentiment que vous soyez convaincue par les arguments des féministes pro-sexe ni non plus que vous puissiez l’être par ceux que, depuis 2009, le STRASS (Le Syndicat du travail sexuel), s’efforce de faire entendre… 

 

Geneviève Fraisse- Pro-sexe ou anti-sexe : on est nécessairement à l’intérieur de la dialectique de la domination, et la subversion, même la plus radicale, sait qu’elle en accepte le cadre. Avec l’idée, à envisager, que l’esclave peut l’emporter sur le maître… Impossible ici de substituer le mot genre à sexe, ni même sexualité. Donc le mot sexe : pour dire que de la violence est inhérente à toute vie sexuelle, certes oui.La pensée de l’égalité propose un autre cadre épistémologique.La prostitution est une réalité sociale et sexuelle unilatérale (qu’on ne vienne pas arguer des quelques pourcents de prostitution masculine). Discuter du bien-fondé du service sexuel comme symétrique serait décapant. Dernières actualités : offrir des services sexuels aux handicapés, pour un seul sexe ou les deux sexes ? Ou encore : créer une agence de femmes de ménage sexy ; pour un seul sexe évidemment. Penser l’égalité exige une représentation symétrique ; et là la discussion sortira des lieux communs habituels (Est-ce moral, ou non ? Est-ce mercantile, ou non ?).

 

Nonfiction.fr- Par ailleurs, vous ne paraissez pas particulièrement favorable au port du voile dans les espaces publics  

 

Geneviève Fraisse- Le voile : on s’est disputé sur le vrai ou le faux consentement des femmes portant le voile. On a souligné que ces femmes étaient des sujets parlants ; mais la question intéressante est ailleurs : Que disent-elles ? Quels sont les contenus de leur parole? S’agit-il juste d’une affirmation de liberté individuelle, ou au contraire de l’expression d’une pensée commune, politique, en rapport, ou non, avec l’égalité des sexes ? Le port du voile doit être pris comme un discours à la fois critique et affirmatif, donc susceptible d’être soumis lui-même à la critique. C’est un geste politique et il faut le considérer comme tel.

 

Nonfiction.fr- Étiez-vous favorable à la loi, adoptée par le Parlement en septembre 2010, qui vise à interdire la burqa et le niqab dans l’espace public ? 

 

Geneviève Fraisse- Interdire le foulard à l’école, c’est empêcher la réduction des apprentissages (le sport notamment, fondamental pour l’émancipation) dans un lieu républicain, pour tous. Interdire un vêtement dans l’espace public n’est le support d’aucune pratique démocratique. Je n’y étais donc pas favorable.

 

Nonfiction.fr- Vous avez signé récemment un appel favorable à la légalisation des mères porteuses en France   . Pouvez-vous nous expliquer pourquoi? 

 

Geneviève Fraisse- La maternité reste un impensé du féminisme ; la garder comme un lieu à part de la pensée politique est un aveu d’impuissance. Il est grand temps que le féminisme pense la maternité comme pouvoir (autant que comme charge, autre débat). Je propose que l’on y réfléchisse, encore une fois, avec la notion de symétrie. A voir : le film de Jacques Demy L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune, 1973. Qu’est-ce qu’un homme Qu’est-ce qu’un homme enceint ? Aussi, l’histoire de la mère porteuse remonte aux textes fondateurs, mythologiques et religieux. Il y a eu et il y aura toujours des mères porteuses. Il est temps de le rappeler.

 

Nonfiction.fr- On observe deux tendances : les mouvements féministes indépendants politiquement, et ceux qui, comme Osez le féminisme ! Affichent leurs affinités politiques. Selon vous l’engagement féministe se suffit-il à lui-même, ou doit-il s’appuyer sur les partis politiques ?

 

Geneviève Fraisse- La question se pose depuis deux cents ans ; les deux tendances ont leurs vertus et leurs vices. Cela dit, le féminisme suscite la réticence, toutes institutions politiques confondues. Qu’il soit transversal à toute la société reste vrai, qu’il y ait des clivages droite/gauche également ; pour ma part, j’ai assisté à quelques surprises… 

 

Nonfiction.fr -N’est-ce pas la question qui divisait le mouvement des années 1970, entre celles qui estimaient que la lutte des classes primait et celles qui, comme Beauvoir, Christine Delphy, ou vous-même, ont jugé que la lutte en faveur de l’égalité en droits et en faits avec les hommes ne pouvait attendre ? 

 

Geneviève Fraisse- Oui, bien sûr, le féminisme, c’est-à-dire l’idée d’une égalité femmes-hommes, possible parce que pensable, ne peut être relatif à des impératifs extérieurs, ne peut être soumis à conditions. Or le féminisme est considéré, la plupart du temps, dans son contretemps historique. Exemple, au XIXe siècle (ou aujourd’hui) : soit la femme doit attendre (éduquez-la, et faites-lui quitter les genoux de l’Église), soit la femme est trop impatiente (faites la révolution avec nous, puis votre émancipation sera dans la corbeille du lendemain de la Révolution). Attendre, dans les deux cas, c’est accepter la hiérarchie des luttes (religion, Révolution), donc la hiérarchie tout court. Que vont pouvoir faire les femmes du Maghreb ?

 
 

Nonfiction.fr- Caroline de Haas a déclaré qu’elle voulait décentraliser Osez le féminisme ! Les fractures (Paris/Banlieue) Paris /Province vous paraissent-elles diviser les associations ?

 

Geneviève Fraisse- Je ne suis pas capable de faire des hiérarchies, toujours relativistes, dans un sens (hiérarchie des authenticités sociales) ou dans un autre (organisation des catégories, l’ouvrière, l’immigrée, la banlieue, la bourgeoise, la parisienne). En revanche, il faut montrer et travailler les contradictions du féminisme lui-même, ce qui est une façon de lui reconnaître un statut politique (et pas seulement idéologique, social) : quid de la maternité et de la vie publique, de la maîtrise de la fécondité et de la trajectoire sociale, de l’accès au  savoir et de l’autonomie économique, de la violence des dominants et du pouvoir des dominés, des stratégies légales ou des ruses anciennes, du corps comme marchandise ou comme arme, etc. 

 

Nonfiction.fr- Lors d’un débat qui a suivi la projection du film Encore Elles ! La question a été soulevée du problème que pose le mot "féminisme" à certaines associations actuelles, qui vont jusqu’à le rejeter. Pensez-vous qu’il faille aujourd’hui abandonner ce mot et, sans y recourir, mettre en avant le principe d’égalité, de parité ? 

 

Geneviève Fraisse- Il y a longtemps, j’ai écrit que le mot "féminisme" était un mot maudit, et "maudit pour toujours"   . Raison de plus pour continuer à l’employer car il désigne l’insupportable d’une démocratie de convenance, celle qui croit à l’égalité, mais ne veut pas la confronter au réel. L’expression "égalité des sexes" fait donc l’objet de contournements multiples, voire de contorsions : précisément, l’usage du mot "parité" peut être abusif car on s’en sert pour masquer le mot "égalité", trop cru. 

 

Nonfiction.fr- Pour y atteindre vous paraît-il nécessaire de développer un "essentialisme stratégique", pour reprendre la formulation de Gayatri Spivak, dont les œuvres majeures viennent d’être traduites en français   ?

 

Geneviève Fraisse- Gayatri Spivak met l’accent sur l’incontournable catégorie politique, ici les femmes. Cela aussi est une contradiction à supporter, à assumer. Cependant, en confrontant le "devenir sujet" avec la "permanence de l’objet", se fait jour une autre nécessité, tout aussi incontournable : l’importance de la ruse, en matière de résistance à l’oppression et de stratégie d’émancipation   . Pas la ruse comme jeu de rôle à l’intérieur d’un rapport maître/esclave, mais la ruse comme conscience de ce que les femmes ne sont pas seulement un objet d’échange mais un lieu de l’échange.

 

Nonfiction.fr- Vous qui avez pu mesurer de près combien la classe politique française demeurait réfractaire à la parité, et qui en 2007 estimiez que les Françaises manquaient d’insolence   , avez-vous été tentée de revêtir une barbe et de susciter du trouble dans les assemblées masculines en compagnie des féministes de La Barbe ?

 

Geneviève Fraisse- Suis-je capable de mettre une barbe ? Bonne question ! La provocation est une forme de radicalité ; j’en connais d’autres, notamment celle d’aller jusqu’au bout de la logique d’une démonstration quand on vous demande au contraire de "savoir jusqu’où ne pas aller trop loin".

 

Nonfiction.fr- Le mouvement de 1970 "se voulait accoucheur d’un monde nouveau"   . Estimez-vous vous aussi que le féminisme peut transformer radicalement la société ?

 

Geneviève Fraisse- Question fondamentale : depuis deux siècles (depuis Charles Fourier   ), on sait que la mesure d’une société est fondée sur le degré de liberté des femmes. Oui, le féminisme est subversif pour tous. Cela implique d’accepter qu’il joue toujours à double niveau, pensée des femmes, et pensée de l’ensemble du monde. Or si le féminisme est un levier pour l’émancipation de tous, on doit mesurer le retournement théorique proposé, puisque, d’ordinaire, on préfère dénoncer le particularisme catégoriel de la lutte des femmes, et en signaler ainsi l’importance secondaire ; "la contradiction secondaire", disait le marxisme.

 

Nonfiction.fr- Dans A côté du genre, vous écrivez que "le projet contemporain" est celui de la subversion des normes de genre et des sexualités normatives, et que c’est "un chemin de l’utopie"   . Ce projet ne semble pas être le vôtre…

 

Geneviève Fraisse- Il existe deux façons de penser la politique, la subversion des normes d’un côté, le rapport des contradictions de l’autre. Les deux démarches sont fortes, mais n’entretiennent pas le même rapport à l’utopie. La première accorde à la mise à mal des normes sexuelles le pouvoir de détruire la hiérarchie des sexualités et ainsi de mettre à mal les hiérarchies sociales; la seconde pointe la mécanique de la domination masculine de manière à l’ébranler radicalement en la rendant lisible, donc contestable. On dira que la seconde manière manipule l’utopie avec lucidité quand la première permet d’en construire l’imaginaire. Mon chemin choisit la lucidité affichée, confrontation avec la contradiction, plutôt qu’escamotage d’une partie du problème   . Les rapports de la gauche radicale et du féminisme sont un bon exemple de contradiction.

 
 

Nonfiction.fr- Vous continuez d’évoquer "la différence des sexes", ou "la question des sexes". Pourtant, cette formulation a fait l’objet de nombreuses critiques   . – elle est immanquablement associée aux idées anthropo-psychanalytiques d’une dualité des sexes et d’un ordre symbolique anhistorique dans lequel chaque sexe occuperait une place et un rôle distincts   . Or, vous insistez sur l’historicité des représentations des sexes, et c’est même le dérèglement de ces représentations qui vous intéresse le plus   . Pourquoi jugez-vous préférable de parler de sexes plutôt que de genre ? 

 

Geneviève Fraisse- Disons que je tiens surtout à maintenir la présence du mot sexe, en particulier dans les lieux de la pensée où sa disparition pourrait bien arranger tout le monde. Le mot sexe est, en français, un mot qui porte une charge d’abstraction qui m’intéresse ; par ailleurs, c’est un mot en excès, qui ne peut être rangé dans une boîte et cela me paraît bien rendre compte de la difficulté à penser l’égalité des sexes. Ni la biologie ni l’anthropologie ne sont l’enjeu de ce choix puisque je m’en tiens à la catégorie vide, vide de substance, de contenu quel qu’il soit. Comme vous le dites dans votre question, le problème le plus grave à mes yeux est l’anhistoricité des représentations, la difficulté à montrer l’historicité des sexes. 

 
 

Nonfiction.fr- Vous entendez penser "à côté du genre". Est-il possible de penser la construction sociale des rapports de pouvoir entre les sexes sans avoir recours au concept de genre ? 

 

Geneviève Fraisse- Je m’amuse de ce titre qui ne dit pas que je suis "contre" mais qui dit que je suis "à côté". Cela signifie que je crains les effets négatifs (dissolution dans un universel neutralisant, ou fascination pour l’identité, fût-ce "troublée", du sujet individuel) et les conséquences implicites (reconduction impensée du duo nature/culture, schéma explicatif désormais inopérant).  

 
 

Nonfiction.fr-Vous considérez que le patriarcat, en Occident, est exsangue. Quels sont les signes de sa ruine ?  Quels objectifs estimez-vous que les  féministes devraient désormais poursuivre ? 

 

Geneviève Fraisse- Je ne dis pas que le patriarcat est exsangue, je dis que ce n’est plus le bon mot, en tout cas dans la société occidentale. Le pouvoir paternel comme tel n’est plus en vigueur. Ce terme, "patriarcat", est généralement employé pour qualifier la domination masculine comme système global. En ce cas, on relègue la signification première du mot qui indique le pouvoir des pères. Il me semble que cette ambiguïté n’est pas bonne pour la pensée. La domination masculine se porte bien aujourd’hui et n’est pas "exsangue"; les dominants sont plutôt des frères que des pères.  D’ailleurs le mot "fraternité", dont on tient aussi à ignorer qu’il a des racines dans un réel très prosaïque, mériterait d’être bousculé. En bref, il y a un drôle de face-à-face imaginaire entre patriarcat et fraternité. Il faut trouver les bons concepts

 

* Propos recueillis par Sylvie Duverger et Lilia Blaise.

 

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* Ce dossier a été coordonné par Charlotte Arce, Lilia Blaise, Quentin Molinier et Pierre Testard.

 
 
 

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- "L'Etat doit-il réglementer la représentation du corps féminin dans la publicité ?", par Matthieu Lahure.