Dans le discours qu’il a prononcé le 7 janvier 2011 pour l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, Monsieur Jean-Louis Nadal, Procureur général près la Cour de cassation, a déclaré : "Mais s’il n’est pas récent, le phénomène ne laisse pas d’inquiéter quand, à cette institution fondamentale de la République et de la démocratie, les coups sont portés par ceux qui sont précisément en charge de la faire respecter. A cela, je dis qu’il faut très sérieusement prendre garde.

Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l’altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République."

Jamais, en France, depuis 2007, depuis l’entrée de Nicolas Sarkozy au Palais de l’Elysée, le pouvoir judiciaire, l’une des trois branches du gouvernement dans une démocratie normale et qui fonctionne, n’a été autant attaqué et rabaissé.

Service public d’une utilité évidente pour les citoyens, la justice française souffre, de façon criante. Les apparences de réforme ne masquent pas le recul grave de la qualité des moyens mis à la disposition des juges, des greffiers, des auxiliaires de justice pour que les Français puissent avoir confiance en leur justice, ceci alors que les contingences de la vie contemporaine les conduisent de plus en plus fréquemment à recourir à elle.

La mise en oeuvre du contrôle de constitutionnalité ex post, en 2010, grâce à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), est une avancée dont il faut se féliciter. Elle ne suffit pas : il convient de créer, en effet, une vraie cour constitutionnelle, l’organisation interne du Conseil constitutionnel n’ayant pas été mise en adéquation avec les conséquences pratiques de cette nouveauté. De plus, la question devra être posée inévitablement, compte tenu du succès de la QPC, de savoir si le recours au juge constitutionnel peut ou doit devenir direct et non pas seulement, comme en l’état, indirect.

Le tableau de la justice française, notamment par comparaison avec nos voisins de l’Union européenne, est particulièrement sinistre :

- la réforme de la carte judiciaire, bâclée, n’a pas été accompagnée du moindre renforcement des effectifs judiciaires et a eu pour conséquence d’éloigner les tribunaux du domicile de nombreux citoyens ;

- le temps moyen de jugement des affaires ne s’améliore pas ;

- le financement de l’aide juridictionnelle, qui n’est pas du tout à la hauteur des besoins, n’intéresse aucun ministre de la justice ;

- les tribunaux français restent dépourvus de moyens de communication électronique ;

- les décisions rendues par les juges sont attaquées et dénigrées, et de façon violente, bruyante et tout à fait invraisemblable, par certains membres du gouvernement, en particulier ceux qui ont été condamnés en justice dans l’exercice de leurs fonctions ;

- on ne compte plus le nombre de lois votées dans la précipitation et la démagogie qui viennent désorganiser le travail des professionnels de la justice, les juges étant présentés par le pouvoir exécutif comme les responsables de l’explosion des formes de violence et de délinquance en France quand la désespérance sociale frappe les Français, le nombre de chômeurs explose, passé de 3 à 4 millions de personnes (sic) entre 2007 et début 2011, et l’obsession répressive sert de cache-misère à une politique pénale et judiciaire en réalité inexistante ;

- en moins de 4 ans, la France a vu se succéder 3 ministres de la justice et arriver puis disparaître un secrétaire d’Etat à la justice. Souhaitons bonne chance au nouveau garde des Sceaux dont la tâche ne consiste en rien de moins que de rebâtir sur un champ de ruines !

Les prétentions affichées- toujours sur un mode électoraliste, quand il y faudrait compétence et engagement politique fort- par Nicolas Sarkozy en matière de politique judiciaire ou pénale sont devenues insupportables. Son discours sur ces thèmes est devenu inaudible. Qui se souvient des velléités de suppression du juge d’instruction, de grande réforme du code de procédure pénale, de renforcement des prérogatives du Parquet, de dépénalisation du droit des affaires, etc. ?

Allons ! Relisons, par exemple, car la liste des promesses et des paris non tenus est fort longue, le discours qu’il a prononcé le 7 janvier 2009 à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation.

Et réfléchissons et agissons pour tourner définitivement cette page.


Nonfiction.fr publie aujourd’hui un état des lieux et un début de bilan de l’action de Nicolas Sarkozy dans les domaines de la justice et du droit :


- Un point de vue sur le populisme pénal du président de la République, par Adeline Hazan, maire de Reims et ancienne présidente du Syndicat de la magistrature.

 

- Un article sur le financement de l'aide juridictionnelle, par Daniel Mugerin. 

 

- Une critique du numéro de la revue Hommes et Liberté sur la justice pénale, par Charles-Edouard Escurat.

- Une analyse juridique de la politique d’immigration et d’asile de Nicolas Sarkozy, par Aurore Lambert.

- Une mise en perspective de l’application de la loi Hadopi et de ses implications, par Bérengère Henry.

- Une interview de Maxime Gouache, président du Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées (GENEPI) et Bruno Vincent, président des anciens du GENEPI, à propos de la politique du gouvernement en matière de justice depuis 2007.

- Une recension du dernier numéro de la revue Pouvoirs sur "La Prison", par Blandine Sorbe.

- Une interview de Maître Virginie Bianchi à propos de la rétention de sûreté, par Yasmine Bouagga.

- Une brève sur le livre d'Olivier Maurel, Le Taulier. Confessions d'un directeur de prison, par Yasmine Bouagga.

- Une interview du sociologue Philippe Combessie autour de son livre Sociologie de la prison, par Baptiste Brossard et Sophie Burdet.

 

 

* Cet éditorial a été écrit par Daniel Mugerin. Ce dossier a été préparé par Yasmine Bouagga, Charles-Edouard Escurat, Bérengère Henry, Aurore Lambert, Nicolas Leron, Daniel Mugerin et Blandine Sorbe. 



A lire aussi sur nonfiction.fr :

Sur la justice des mineurs :

- Jean-Pierre Roscenczveig et Claude Goasguen, Quelle justice pour les enfants délinquants ?, par Bérengère Henry.

- Nathalie Dollé, Faut-il emprisonner les mineurs ?, par Patricia Rousson.


Sur la garde à vue :

- Matthieu Aron, Gardés à vue, par Daniel Mugerin.


Sur Hadopi :

- "Hadopi : la bataille continue", par Yassir Hammoud.

- "Des solutions alternatives à la "riposte graduée" ", par Julie Urbach.