Le débat sur la justice des enfants délinquants entre le médiatique Président du Tribunal pour enfants de Bobigny et le député-maire du XVIème arrondissement, offre au citoyen des clés de compréhension en affirmant les non-dits et en démantelant les idées reçues. 
 

31. C’est le nombre de modifications de l’Ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. L’ère Sarkozy devrait détruire cet édifice du droit français et ériger, à sa place, un code de justice pénal des mineurs. Est-ce que les fondations de l’Ordonnance de 1945, à savoir le primat de l’éducatif sur le répressif et l’autonomie du droit pénal des mineurs seront préservées ? Le gouvernement n’a, certes, pas encore levé le voile sur son projet de code de justice pénale des mineurs, mais les travaux préparatoires et les orientations du Gouvernement Fillon laissent anticiper un durcissement du volet répressif de la lutte contre la délinquance des mineurs.


L’imminente présentation du projet gouvernemental pourrait faire éclater des échauffourées intellectuelles entre deux bandes rivales : celle des "laxistes de gauche" contre celle des "réacs de droite ". Or, la problématique de la délinquance des mineurs, enchevêtrement de considérations éthiques, juridiques mais aussi matérielles, n’est pas réductible à une caricature manichéenne. Deux allégories, celle de la répression et celle de la prévention, espèrent en faire la démonstration dans un ouvrage intitulé Quelle justice pour les enfants délinquants ? paru aux Éditions Autrement. Dans ce livre, Jean-Pierre Rosenczveig, médiatique Président du Tribunal pour enfants de Bobigny et Claude Goasguen, professeur de Droit, maire du XVIème arrondissement et député UMP y confrontent non seulement leurs convictions et leurs propositions mais expliquent aussi leurs contraintes et leurs réalités. Pour mieux rebondir face aux contradictions de l’autre, pour pousser celui-ci dans les retranchements de son argumentation ou encore pour mieux identifier les consensus, peut-être ont-ils préféré un échange écrit de leurs arguments à la parution de deux essais distincts (ce qui, au mieux, aurait donné lieu à un rapide débat télévisé). Alors place au débat...un débat qui recèle quelques inattendus.


La délinquance des enfants : un phénomène difficilement appréhendable


Un coup de pied dans un tabou est lancé très tôt dans le débat. La relation entre délinquance juvénile et immigration est affirmée par Claude Goasguen et Jean-Pierre Rosenczveig qui précisent malgré tout qu’elles ne se recoupent pas. La véritable relation de cause à effet se situe ailleurs. Pour le juge, les enfants délinquants, quelles que soient leurs origines, ne bénéficient pas "d’un exercice normal de l’autorité et de la protection parentale". Déstabilisés face à une société dont les codes ne leur ont pas été transmis et le plus souvent précarisés par la situation économique de leur famille, les jeunes adoptent une réaction défensive qui se traduit par des actes de délinquance. La violence est un ersatz au dialogue devenu impossible, souvent faute de mots disponibles dans leur vocabulaire. Cette violence accrue renvoie une dégradation alarmante de leur état. Jean-Pierre Rosenczveig constate que les enfants délinquants ne sont pas plus nombreux qu'autrefois mais plus difficiles à traiter. Selon le juge des enfants, autant l’action sur la primo-délinquance peut être qualifiée d’efficace, autant celle réservée à la récidive n’a pas atteint son seuil d’efficacité. Les passages à l’acte sont devenus de moins en moins contrôlables au sein des populations à risque.  


Les causes et les ressorts du phénomène, étant synthétiquement identifiés, quelles sont les solutions concrètes, hormis l’incontournable octroi de moyens financiers et humains supplémentaires, pour lutter contre la délinquance juvénile ?


Relégitimer l’interdit versus relégitimer la loi


Autorité. La solution tiendrait donc en un mot. Mais à l’instar de tout concept, la définition de l’autorité est plurielle. Au cœur de cet échange, le concept d’autorité est à géométrie variable. Alors que pour l’élu, il faut relégitimer l’interdit, le juge, lui, intègre cette priorité dans le programme plus global de relégitimation de la loi avec ses droits et ses interdits. Comme il l’explique, pour les jeunes délinquants, "la loi, c’est leurs parents qui n’arrivent pas à les protéger. C’est l’Éducation nationale qui est une contrainte pour eux et qui ne leur apporte rien. Ce sont les flics qui de gardiens de la paix se sont transformés en Robocop". Ces autorités doivent assumer leur responsabilité "d’institutrice de la loi" dans un environnement en perpétuelle évolution qui leur faut pourtant saisir absolument.  


Pour une autorité ouverte sur l’extérieur et sur l’avenir

Les parents en manque de repères, plutôt que se renfermer sur leurs difficultés, doivent être guidés dans l’exercice de leur autorité parentale, grâce notamment au soutien d’autres parents ou via une mesure éducative en milieu ouvert. Faut-il aller jusqu’à punir les parents défaillants ? Pour Claude Goasguen, si la sanction est un outil pertinent, Jean-Pierre Rosenczveig est convaincu du contraire. Seule, l’éducation à la parentalité constitue, pour ce dernier, l’issue exclusive. Sanctionner les parents nuirait à leur crédibilité auprès de leur enfant. Pour restaurer l’autorité parentale, il préconise une "culture publique de l’autorité parentale" avec une loi familiale édictée, non plus au niveau domestique, mais au niveau national.  


Parallèlement, l’éducation nationale doit revisiter son rôle social. L’école ne peut plus, aujourd’hui, se cantonner à la transmission d’un savoir académique et faire abstraction du contexte extérieur à l’enceinte de l’école. Il est urgent que l’enseignement scolaire "décode" aux enfants, le monde dans lequel ils grandissent. L’école doit aussi assurer le repérage précoce des enfants en difficulté (à ne pas confondre avec le repérage précoce de la délinquance, prôné par Nicolas Sarkozy).  


Enfin, la police doit réinvestir les quartiers en tant que gardiens de la paix, refaire connaissance avec ses habitants qui doivent comprendre que la mission première de la police est, comme l’exprime Jean Pierre Rosenczveig, d’"organiser la circulation sociale". Ce dernier avertit également que les efforts de la police resteront vains si les bavures policières échappent à la sanction.  
Les parents, l’école, la police... Et la justice ? La justice, bouche de la loi, n’est guère citée au titre des autorités devant réinterroger leur rôle auprès des enfants. Au contraire, Jean-Pierre Rosenczveig, tout au long du débat, démontre, chiffres à l’appui, que la justice rendue par des professionnels ancrés dans la réalité, n’est laxiste donc inefficace que dans l’imaginaire collectif. Cependant, la réconciliation des jeunes avec la loi pour les juges comme pour les autres acteurs impliqués demeure une problématique que très partiellement résolue.   


Faire comprendre aux jeunes que la loi n’est pas qu’une "somme d’emmerdements"

Si la question est "Comment imposer la loi ?", la réponse sera "via la sanction". Si la question est "comment intégrer la loi ?" la réponse sera "via un travail éducatif". Le député-maire témoigne de sa foi en la sanction-dissuasion. Le juge, lui, ne croit pas en cette dernière car les jeunes délinquants cultivent toujours l’espoir qu’ils contourneront la punition. En revanche, la punition peut être dans des cas exceptionnels une réponse efficace à condition qu’elle ouvre des perspectives d’avenir au jeune et qu’elle soit accompagnée d’un travail éducatif. En effet, selon Jean-Pierre Rosenczveig, "au XXème siècle, on a compris que le rappel à la loi ne pouvait se passer d’un travail social ". Même Claude Goasguen l’a compris.

Cependant, les déclinaisons opérationnelles de ce fondamental, proposées par ce dernier sont rejetées par le juge. Claude Goasguen souhaite accompagner le travail éducatif de prévention de vidéosurveillance (qui ne fera selon son contradicteur que déplacer la délinquance) et suspendre le travail éducatif entre la commission de l’acte et son jugement. Ce différend offre l’occasion au juge de justifier l’exploitation qui est faite du temps qui sépare l’acte de son jugement et dont la durée (environ 13 mois) exaspère le quidam. Dès que le jeune est confondu pour un acte délictueux, s’enclenche généralement un travail éducatif auprès de lui. Les résultats de ce travail orienteront ensuite le juge dans le choix de la mesure éducative ou de la sanction qu’il veut adapter à la singularité du jeune. Le juge distille tout au long de l’ouvrage des pistes d’action pour renforcer le travail social auprès des enfants délinquants : créer des urgences sociales pour éviter les prises en charge différées, confier les situations les plus complexes à des éducateurs chevronnés et solliciter l’imagination des travailleurs sociaux pour adapter l’accompagnement de l’enfant et de sa famille, qui ont leurs propres besoins. Le travail social doit aussi investir les espaces du mineur : le foyer, l’école et même la prison.


La prison : entre bonne conscience et pragmatisme


Nouveau rebondissement. De la bouche même du juge militant du droit des enfants jaillit : "la prison peut s’imposer rapidement dans l’itinéraire d’un jeune qui entre en délinquance". La prison doit alors, comme toute sanction, ouvrir des perspectives de réinsertion au mineur et être doublée d’un travail social. Aussi, celui qui décide dans une loi ou dans un jugement de sanctionner par l’incarcération ne doit pas faire abstraction de la réalité intolérable des prisons.


Alors que le juge verrouille le recours à l’incarcération d’exceptions et de conditions, Claude Goasguen libère une affirmation plutôt inattendue selon laquelle l’électorat de droite refuse la prison pour les mineurs délinquants. De l’ambivalence de l’électorat de droite que l’enfermement (pas la prison) des mineurs rassurerait malgré tout, émanent des solutions mixtes, telles que les centres éducatifs fermés et les peines plancher, auxquelles peuvent pourtant déroger les juges des enfants sur qui, au final, pèse le fardeau de la décision. Le juge ne se satisfait aucunement de ces solutions bâtardes. La question inextricable de l’incarcération des enfants pourrait cependant être résolue par le bracelet électronique. Pour le juge et l’élu, le bracelet enrichit le panel de dispositifs qui doit perpétuellement être étoffé grâce à l’imagination de l’ensemble des acteurs impliqués. Et ce, non seulement, pour permettre une réponse au cas par cas à la délinquance du mineur qui est un être unique, mais aussi pour offrir des alternatives nombreuses et variées à l’incarcération et à l’impunité. Si le droit à la créativité est octroyé par la souplesse de l’Ordonnance de 1945, le juge et l’élu appellent à son actualisation et non à sa suppression.  


L’appel à un code de l’enfance


Un projet de code des mineurs est en gestation. Les travaux de la commission Varinard, dont la substance pourrait être reprise dans ce code des mineurs apporte, selon l’élu, "une solution politiquement équilibrée (...) qui permet de répondre à l’inquiétude de l’opinion mais de rester dans les normes constitutionnelles". Pour le juge, les solutions apportées (dont la suppression de l’instruction), contreviennent aux principes de l’Ordonnance de 1945. Parce que répressives et superficielles, elles n’éradiqueront pas les failles éducatives de l’enfant qui le privent, souvent, d’une compréhension de la sanction.
Le projet de code pénal des mineurs n’ayant pas encore été présenté et par conséquent, non encore voté, le juge et l’élu, par cet ouvrage, appellent à ce qu’un code de l’enfance soit préféré à un code de justice des mineurs. La personne de moins de 18 ans ne doit pas être appelée enfant lorsqu’elle est victime et mineur lorsqu’elle a commis une infraction. Ce clivage doit être abandonné. L’enfant demeure un enfant quels que soient ses actes. La politique de l’enfance doit donc être appréhendée de manière globale car "il est difficile d’imaginer que par une simple réforme du droit pénal, il sera possible d’éradiquer ce processus [la délinquance juvénile] et de combattre la récidive". Le juge et l’élu rappellent que le droit de l’enfance constitue un tout cohérent dont le droit pénal des mineurs n’est qu’une parcelle. Dans ce code devraient également être inscrites les obligations des institutions dont le respect conditionne l’efficience des droits de l’enfant et constitue un rempart contre les comportements délinquants. C’est pourquoi, rassembler dans un code les textes épars, relatifs au statut juridique de l’enfant en France constituerait, non seulement un instrument pédagogique pour les enfants mais aussi, le socle d’une politique de l’enfance robuste et résistante à l’usure du temps.


Dans ce livre, Jean-Pierre Rosenczveig et Claude Goasguen réussissent un véritable exercice d’équilibriste. Ils sont parvenus à éviter la caricature malgré leurs provocations, leurs phrases "coup de poing" et la défense de leur pré carré d’élu ou de juge. Ce livre, original, pour un sujet sérieux, dépasse la simple confrontation doctrinaire entre répression et prévention pour mieux mettre en relief leur complémentarité. Des consensus, et non des compromis, peuvent être trouvés sans que chacun ne renie ses valeurs ou sa déontologie ou voie son action quotidienne enfermée dans un carcan législatif superflu. Le lecteur doit-il percevoir dans ce livre une invitation à former une union nationale autour de cette question cruciale ? Le projet de code des enfants constitue un exemple de ce qui pourrait naître de cette union. Mais, on ne peut s’empêcher de regretter que l’appel pour un code de l’enfance se restreigne à tracer un cadre de référence pour les prochaines réformes sans s’aventurer sur le terrain des solutions opérationnelles et efficientes. Celles-ci ne le seront en effet, qu’à la condition d’être échafaudées à partir de l’analyse fine d’un contexte réel et non pas à partir du perçu des électeurs, alimenté par une presse alarmiste et des discours sécuritaires. Or, Claude Goasguen provoque chez le lecteur l’impression que rassurer ses électeurs sur le court terme est sa priorité absolue et que la résorption de la délinquance juvénile n’est qu’un bonus. Quant à Jean-Pierre Rosenczveig qui nous livre des analyses aussi fines que claires, on aurait aimé, sans pour autant remettre en cause le travail des juges des enfants, qu’il propose des pistes d’amélioration pour sa profession.  


Ceci étant, la confrontation des analyses et des propositions de ces deux acteurs engagés est extrêmement précieuse. En effet, elle offre au citoyen des clés de compréhension en affirmant les non-dits et en démantelant les idées reçues. Et cela pourrait dans un futur très proche servir de fondement à la réforme du droit pénal des mineurs

 

A lire sur nonfiction.fr :
 

Le dossier de Nonfiction.fr sur l’action de Nicolas Sarkozy dans les domaines de la justice et du droit :

 

- Edito : "Nicolas Sarkozy et le droit : une rupture consommée", par Daniel Mugerin.


- Un point de vue sur le populisme pénal du président de la République, par Adeline Hazan, maire de Reims et ancienne présidente du Syndicat de la magistrature.

 

- Un article sur le financement de l'aide juridictionnelle, par Daniel Mugerin. 

 

- Une critique du numéro de la revue Hommes et Liberté sur la justice pénale, par Charles-Edouard Escurat.

- Une analyse juridique de la politique d’immigration et d’asile de Nicolas Sarkozy, par Aurore Lambert.

- Une mise en perspective de l’application de la loi Hadopi et de ses implications, par Bérengère Henry.

- Une interview de Maxime Gouache, président du Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées (GENEPI) et Bruno Vincent, président des anciens du GENEPI, à propos de la politique du gouvernement en matière de justice depuis 2007.

- Une recension du dernier numéro de la revue Pouvoirs sur "La Prison", par Blandine Sorbe.

- Une interview de Maître Virginie Bianchi à propos de la rétention de sûreté, par Yasmine Bouagga.

- Une brève sur le livre d'Olivier Maurel, Le Taulier. Confessions d'un directeur de prison, par Yasmine Bouagga.

- Une interview du sociologue Philippe Combessie autour de son livre Sociologie de la prison, par Baptiste Brossard et Sophie Burdet.