Outre-Atlantique, le débat sur le téléchargement progresse en donnant notamment lieu à quelques expérimentations innovantes pour la résolution du "conflit" opposant internautes et maisons de disques. Warner Music, à l’origine de la dernière, serait en discussion avec les universités américaines afin de leur proposer un abonnement payant qui permettrait pour tous leurs étudiants, de télécharger gratuitement et de manière illimitée des fichiers musicaux sur leur réseau.

Une sorte de licence globale "volontaire" qui, selon Numérama, intéresserait déjà le MIT et les universités de Columbia, Stanford, Chicago, Washington, Colorado, Michigan, Cornell, Penn State, Berkeley et Virginie, et dont la recette serait ensuite répartie entre les différents acteurs, proportionnellement au nombre de téléchargements effectués.


Et en France ?

Si le débat sur la loi HADOPI et sa récente adoption par le Sénat a mis en évidence de nombreuses questions, il a aussi divisé les acteurs en deux groupes bien distincts : les adeptes du tout gratuit VS ceux du tout interdit.

Mais certains ne font partie ni de l'un ni de l'autre camp. C’est le cas de Philippe Aigrain, qui, dans son livre Internet & Création   pose une question "jusqu'alors absente du débat" mais qu'il considère comme centrale : "Comment favoriser la création sur Internet tout en favorisant la rémunération des auteurs ?" Dans son livre, il propose une analyse objective de la situation et de ses possibles afin de faire avancer la réflexion sans opposer échange et rémunération, jusque même "organiser leur synergie."


En effet, les échanges sur Internet existent et plus personne ne peut revenir dessus. Au départ, les bibliothèques de prêt et copies de cassettes vidéo ont été accueillies avec enthousiasme, puis le développement s'est accéléré à une vitesse grand V, occasionnant certaines craintes. Plutôt que d'éradiquer les TIC, Philippe Aigrain prend le parti d'organiser ces effets. Car parallèlement, il voit la possibilité d'échanger sur Internet comme une réelle opportunité pour le développement de la culture, pour des auteurs de faire connaître leurs œuvres, pour les utilisateurs de se regrouper, de se rencontrer et de créer. Mais le développement actuel et "dans l'ombre" des échanges "hors marché" démontrent aujourd'hui ses limites : la gratuité d'abord, à laquelle il est nécessaire de palier par un système de financement mutualisé pour donner aux auteurs la rémunération qui leur est due et favoriser la création. Mais aussi, le fait de ne pas encore reconnaître et légitimer ses échanges donne lieu à de nombreuses dérives et nous prive surtout de nouvelles opportunités. Philippe Aigrain les décrit notamment au début de son livre : un développement des techniques de recherche, une meilleure qualité des œuvres, l'apparition de nouveaux services en ligne, la création de communautés organisées et légitimes, en bref "un impact positif sur l'économie générale de la création" si on y instaurait des cadres et une légitimation.

Philippe Aigrain appuie aussi la nécessité de la participation des internautes dans le financement des artistes. Plutôt que "compensation", il préfère nommer cette redevance contribution ("créative"), pour s'inscrire dans une logique de développement. Sa thèse n'arrive pas toute seule et a été inspirée de ce qui a été fait et réfléchi, notamment dans le cadre de la licence globale en 2005 de laquelle il tire les leçons. La principale est le caractère obligatoire de cette redevance pour tout utilisateur en possession d'une connexion Internet haut débit (et qui était optionnel dans le projet de licence globale). Selon lui, une somme de 3 à 7 euro versée par chaque internaute permettrait de prendre en compte la rémunération de tous les acteurs en jeu : créateurs, producteurs, agents d’intermédiation de soutien à la création et de la diffusion, avec une possibilité de modulation pour ne pas accentuer la fracture numérique. En plus d'un développement de la diversité et des œuvres culturelles, le fait de reconnaître les échanges "hors marché" permettrait également de regarder les usages en collaboration avec les usagers et ce sans intrusion, afin d'adapter rémunération et usage des œuvres, en considérant au final les internautes comme meilleurs alliés de la promotion de ce qu'ils échangent. Une optique rejoignant celle de Warner   dont Philippe Aigrain, sur son blog, qualifie l'inititative de "vraie révolution de l’industrie musicale".

Plutôt qu’un filtrage du web que certains pays réfléchissent à instaurer, ces exemples montrent bien qu’il est nécessaire et possible d’innover. En éclaireur, le livre de Philippe Aigrain est sorti quelques jours avant l’adoption par le Sénat de la loi. Il faudra donc encore faire progresser ces questions dans le débat public