Trois angles de vue différents sur l'action publique locale : celui de l'élu, du journaliste et de l'universitaire.

Comme tout scrutin, les élections municipales des 23 et 30 mars prochains se traduisent dans les librairies par une recrudescence de publications concernant la gestion des villes françaises et les enjeux liés à la recomposition des pouvoirs locaux. D'un point de vue symbolique mais surtout commercial, les éditeurs misent ainsi sur cet événement "marqueur" pour publier des ouvrages qui, en dehors des échéances municipales (soit tous les six ans), ne les passionnent pas, à l'exception notable des maisons d'édition locales, pour des raisons aisément compréhensibles.

On ne pourrait cependant faire grief à René Dosière, député de l'Aisne apparenté socialiste, de ne s'intéresser à ces questions que de manière épisodique. Son ouvrage Le métier d'élu local   , reprenant (avec leur autorisation) le titre d'un livre de science politique publié il y a vingt ans sous la direction de Joseph Fontaine et Christian Le Bart   , est à la fois un témoignage et un plaidoyer contre le cumul des mandats. Dans un autre registre, l'ouvrage collectif Les Roitelets ou la France des fiefs   sous la direction d'Olivier de Lagarde, journaliste à France Info, vise davantage à dépeindre un paysage politique, d'une manière très (trop ?) centrée sur les personnes, celui des grandes villes de France, envisagées quasi-uniquement sous la forme de baronnies locales. De manière plus classique, enfin, la revue Pouvoirs   propose un numéro riche et divers à cet élu de proximité qu'est le maire, à la fois d'un point de vue historique, juridique et sociologique.

René Dosière n'en est pas à son premier livre sur la vie politique, ou plutôt sur la manière dont s'exerce le métier politique en France. Il s'est notamment fait connaître en s'intéressant sous le mandat présidentiel précédent à L'Argent caché de l'Elysée   , pour reprendre le titre de son livre à succès préfacé par Guy Carcassonne, qui avait eu pour effet de contribuer à faire de cette question un vrai enjeu politique. Plus récemment, dans L'Etat au régime   , il se focalisait sur les réformes qu'il estimait nécessaires pour diminuer les dépenses publiques. Dans Le métier d'élu local, c'est surtout la question de l'exercice des mandats locaux qu'il envisage, ne s'interdisant pas de proposer, dans la veine de ses précédents ouvrages, sa propre vision de la réforme du "millefeuille territorial" et, en particulier, des finances publiques locales.

Du point de vue de ses productions éditoriales, comme de ses prises de position, René Dosière apparaît d'une certaine manière comme un élu atypique voire iconoclaste. Ses ouvrages, rigoureux et de bonne facture, ne sont pas à ranger dans la catégorie des livres de promotion personnelle, comme la plupart de ceux écrits par des personnalités politiques, et traitent de sujets techniques et arides, bien souvent délaissés par un monde médiatique davantage à l'écoute des "petites phrases". Par ailleurs, il a le courage de prendre des positions difficiles au sein du  personnel politique – ce qui lui a valu (peut-être ?) lors des dernières élections législatives de ne pas avoir reçu l'investiture du parti auquel il est apparenté à l'Assemblée nationale – : la baisse des dépenses publiques (position assez peu intuitive dans son camp, même si son appartenance au "rocardisme" l'explique aisément), qui pourrait d'ailleurs être légitimement contestée, et, surtout, de notre point de vue, la lutte contre le cumul des mandats, dont on sait que beaucoup, au Parlement, sont des croyants mais non des pratiquants (pour reprendre l'expression pas forcément très heureuse d'Arnaud Montebourg...).

C'est bien sous l'angle du témoignage personnel que René Dosière s'oppose au cumul des mandats dans Le métier d'élu local, expliquant qu'il est impossible de disposer d'assez de temps et d'énergie pour être à la fois maire d'une ville importante, président d'une intercommunalité (ce qui n'est d'ailleurs pas comptabilisé dans les cumuls), parlementaire et conseiller général et/ou conseiller régional, voire – et cela est assez courant, même s'il s'agit d'une fonction plutôt que d'un mandat au sens propre – membre de l'exécutif national ou local d'un parti politique. Anciennement adjoint puis maire de Laon, conseiller général de l'Aisne, président du Conseil régional de Picardie (à l'heure où il ne s'agissait pas d'une collectivité de plein exercice, soit avant la loi Defferre de 1982) et député, il considère a posteriori que le cumul n'offre que de faux pouvoirs (car lorsque l'élu ne peut être présent, faute de temps, c'est son entourage qui prend les rênes) et de vrais conflits d'intérêts (entre la prise en compte de l'intérêt local et de l'intérêt national, qui ne vont pas toujours dans le même sens). Partisan de la récente loi encadrant le cumul des mandats – véritable pomme de discorde entre élus, y compris chez les socialistes, avec comme leader des opposants à cette loi le président du groupe socialiste au Sénat, le maire de Dijon François Rebsamen –, René Dosière considère ainsi que "compte tenu de l’ancienneté et de l'ampleur de cette tradition [celle du radicalisme de la IIIe République], le vote de cette loi de 2014, qui met fin au cumul vertical entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale, apparaît comme une véritable révolution tranquille de notre vie politique"   ...même si elle n'entrera pas toute de suite en application.

Le mot de révolution n'est peut-être pas trop faible en effet, si l'on en croit la lecture du livre dirigé par Olivier de Lagarde, Les roitelets ou la France des fiefs. Dans un style sans doute trop spectaculaire et suivant une vision trop axée sur les personnes, cet ouvrage dresse un bilan critique de la décentralisation, en considérant que le cumul des mandats, notamment, mais aussi la concentration de très importants pouvoirs au niveau des exécutifs des collectivités territoriales, ont eu tendance à créer d'importantes baronnies. Il s'agissait déjà, à vrai dire, d'une critique lancinante de la part des opposants à la décentralisation au moment des lois Defferre et au-delà : les mots même de "fiefs" et de "féodalité" sont souvent employés par certains pour montrer à quel point cette évolution a tendance à affaiblir l'autorité de l'Etat central vis-à-vis des pouvoirs locaux   .

Dans cet ouvrage collectif, rédigé par des "localiers" (autrement dit, des journalistes installés en région), chaque chapitre est l'occasion de faire le portrait d'un "baron" mais aussi de dresser le tableau politique d'un territoire (ville/agglomération ou département) qu'il contrôle plus ou moins directement : Martine Aubry à Lille, Jean-Marc Ayrault à Nantes (du moins jusqu'en 2012 et sa nomination à Matignon), Jean-Michel Baylet dans le Sud-Ouest et à Toulouse (car si le sénateur et président du Conseil général du Tarn-et-Garonne est basé à Montauban, il contrôle néanmoins la puissante Dépêche du Midi toulousaine), Gérard Collomb à Lyon, Bertand Delanoë à Paris (jusqu'à fin mars 2014), Christian Estrosi à Nice, Jean-Claude Gaudin à Marseille, Alain Juppé à Bordeaux, François Rebsamen à Dijon et André Roussinot à Nancy – dans un contexte de fin de carrière pour ce dernier, si ce n'est de "fin de règne' : maire depuis 1983 et élu local depuis 1969 ! Si les propos sont globalement bien documentés, ils présentent toutefois l'inconvénient de la superficialité dans leur description des rapports de forces locaux et ne dégagent aucune distance quant à l'excessive personnalisation du pouvoir au sein de ces "fiefs". C'est sans doute toute la limite du regard journalistique sur des pouvoirs locaux qui, pour être analysés de manière pertinente, demandent sans doute plus de recul par rapport aux luttes intestines et aux intrigues, nombreuses et pas forcément passionnantes au niveau des territoires.

De manière plus convaincante, la revue Pouvoirs propose enfin un éclairage savant sur la figure du maire au sein de notre démocratie et, plus largement, de la société française.

On retiendra en particulier l'article de l'historien Emmanuel Bellanger, chercheur au Centre d’histoire sociale du XXe siècle de l’Université Paris-I et spécialiste de l'histoire politique, sociale et urbaine de la banlieue parisienne, proposant une généalogie intéressante de cette figure "sympathique" et "intouchable" de la République – après le président, le maire est à la fois l'élu le plus identifié, mais aussi le plus apprécié et le plus sollicité des Français –, en insistant logiquement sur la période de la IIIe République "triomphante" qui a érigé (au sens propre comme au sens figuré, si l'on songe aux vastes hôtels de villes urbains datant de cette époque) la mairie au rang des institutions les plus importantes de la vie politique   , notamment par la charte municipale de 1884. Du point de vue juridique, le professeur de droit et élu local (maire UMP d'Ermont, dans le Val d'Oise) Hugues Portelli rappelle les pouvoirs importants du maire sur le plan administratif : à cet égard, le système municipal apparaît encore plus personnalisé que le système présidentiel au niveau de l'Etat car le maire est à la fois à la tête de l'exécutif municipal (il est notamment le seul chef de l'administration) et du conseil municipal, représentant le pendant du pouvoir législatif, ce qui serait impensable au plus haut niveau politique en France. Sur le plan politique, l'universitaire de Nice-Sophia-Antipolis Stéphane Cadiou, auteur du Pouvoir local en France   , insiste à juste titre sur une évolution capitale des pouvoirs du maire, qui, d'un notable local traditionnel, est devenu, surtout dans les grands centres urbains, un véritable "entrepreneur" politique, s’impliquant massivement dans l’élaboration de projets d’action publique majeurs, permettant de mobiliser des ressources et des expertises importantes et inconcevables jusqu'à une période récente   .

Le même numéro de la revue propose enfin des articles de praticiens sur l'exercice du mandat de maire. Le sénateur Alain Richard, ancien ministre de la Défense du gouvernement Jospin et maire PS de Saint-Ouen-l'Aumône (Val d'Oise), longtemps président du Syndicat d'agglomération nouvelle de Cergy-Pontoise, propose ainsi un article éclairant sur les rapports complexes et ambivalents entre le maire et l'intercommunalité, cet établissement public qui a eu à la fois tendance à renforcer le pouvoir de certains maires (ceux des "villes-centres" en particulier, puisque le pouvoir des agglomérations dépend d'abord de l'influence de ces maires) tout en affaiblissant au profit d'une structure plus large les pouvoirs des "petits maires", si nombreux en France. Au-delà de l'intérêt de la mutualisation des services et des moyens pour un pays qui compte plus de 36 000 communes, dont plus de 30 000 comptent moins de 2000 habitants (à titre de comparaison, pour ne parler que des pays européens équivalents, la Grande-Bretagne, par exemple, compte, selon les différentes définitions du mot, entre 500 et 1500 communes, l’Italie et l’Espagne environ 8 000 et l’Allemagne aux alentours de 11 000), Alain Richard montre que les réformes récentes voire en cours d’examen (notamment pour ce qui concerne les métropoles) sont porteuses d’une véritable inversion des rôles, la commune perdant beaucoup de ses capacités réelles de décision. Dans ce contexte, le citoyen, pour qui la mairie est le principal lieu de participation démocratique, risque de se sentir dépossédé   par une structure dépolitisée, davantage tournée vers la gestion. Alain Richard rejoint d'ailleurs en ce sens son collègue de l'Assemblée nationale René Dosière qui exprime la même réserve dans Le métier d'élu local vis-à-vis des intercommunalités : "dans ces regroupements dont les compétences ne cessent de croître, la dimension managériale l'a emporté sur la dimension politique. Dans l'intercommunalité, le citoyen est complètement exclu du processus de décision"   .

Ainsi, qu'il s'agisse du point de vue de l'élu, du journaliste ou de l'universitaire, l'action publique locale reste un terrain propice aux analyses et aux critiques. Echelon politique de proximité, le pouvoir municipal reste le cadre d'exercice quotidien de la démocratie : pour cette raison, il est donc sain et logique que les élections municipales soient actuellement au cœur des débats politiques, au-delà des question de personnes, au vu des projets de territoires et des enjeux financiers qu'elles sous-entendent