Une histoire des Noirs américains qui, en dépit de son caractère inégal, met bien en évidence le chemin parcouru de Martin Luther King à Barack Obama.

1955 : le refus de Rosa Parks de céder sa place à un Blanc dans un autobus conduit au boycott de Montgomery, dirigé par Martin Luther King. 1962 : huit ans après l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis Brown contre le Conseil de l’Education condamnant la ségrégation scolaire, c’est par hélicoptère et sous la protection de plusieurs centaines de marshalls fédéraux que James Meredith parvient à s’inscrire à l’université du Mississippi, la vénérable Ole Miss. 1966 : la guerre aux taudis est déclarée par Martin Luther King à Chicago. 1967 : le démocrate Carl Stokes, élu à Cleveland, devient le premier maire noir d’une grande métropole américaine.

Ces quelques événements, choisis parmi tant d’autres, mettent en lumière que l’histoire des Noirs américains est une suite de combats, dans laquelle les cas individuels fédèrent des mobilisations nationales, dans laquelle les champs de bataille ne cessent de s’étendre, de la lutte contre la ségrégation dans la vie quotidienne à celle pour la reconnaissance des droits sociaux, dans l’éducation ou le logement, et des droits politiques, par le vote et l’élection. Ils montrent également que si ses racines puisent dans l’entre-deux-guerres et ses prolongements recouvrent la période contemporaine, le cœur de cette histoire émancipatrice se situe dans les années 1950 et 1960.

C’est dans l’étude de cette période charnière que réside l’intérêt de l’ouvrage de Nicole Bacharan, politologue spécialiste des États-Unis   . Établis avec précision, bien documentés   , le récit des batailles menées, notamment, par le Mouvement des droits civiques, le portrait de leurs principaux acteurs, de Martin Luther King à Malcom X, en passant par Thurgood Marshall, et l’analyse des évolutions juridiques, sociales et politiques qu’elles ont permises passionnent, car, comme l’indique avec justesse l’auteur dès l’introduction, "l’histoire des Noirs américains, c’est l’histoire de l’Amérique. Mais c’est aussi une histoire contre l’Amérique, une histoire pour l’Amérique, et un combat pour le droit à l’Histoire"   .  

Néanmoins, il faut malheureusement avouer que le lecteur restera quelque peu sur sa faim. En premier lieu, Nicole Bacharan choisit un mode narratif plus qu’analytique, s’appuyant surtout sur la reprise de sources de seconde main, qui, s’il lui permet d’être accessible, fait perdre son livre en profondeur. Certains aspects de l’Histoire des Noirs américains auraient ainsi peut-être mérités d’être davantage mis en perspective, tels que, par exemple, les interactions entre le droit et la conquête de l’égalité   . En second lieu, l’ouvrage a un caractère inégal assez surprenant : une centaine de pages, seulement, est consacrée à la longue et riche période qui va de l’arrivée des vingt premiers Noirs à Jamestown en 1619 à l’entrée des États-Unis dans la seconde guerre mondiale en 1941, quand l’ouvrage en compte près de 500. Dans ces conditions, pourquoi ne pas avoir limité l’objet de l’étude au XXème siècle   ?

 

 

En dépit de ces faiblesses, Les Noirs américains : des champs de cotons à la Maison blanche aura toutefois le mérite de révéler la rapidité des progrès accomplis dans la deuxième moitié du XXe siècle, qui est à la mesure de l’âpreté des combats menés, et de nourrir la réflexion sur la société américaine contemporaine et le sens de l’élection de Barack Obama.

À cet égard, il est intéressant de s’attarder sur l’analyse de Nicole Bacharan, fine observatrice des États-Unis contemporains. Selon elle, l’Amérique, en élisant un président noir, peut "tourner enfin la page la plus lourde, la plus écrasante de son passé"   .

Certes, la situation des Noirs américains reste marquée par l’inégalité. À titre d’exemple, en 2005, 24 % des Noirs vivent en dessous du seuil national de pauvreté, contre 8 % des Blancs, et l’espérance de vie des Noirs est en moyenne de cinq ans inférieure à celle des Blancs   . Dans cette mesure, "la trace du terrible héritage de l’esclavage et de la ségrégation est donc toujours bien visible"   .

Cependant, la question noire a changé de nature. D’un point de vue interne, "il n’y a plus une communauté noire mais un kaléidoscope de situations et d’attitudes, de l’extrême richesse à la grande pauvreté, de l’ultraprogressisme politique à l’utraconservatisme"   . D’un point de vue externe, "il n’y a plus une Amérique noire face à une Amérique blanche, mais une mosaïque de peuplements aux frontières de plus en plus floues"   , en raison de l’émergence d’autres minorités   et des mariages interraciaux   . Aussi, la question noire est de moins en moins une question raciale, mais davantage une question sociale.     

Reprenons, pour conclure, le fameux et désormais "historique" discours de Barack Obama du 18 mars 2008. D’un côté, le problème racial persiste aux États-Unis, et "ce pays ne peut pas, aujourd’hui, ignorer la problématique de la race". De l’autre, il serait profondément erroné d’en parler "comme si rien n'avait changé, comme si [les États-Unis] n'avaient pas accompli de progrès, comme si ce pays – un pays où un noir peut être candidat au poste suprême et construire une coalition de blancs et de noirs, d'hispaniques et d'asiatiques, de riches et de pauvres, de jeunes et de vieux – était encore prisonnier de son passé tragique"

 

* À lire également sur nonfiction.fr :

- Sylvie Laurent, Homérique Amérique (Seuil), par Alice Béja.

- L'entretien de Sylvie Laurent, par Alice Béja.

- Nicole Bacharan, Le petit livre des élections américaines (Panama), par Benoît Thirion.

- Barack Obama, De la race en Amérique (Grasset), par Henri Verdier.

- Barack Obama, De la race en Amérique (Grasset), par Balaji Mani.

- Andrew Gelman, Red state, blue state, rich state, poor state: Why Americans Vote The Way They Do (Princeton University Press), par Clémentine Gallot.

- L'entretien d'Andrew Gelman, par Clémentine Gallot.

- Justin Vaïsse, Histoire du néoconservatisme aux Etats-Unis (Odile Jacob), par Adrien Degeorges.