Le négationnisme, par les hasards des calendriers et de l’actualité politique, revient sur le devant de la scène, alors même qu’on le croyait définitivement évacué de la sphère publique.

 

   

 

La sortie du film Le Procès du siècle réalisé par Mick Jackson rappelle l’histoire de ce procès de 2000 qui opposa l’historienne américaine Deborah Lipstadt et sa maison d’édition Penguin Books, et David Irving, écrivain et négationniste patenté. Une opinion en procès, voilà qui peut faire frémir tous les partisans de la liberté d’expression dans sa plus pure expression. Cependant, ce que le film montre bien, c’est qu’il ne s’agit pas du procès d’une opinion. David Irving a lui-même intenté un procès en diffamation à Deborah Lipstadt en espérant ainsi un triomphe devant les tribunaux à défaut d’une reconnaissance institutionnelle. Le procès se conclut néanmoins par une sentence établissant non seulement l’existence des chambres à gaz dans les camps d’extermination nazis, mais surtout la volonté délibérée et idéologique de falsifier l’histoire de la part de David Irving.

Savoir si le négationnisme doit être pénalement jugé est une question en réalité bien différente de celle que pose le film. En 2000, le négationnisme perd le procès que David Irving a initié, il n’est pas condamné. Le point le plus crucial du film n’est pas non plus la vérité de l’extermination, qui n’est jamais remise en question ; il s’agit de se défaire des affects pour la prouver scientifiquement. En revanche, la question sans doute la plus fine qui est développée par le film et le procès, c’est le fait que les discours négationnistes sont véhiculés par une idéologie raciste, antisémite voire fasciste. Ce n’est pas une simple opinion, c’est une opinion qui refuse délibérément d’accepter des faits historiques pour des raisons inavouables et inavouées. À l’heure des fake news et autres faits alternatifs, et dans le contexte politique actuel, cette prise de conscience a son importance…

Il est crucial de rappeler la valeur de faits prouvés, quand les responsables politiques balaient les preuves scientifiques d’un revers de main. Il est crucial de le rappeler aussi quand des responsables politiques arrivent, même provisoirement, à la tête d’un parti qui se prétend respectable et républicain. Ces « opinions » négationnistes sont tout sauf un libre exercice de la pensée et sont basées sur des fondements idéologiques.

On avait oublié « le détail de l’histoire » de Jean-Marie Le Pen, voilà que le négationnisme de Jean-François Jalkh refait surface. Celui-ci, dans un entretien mené par Magali Boumaza en 2000 et publié en partie en 2005, qualifiait Robert Faurisson de négationniste « sérieux » et mettant en doute la réalité de l’utilisation du Zyklon B pour l’extermination de masse dans les camps nazis. Un dépôt de plainte ayant eu lieu, la justice suivra son cours pour un nouveau procès en diffamation…

Les déclarations de Jean-François Jalkh s’inscrivent en réalité dans la droite lignée de l’histoire du négationnisme en France telle qu’elle a été abondamment étudiée par Valérie Igounet, et Henry Rousso. La première a publié deux ouvrages majeurs sur le négationnisme français, dont une biographie de Robert Faurisson qui montre comment les procès ont offert une tribune de choix pour les mensonges sur les chambres à gaz. Valérie Igounet montre également à travers ses travaux à quel point les négationnistes français, notamment Faurisson, ont bénéficié de complicités ou de négligences institutionnelles ou universitaires. Ces négationnistes ont ensuite tissé des liens avec le négationnisme contemporain, représenté par Dieudonné notamment, et qui se nourrit du conflit israélo-palestinien.

Henry Rousso de son côté cherche également à expliquer la forte présence du négationnisme dans l’espace public français. Dans un article de 2008, il retrace les connections fortes qui relient le négationnisme et l’extrême droite française, avant que celui-là ne trouve également des échos à l’extrême gauche.

Pourquoi encore lutter contre le négationnisme ? Parce que, comme le dit justement Henry Rousso : « on peut oublier un bienfait sans trop de conséquences, mais oublier un crime, ce serait le commettre une seconde fois ». Il s’agit de ne pas tomber dans le refus des nationalismes européens de reconnaître les crimes du passé, sans tomber non plus dans une lecture victimaire de l’histoire. L’historien a la charge de l’histoire, avant que le monde politique et l’espace public ne s’empare de la mémoire. Encore faut-il que cette mémoire repose sur des bases saines. Rappelons, comme le fait le documentaire Les Faussaires de l’histoire, que le négationnisme repose sur l’idée d’un complot juif sioniste, qui aurait instrumentalisé et exagéré l’extermination nazie pour favoriser et financer la création de l’État d’Israël. Rappelons également que les négationnistes instillent le doute, instrumentalisent des erreurs ponctuelles pour remettre en question une vérité historique plus générale. C’est en faisant ce raisonnement, que l’on aboutit finalement à ce fameux « détail de l’histoire » de Jean-Marie Le Pen, dont le Front National est le continuateur aujourd’hui.

Face à ces débats sans cesse recommencés, l’historien ne peut faire comme si de rien n’était. Il doit rappeler avec force que l’histoire est une démarche s’appuyant sur un raisonnement rationnel et des preuves tangibles. Il y a bien sûr encore des controverses sur ces questions : pensons notamment au débat historiographique autour du terme même de Shoah, ou encore autour de la « Shoah par balles ». Il est naturel et sain que les historiens puissent se poser librement ces questions. Mais ils doivent le faire en dehors de toute posture idéologique, loin des présupposés racistes et complaisants face aux régimes totalitaires qui sous-tendent encore et toujours les discours négationnistes.

 

Sommaire :

Valérie Igounet, Robert Faurissou : portrait d’un négationniste, par Jérôme Segal

Henry Rousso, « Les racines du négationnisme en France », par François Quinton

Henry Rousso, Face au passé. Essais sur la mémoire contemporaine, par Anthony Guyon

Michael Prazan, Valérie Igounet, Les Faussaires de l’histoire (documentaire), par Paul Legrand et David Navaro

Saul Friedländer, Les Années d’extermination. L’Allemagne nazie et les juifs, 1939-1945, par Jérôme Segal

Notre dossier « Fascisme – nazisme. Histoire, interprétations, débats » (2008)