Un ouvrage collectif ambitieux renouvelle les perspectives sur l’histoire de l’Algérie contemporaine à l’occasion du cinquantenaire de son indépendance.

L’année 2012 marque le cinquantenaire de la fin de la Guerre d'Algérie et de l'indépendance de cette dernière. À cette occasion, un collectif d'universitaires franco-algériens, mais pas uniquement, publie Histoire de l'Algérie à la période coloniale, 1830-1962, entreprise qui ne manque pas de rappeler l'édition d'un manuel d'histoire franco-allemand en 2006 par Nathan afin de dépasser les histoires nationales.


Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault soulignent ainsi dès l'introduction leur "volonté de dépasser les polarisations nationales" avec ce livre, "exercice de reconnaissance réciproque et de mise à distance d'un passé conflictuel", qui ne cherche pas pour autant à vainement "réconcilier les mémoires"   . Pour cela, les éditeurs de ce volume ont rassemblé 79 chercheurs qu'ils estiment de facto liés par leurs parcours universitaires (Algériens ayant poursuivi des études supérieures en France) ou biographiques (chercheurs français d'origine algérienne) pour "proposer une histoire partagée et critique de l'Algérie à la période coloniale qui tienne compte des interrogations des sociétés actuelles sur ce passé". "(T)elle est donc l'ambition de cet ouvrage, que nous avons choisi de ne pas restreindre à la période de la guerre d'indépendance."   Cette dernière ayant été déjà bien étudiée, se concentrer à nouveau sur elle aurait été trop réducteur pour celui qui cherche à comprendre l'histoire du pays.


Dans leur essai historiographique introductif, ils démontrent bien que la Guerre est finalement un frein à une meilleure connaissance des tenants et des aboutissants de l'histoire algérienne et par ricochet, de ses relations avec la France. La Guerre d'Algérie n'a été que tardivement reconnue comme telle en France alors que l'histoire a été accaparée par le nouveau pouvoir algérien à partir de l'indépendance, qui fit table rase du passé et la fit commencer en 1954, le "témoin" se faisant historien. Ce n'est que dans les années 1990 avec la fin du monopole politique du FLN que la parole se libère et qu'une nouvelle demande sociale d'histoire émerge. Le livre est donc le fruit des évolutions de l’historiographie, et du développement concomitant de l'histoire globale dont la récente Histoire à part égales de Romain Bertrand est une vibrante illustration.


Un nouveau découpage chronologique

Pour se démarquer des approches traditionnelles sur l'histoire coloniale de l'Algérie, les auteurs ont retenu une chronologie différente faisant terminer la "prise de possession de l'Algérie" en 1880 au lieu de 1870, afin de souligner les difficultés et la durée d’une conquête qui n'aboutit vraiment qu'avec le début de la IIIe République "républicaine" et la soumission des dernières tribus. Les auteurs distinguent trois autres périodes : les "deux Algérie ?" (1881-1918), période qui voit le développement de la présence française et le renouveau démographique algérien, "l'heure des initiatives algériennes" (1919-1944) et enfin la période 1945-1962 de la marche "vers l'indépendance".


Ce n'est que dans la postface que l'histoire en vient à éclairer le présent avec un essai sur les relations franco-algériennes. Les auteurs se demandent alors si la France ne serait pas encore "malade de l'Algérie" et si cette dernière ne serait pas encore prisonnière de son héritage colonial qui s'exprimerait par l'autoritarisme et le jacobinisme de son État. Pour eux, le contentieux mémoriel n'est pas encore soldé en dépit de la proximité avant tout humaine entre les deux nations, puisqu'en 2012, "un Français sur six a un lien direct avec l'Algérie."  

Doublé d'une approche thématique

Pour chaque période, plus d'une centaine d'entrées thématiques sont réparties dans cinq rubriques : les logiques coloniales, les logiques de la société locale, les lieux et les espaces, les acteurs et le contexte. Ce parti-pris vient ancrer le propos dans une perspective plus globale. Chaque période bénéficie d'un chapitre introductif et d'une chronologie des principaux événements algériens et métropolitains. Ces articles sont autant de "zooms" sur des sujets précis, faisant le point sur les développements de l'historiographie dans le domaine étudié, proposant des renvois à d'autres articles et des prolongements bibliographiques. Le sens de lecture de l'ouvrage est donc assez libre, se rapprochant de la philosophie d'une encyclopédie.


Cette approche vient équilibrer certains passages assez événementiels, en particulier sur la période de conquête, bien qu'essentiels, mais parfois déroutants pour le novice. Les articles constituent autant de mises au point incontournables pour saisir la complexité de l'histoire de l'Algérie à la période coloniale. Hélène Blais, par exemple, revient sur la genèse de l'établissement des frontières, moins imposées que le fruit de concertations avec les acteurs locaux afin de s'assurer de leur respect   . Le mythe de la Kabylie est aussi décortiqué   alors que sont présentées des personnalités complexes, méconnues mais symboliques des échanges entre ces deux cultures comme celles d'Isamaÿl Urbain   . Le lecteur cherchant une synthèse concise et claire sur certains événements comme la Guerre du Rif et ses implications pour l'Algérie   ou sur les harkis   trouvera ainsi son compte. Enfin, l'article de Daniel Voldman consacré à l’œuvre de l'architecte Fernand Pouillon sur les deux rives   témoigne de la richesse de l'ouvrage et du soin apporté au choix des contributeurs et des thématiques.


Une entreprise pédagogique

L'Histoire de l'Algérie à la période coloniale est un modèle à plusieurs titres : modèle de collaboration entre universitaires venant d'horizons différents, entre éditeurs (La Découverte s'associant à l'éditeur algérien Barzakh), mais aussi de pédagogie. Les auteurs ont fait le pari de toucher un large public, comme en témoigne la réduction de l'appareil critique à un minimum, à la clarté du style qui se maintient tout au long de l'ouvrage en dépit de l'hétérogénéité des thèmes et des contributeurs.


Le 12 mai 2012, Benjamin Stora avait déclaré à Mediapart, dans un entretien sur la future politique de François Hollande à l'égard de l'Algérie : "Il faut une reconnaissance officielle de ce qui s’est réellement passé. […] Les gens n’imaginent pas à quel point on n’en est qu’au stade de la connaissance des faits." Une connaissance que l'Histoire de l'Algérie à la période coloniale contribue sans aucun doute à améliorer

 

A lire aussi sur nonfiction.fr :

- Pierre Vermeren, Misère de l’historiographie du “Maghreb” post-colonial (1962-2012), par Florian Louis.

- Romain Bertrand, L'Histoire à parts égales, par Benjamin Caraco.

- Sébastien Denis, Le cinéma et la guerre d'Algérie, par Olivier Hadouchi

- Benjamin Stora, Le mystère De Gaulle. Son choix pour l'Algérie, par David Valence

- Notre entretien en quatre parties avec Raphaëlle Branche, par Pierre-Henri Ortiz et Pierre Testard :

I- Des "événements" à la guerre d'Algérie
II- Les violences de guerre
III- L'embuscade de Palestro
IV- La mémoire actuelle de la guerre d'Algérie