Le mouvement de libération des femmes (MLF) a fêté ses quarante ans en 2010, anniversaire qui a mis à l’ordre du jour la très nécessaire transmission des stratégies et des savoirs développés dans les luttes et les études féministes.

Chercheuses   travaillant sur le genre et les sexualités, nous entendons collaborer par le biais du présent dossier à la diffusion des apports sociaux-politiques, intellectuels et culturels du féminisme, en nous efforçant de rendre accessible des concepts, des catégories d’analyse et des développements théoriques qui permettent de déconstruire le système de genre, autrement dit, l’hétérosexisme, les identités et les rôles de genre ainsi que la division sexuelle du travail.

Dans ce dossier figureront des entretiens avec celles qui participent au féminisme de la troisième vague, qui croît en importance depuis les années 1990, et qui s’emploie à troubler, à queeriser le genre et les catégories identitaires. Mais nous n’oublierons pas pour autant les féministes de la deuxième vague, qui dans les années 1970-1980 ont œuvré au Mouvement de Libération des Femmes (MLF), et qui, ces derniers temps, étant donné la persistance du sexisme dont l’affaire du Sofitel a témoigné amplement, reprennent le chemin des assemblées générales de féministes et de lesbiennes.   .
 

Naissance du  Mouvement de Libération des Femmes

C’est en 1872 que l’adjectif "féministe", dans son sens actuel, apparaît pour la première fois. La première vague féministe, celle auxquelles appartiennent pétroleuses et suffragettes, s’est en effet déroulée dans les pays occidentaux de la fin du XIXe siècle jusqu’à l’obtention du droit de vote, dans la première moitié du XXe siècle. La deuxième vague  a déferlé à la fin des années 1960 et elle s’est ensablée, si l’on peut dire,  au cours des années 1980. 

Le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) est né le 26 août 1970, aux abords de l’Arc de Triomphe et de la tombe d’un soldat notoirement inconnu. Les Américaines fêtaient ce jour-là le cinquantième anniversaire de leur obtention du droit de vote. En guise de commémoration, les féministes du Women’s lib ne se contentèrent pas de manifester, elles  s’abstinrent de remplir les rôles impartis d’amante, d’épouse, de mère et de ménagère. A Paris, par solidarité avec cette grève, une dizaine de féministes, parmi lesquelles Cathy Bernheim, Christine Delphy, Christiane Rochefort, Monique Wittig et l’Américaine Namascar Shaktini, entreprennent de dénoncer l’invisibilité des femmes, symbolisée par l’oubli abyssal dans lequel est ensevelie la femme du soldat inconnu. Afin que l’existence de cette femme cesse de flotter dans les limbes de la conscience collective, pour que celle des femmes – et non pas de " la Femme "   –  s’inscrive dans l’ordre symbolique et dans l’agenda politique, ces militantes féministes portent à la connaissance de touTEs qu’ "il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme "  et qu’ "un homme sur deux est une femme" .

Constitué d’ "une multitude de groupes très divers" de militantes féministes radicales, le MLF entendait de rendre aux femmes la libre disposition de leur corps, de leur fécondité, et, somme toute, de leur existence tout entière. Pour atteindre ce but, à l’instar de leurs sœurs d’outre-Atlantique, dès mai 1970, les féministes françaises s’étaient prononcées en faveur de la non-mixité : "Depuis quand les opprimés doivent-ils demander aux oppresseurs la permission de se libérer ? "    . Lors des premières réunions du MLF, à Paris, les militantes ont "  dû vider physiquement des hommes, venus seuls et persuadés que ces réunions devaient être mixtes" . Et lorsque leurs présumés libérateurs les traitent de "mal baisées", parce qu’elles les boutent hors de leurs assemblées, ils corroborent ce qu’elles y dénoncent. Car comment mieux attester que le privé est politique ? Asséner un fantasme dont le machisme sexuel est criant en guise de représailles préliminaires à la libération des femmes par elles-mêmes, n’est-ce pas signifier combien la scène la plus privée est prise dans des rapports de pouvoir ? Puisque dire que les insurgées sont des mal baisées, c’est sous-entendre qu’elles eussent été comblées d’être ravalées au rang d’objet d’une " baise" masculine ; c’est donc dégainer la représentation d’un désir féminin qui serait masochiste dans l’espoir de désarmer  les subalternes osant se passer d’une autorisation masculine pour se donner la parole les unes aux autres; c’est aussi avouer la violence dégradante, la domination muselante d’une sexualité masculine qui ne reconnaît pas le statut de sujet à son objet de désir. Enfin, c’est suggérer que l’hétérosexualité constitue une entreprise de soumission des femmes, où "la baise"  ôte la parole à celles qu’elle déshumanise… Fantasme et suggestion auxquels les femmes en voie de libération répondent bientôt qu’" une femme sans homme c’est comme un poisson sans bicyclette " .

Les participantes aux groupes non mixtes de " prise de conscience "  ont mené ensemble une critique de la domination masculine qui a conduit aux batailles pour le droit à l’avortement, pour la re-criminalisation du viol et contre les violences masculines

 

Sylvie Duverger


* Bibliographie sélective et introductive : 

Vous trouverez des indications bibliographiques supplémentaires ainsi que des compléments à notre dossier sur ce blog.

- Cathy Bernheim, Perturbation, ma sœur. Naissance d’un mouvement de femmes (1983), Paris, éditions du Félin, 2010.

- Cathy Bernheim, Liliane Kandel, Françoise Picq, Nadja Ringart, Mouvement de Libération des Femmes - Textes premiers, Paris, Stock, 2009.

- C. Delphy, L’ennemi principal, Tome I, Économie politique du patriarcat, Paris, Syllepse, réédition en 2009. 

- Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités, Paris, Puf, 2008.

- Françoise Picq, Libération des femmes, quarante ans de mouvement, Paris, éditions dialogues.fr, 2011. 

- Martine Storti, Je suis une femme, pourquoi pas vous ? 1974-1979. Quand je racontais le mouvement des femmes dans Libération, éditions Michel de Maule, 2010.

 

 

A lire aussi : 

L'intégralité de nos p(l)ages féministes