Dossier : La politique extérieure de l'Union européenne à l'heure du SEAE

 

Cet article est plus amplement développé dans une note du même auteur publiée chez Terra Nova : "Le Service européen pour l'action extérieure : l'outil d'une politique étrangère commune ?".

 

Après des mois de négociations entre les Etats membres, la Haute représentante, la Commission et le Parlement européen, le Conseil du 26 juillet devrait annoncer le lancement officiel de la mise en place du Service européen pour l’action extérieure (SEAE). La Haute représentante s’appuiera sur ce nouveau service pour diriger la PESC et coordonner la politique extérieure européenne.

La création du SEAE est très innovante et symbolique. En regroupant les services de la Commission et du Conseil, 136 Délégations et entre 2000 et 3000 agents des institutions européennes et des Etats membres, ce service prendra les contours d’un Ministère des affaires étrangères et pourrait faire émerger une culture diplomatique européenne.

Le renforcement de l’action extérieure européenne est l’un des principaux objectifs du traité de Lisbonne. L’UE reçoit enfin une personnalité juridique internationale. Elle peut ainsi agir internationalement, conclure des traités ou candidater à l’adhésion d’organisations internationales. Les Délégations de la Commission deviennent par là même des Délégations de l’UE pouvant remplacer les Présidences tournantes dans leur rôle de représentation. La disparition des trois piliers de l’UE permet de fusionner les postes de Commissaire aux relations extérieures et du Haut représentant pour la PESC dans la fonction du Haut représentant pour les politiques étrangères et la politique de sécurité, également Vice Président de la Commission. Cette simplification permet également de créer le SEAE, service hybride lié au Conseil pour la PESC, à la Commission pour les affaires communautaires.

Le Parlement plaidait en faveur d’un service diplomatique européen dès l’année 2000. Cette réforme répond en effet à un besoin croissant d’une plus grande présence de l’UE sur la scène internationale. L’affirmation d’un monde multipolaire, la reconnaissance de défis globaux, soulignée par la succession des crises, économiques, financières, climatique et alimentaire, et le besoin criant d’une gouvernance mondiale plus légitime et efficace sont autant d’enjeux qui appellent un renforcement du rôle international de l’UE.

Le compromis auquel sont parvenus les Etats membres et les institutions européens est-il à la hauteur de cette ambition ? Les critiques n’ont pas manqué autour de cette réforme : la simplification attendue de l’architecture institutionnelle ne semble pas évidente, la promesse d’unisson autour de la haute représentante s’étiole devant un risque croissant de cacophonie et la visibilité de l’UE laisse désirer, que cela soit lors des crises, haïtienne ou kirghize, ou au G20. Il serait pourtant injustifié de jouer les Cassandres au vue du potentiel du nouveau service, même si le dépassement des rivalités institutionnelles et le développement d’une politique étrangère européenne sont essentiels pour donner tout son sens à la réforme.

 

Un compromis politique intéressant

La mise en place du SEAE soulevait des enjeux politiques majeurs. Le traité de Lisbonne ne précisant pas les contours du service, le Conseil devait déterminer, sur proposition de la Haute représentante, avec accord de la Commission et avis du Parlement : le positionnement institutionnel du service, ses prérogatives, le statut de son personnel, son budget et le degré de contrôle du Parlement européen. Le mois de retard qu’a pris la négociation paraît bien mince au vue d’un tel défi.

Les intérêts des acteurs étaient naturellement divergents. Globalement en faveur d’un SEAE fort, les Etats membres ont voulu cadrer la réflexion en endossant le rapport de la Présidence suédoise sur le SEAE dès le 30 octobre 2009. En optant pour un service sui generis doté d’une autonomie budgétaire, ils contrecarraient les visées de la Commission qui insistait sur le rattachement communautaire du service via la vice présidence de la haute représentante.

La Commission a en effet cherché à défendre ses prérogatives. J.M Barroso a d’ores et déjà gardé un rôle de coordination en matière de politique extérieure grâce à l’éclatement des compétences entre trois commissaires, au Développement, à l'aide humanitaire, et au Voisinage, politique pourtant gérée par la Direction Générale RELEX sous l’autorité de la haute représentante. J.M. Barroso a également nommé à la tête de la DG Relex son ancien directeur de Cabinet, Vale De Almeida, ainsi de facto membre influent du comité conseillant Lady Ashton sur le SEAE.

Le Parlement a pour sa part utilisé un moyen de pression très efficace pour peser davantage dans la négociation : son pouvoir de codécision sur les aspects budgétaires et le statut du personnel du SEAE. Les députés ne demandaient pas moins qu’un rattachement du SEAE à la Commission et un fort contrôle budgétaire et politique sur le service. Ils craignaient que la méthode communautaire ne soit minorée au profit de l’intergouvernementale et, selon les termes E. Brok, auteur du rapport sur le SEAE, que ce nouveau service ne soit "un royaume non contrôlé".

Alors que la proposition de Lady Ashton soumise le 25 mars avait été acceptée par les Etats membres le 26 avril, le Parlement refusa de donner son accord pour le conseil européen de juin, obtenant ainsi des concessions non négligeables. Le compromis final est intéressant : le SEAE est bien indépendant et d’une envergure globalement satisfaisante pour les Etats membres, il est placé sous un contrôle budgétaire et politique renforcé du Parlement, son budget étant exécuté par la Commission.

Le SEAE a un périmètre large, intégrant les départements de politique étrangère du secrétariat du Conseil et de la Commission comme les structures politico militaires de l’UE. Il a un rôle clé pour le cycle entier de programmation de tous les instruments financiers géographiques, sauf l'instrument d'aide de préadhésion.

Un compromis a été trouvé pour la programmation de l’aide extérieure européenne, que la Commission, le Parlement et certains Etats membres, dont le Royaume Uni, ne voulaient pas laisser au SEAE. La Commission en aurait été affaiblie, l’indépendance de la politique européenne de développement compromise. L’autorité de la Commission a donc été réaffirmée sur les cycles de programmation des politiques de développement et de voisinage. Le SEAE travaillera avec les services compétents de la Commission et les projets de décisions seront portés conjointement au Collège par les deux Commissaires et la haute représentante. Certes un peu complexe à mettre en œuvre, ce compromis donner des garanties pour une éviter une politisation négative de la politique européenne de développement qui pourrait être due à l’influence de la PESC.

Autre avancée intéressante, le Parlement a élargi son droit de regard sur la PESC et la PESD. Il sera notamment consulté sur le lancement de nouvelles missions de la PESD et ses commissions des affaires étrangères et des budgets auront un droit de contrôle renforcé sur celles qui seront financées sur le budget de l’UE. Il auditionnera aussi les représentants spéciaux et les Chefs de Délégation de l’UE.

Pour ce qui est du personnel du service, l’équilibre entre les agents de la Commission, du Conseil et des Etats membres est conservé. Le parlement s’est assuré que les institutions européennes contribuent bien au service à hauteur de 60 % et que le nombre de poste de direction soit augmenté pour placer les hauts fonctionnaires européens. Les adjoints de Lady Ashton ne seront pas les Commissaires en charge de relations extérieures et un représentant politique pour la PESC comme le souhaitait le Parlement, mais ces commissaires pourront remplacer la Haute représentante lors de ses auditions parlementaires sur les affaires communautaires. Les trois plus hauts postes de direction devraient revenir aux Etats membres : Pierre Vimont, l’actuel Ambassadeur de France à Washington, serait le secrétaire exécutif général et ses adjoints, la ministre polonaise Mikolaj Dowgielewicz et une haute fonctionnaire allemande du secrétariat général du Conseil, Helga Schmid.

 

Un service à la hauteur de la mission de la Haute représentante

Le SEAE ainsi conçu peut avoir les moyens de renforcer la cohérence et l’efficacité de la politique extérieure de l’UE.

Grâce au regroupement de la plupart des instruments de l’action extérieure européenne, le service peut concevoir une stratégie plus cohérente pour chaque pays en utilisant plus facilement et de manière mieux adaptée le fameux policy mix européen, mêlant dialogue politique et missions de la PESD, coopération économique, aide au développement et aide humanitaire.

Une approche régionale et politique a d’ailleurs primé sur une logique par instruments pour réorganiser les directions géographiques du service. La Méditerranée se sépare du voisinage oriental et de la Russie, rattachement lié à l’Instrument de voisinage et de partenariat, pour rejoindre le Proche Orient. L’Afrique se détache du Groupe Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP), configuration historique à laquelle est dédié le Fonds européen pour le développement, pour être traitée à part entière, signe supplémentaire d’une volonté de budgétiser le FED.

Le regroupement des bureaux géographiques et des structures de gestion de crise, soit de l’expertise pays et des spécialistes de d’urgence, devrait également rendre la réponse européenne aux crises plus rapide, pertinente et liée aux programmes de long terme.

Le regroupement au sein d’une même Direction de toutes les questions horizontales, thématiques et globales, soit les relations multilatérales, le terrorisme et la non prolifération, la démocratisation ou les questions de genre, devrait permettre d’élaborer une stratégie d’ensemble plus cohérente pour promouvoir les intérêts et les valeurs des européens face aux défis globaux, sécuritaires, politiques ou économiques, au niveau local, régional et mondial.

Le service vise également à appuyer la haute représentante dans ses tâches de coordination et de représentation. Une Direction est ainsi consacrée à la coordination, la communication et la diplomatie publique. Les Délégations de l’UE intégreront quant à elle, outre les services du SEAE, ceux de la Commission et les bureaux extérieurs de la Banque européenne d’investissement et assureront la coordination avec les Etats membres.

Le SEAE peut enfin devenir le creuset d’une culture diplomatique européenne, en développant entre les agents la Commission, du Conseil et des Etats membres, un noyau de valeurs et d’intérêts partagés.

 

Un potentiel dépendant de l’ambition des européens

Le développement du potentiel du SEAE et, d’une manière générale, du rôle international de l’UE suppose de relever trois grands défis : donner à la haute représentante et au SEAE l’envergure nécessaire à l’affirmation de l’UE comme acteur global, dégager un budget à la hauteur de cette ambition et, surtout, développer une vision stratégique pour une politique étrangère commune.

La mission de coordination de la haute représentante ne sera pas facile. La multiplication des postes de direction au sein du SEAE complique déjà sa tâche en interne. Au-delà, elle semble avoir les plus grandes difficultés à s’affirmer face aux Présidents de la Commission et du Conseil.

Pour l’heure assez effacée sur les questions communautaires, la haute représentante laisse de facto une marge de manœuvre importante à J.M. Barroso. Or la Commission continue de défendre jalousement ses prérogatives. Elle refuse ainsi que la haute représentante négocie les accords internationaux hors du domaine de la PESC non seulement au nom de l’UE, ce qui est juridiquement justifiable, mais également au nom de la Commission, ce que supposerait son rôle de représentation. Le Secrétariat général de la Commission a également pu avoir une grande influence sur la relance du Groupe des Commissaires en charge des relations extérieures, pourtant placé sous l’autorité de la haute représentante. Il pourrait aussi utiliser sa cellule de coordination avec le SEAE pour jouer un rôle d’encadrement concurrent. L’absence de Lady Aston du groupe de travail sur les perspectives budgétaires au profit du Commissaire au Développement, nommé référent pour l’action extérieure, est également symptomatique d’une minimisation de sa fonction.

La Haute représentante est peut-être encore davantage concurrencée dans le domaine de la PESC. Alors que le Traité supprimait ses fonctions de représentation, la Présidence espagnole n’a pas hésité à participer à des sommets internationaux aux côtés de la haute représentante, parfois sans y être invitée, comme lors de la dernière réunion du Quartet. Si les présidences belges et hongroises devraient mieux intégrer les changements institutionnels du Traité, le Président "permanent" du Conseil, Van Rompuy, compte bien s’affirmer sur les dossiers internationaux. Il rencontre les Chefs d’Etat étrangers, convie des Conseils sans nécessairement consulter la haute représentante, affirme son rôle au G20.

Ces rivalités institutionnelles donnent la vie dure au quolibet d’Henri Kissinger, ancien secrétaire d'Etat américain. L’UE se retrouve en effet avec quatre numéros de téléphone ! Et sans compter ceux des 27 ministres des Affaires étrangères. Au vu des insuffisances de la Troïka, la formation d’un quartet n’est pas de bon augure. Une clarification de la représentation extérieure de l’UE est pourtant possible avec le traité : si elle en a perdu le titre, la Haute représentante peut jouer le rôle d’un ministre européen des Affaires étrangères, et les européens peuvent repenser leur présence dans les instances multilatérales et auprès des pays tiers, en utilisant la personnalité juridique internationale de l’UE et le nouveau rôle des Délégations de l’UE.

La faiblesse du budget européen pour l’action extérieure est une deuxième hypothèque sur le succès de la réforme. Dans le cadre d’un budget limité à 1,05 % du RNB européen pour 2007-2013, l’action extérieure européenne a reçu 56 Mdrs d’euros, 5,7 % du total, auxquels viennent s’ajouter les 22,7 Mdrs du Fonds européen de développement non budgétisé. Faible montant pour une Union qui représente 30 % du PIB mondial.

Or le contexte n’est pas favorable au desserrement du corset budgétaire limitant l’ambition européenne. Si le premier projet de perspectives budgétaires 2014–2019 conçu par la Commission fin 2009 voulait faire de l’action extérieure le troisième axe du budget de l’UE et augmenter les sommes consacrées à la réponse européenne aux crises et aux défis globaux, comme le changement climatique, le contexte budgétaire de l’Union risque de réduire le débat à un arbitrage entre les objectifs de l’action extérieure européenne. L’aide au développement ne pouvant guère diminuer alors que les Etats se réengagent à atteindre les objectifs du millénaire pour le développement, peu d’innovations sont à prévoir. L’absence de la Haute représentante au sein du groupe de travail sur les perspectives budgétaires est un mauvais signe pour les moyens du SEAE.

Mais le succès de cette réforme est avant tout conditionné à l’ambition des Etats européens. Le SEAE est un bel outil mais ne pourra seul renforcer le rôle international de l’UE. La préservation et la promotion des intérêts, des valeurs et des préférences des Européens sur la scène internationale impliquent une véritable politique étrangère commune. Celle-ci passe par la définition de positions européennes en faveur de partenariats stratégiques, avec les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Brésil ou l’Inde, d’une stratégie européenne de sécurité renouvelée, de réponses européennes aux défis globaux.

Le développement de l’influence diplomatique européenne appelle enfin une plus grande capacité d’intervention de l’Union, dans ses dimensions civiles et militaires. Le corps volontaire européen pour l’aide humanitaire prévu par le Traité serait d’ores et déjà une création intéressante.

En définitive, cette réforme marque une étape importante de la construction européenne. Elle crée une fonction intéressante et un bel outil. Mais les Etats doivent encore affirmer leur volonté de s’engager sur la voie d’une politique étrangère commune. En dépendra la promotion des valeurs et des choix des Européens dans ce siècle qui s’annonce tumultueux.

 

Mathilde Lanathoua est le pseudonyme d'une spécialiste des questions européennes.

 

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