Dossier : La politique extérieure de l'Union européenne à l'heure du SEAE

 

Nonfiction.fr : Comment fonctionne la politique européenne de défense ?
 
Hervé Morin : Il faut d’abord effacer ce malentendu qui veut qu’il y ait une armée européenne. Cela n’a pas de sens tant qu’il n’y a pas de pouvoir européen émanant du suffrage universel et qui serait une construction visant une fédération politique. C’est avant tout de la coopération, de la coordination et de la mutualisation. On tente de faire des programmes d’armement communs comme l’A 400 M… programme qui est à peu près bouclé. Le deuxième avion d’essai vole depuis la semaine dernière -début avril-. Coopération aussi en matière de recherche : notamment avec une agence européenne de défense qui doit mutualiser les moyens de recherche pour la défense mais qui a du mal à émerger même si il y a eu des progrès sous la présidence française. Coordination, c’est notre capacité à dialoguer ensemble, à être interopérables pour mener nous-mêmes des opérations comme en Somalie -Atalante- avec cette opération maritime lancée par l’UE qui met en œuvre des moyens venant de différents pays. Il y a aussi des embryons de forces européennes, les Battle groups : ce sont des groupements tactiques de 1500 hommes qui sont en alerte –chaque pays prenant son tour- et qui doivent être capables de se déployer en 10 jours. Pour cela, il faudrait avoir un OHQ : un centre de planification et de commandement qui permet, à partir de la décision politique, d’engager rapidement ces moyens… et nous n’en avons pas pour l’instant.  
 
Nonfiction.fr : Imaginons un conflit dans les Balkans par exemple : que se passe-t-il ? 
 
Hervé Morin : La décision est prise au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement pour une crise majeure. L’opérationnel quotidien est au niveau des militaires puisqu’il y a un président du comité militaire de l’Union ou au niveau des ministres pour l’adaptation du dispositif. Il y a un service de l’action extérieure qui donne à l’Europe un formidable instrument : nous sommes le premier ensemble politique en terme d’action extérieure. Si on cumule tout ce qui est dédié au développement et à la reconstruction : nous sommes à 50 % de plus que les Américains… sans même compter les budgets nationaux ! 
 
Nonfiction.fr : Alors pourquoi pendant la crise de la Bosnie en 1995 par exemple, les Américains ont été plus forts que nous, y compris au niveau diplomatique ? 
 
Hervé Morin : L’Europe de la défense était encore un embryon. Les Européens ont décidé de se construire en renonçant aux instruments traditionnels de la puissance. L’Europe de la défense a été abandonnée. A partir du milieu des années 90 les choses progressent. L’accord de Saint Malo entre la Grande-Bretagne et la France en 1998 a permis de faire avancer les choses. Tout ceci est conditionné à une volonté politique unanime des Etats et la faiblesse des capacités militaires européennes ne permet pas une action commune pour une opération d’envergure comme en Afghanistan par exemple.  
 
Nonfiction.fr : Un service européen d’action extérieure est prévu par le traité de Lisbonne et mis en place par Catherine Ashton : A quoi va-t-il servir ? 
 
Hervé Morin : L’idée est d’avoir un système cohérent, coordonné, capable d’intervenir sur la totalité de la palette, du civil au militaire et de coordonner tous les moyens. Une politique étrangère de l’Union viendra difficilement à 27. Il faudra, et c’est une proposition que je fais en tant que président du Nouveau Centre, construire un nouveau traité des pays qui décident de s’engager vers une unité politique.
 
Nonfiction.fr : Comment s’articule la relation avec l’OTAN ? Les nouveaux Etats y sont très attachés… 
 
Hervé Morin : Tous les pays y sont attachés : les Européens ont un système qui leur assure la sécurité depuis 1945 et qui ne leur coûte pas cher puisque ce sont les Américains qui font l’effort militaire. Il y avait un doute des Européens qui pensaient qu’à chaque fois que l’on mettait l’Union européenne au devant de la scène, c’était pour affaiblir l’OTAN. En revenant pleinement au sein de l’OTAN, la France a montré qu’il y avait une complémentarité entre l’Union européenne et l’OTAN. Par exemple l’Union peut agir plus facilement que l’OTAN en Afrique sur un plan politique. C’est cette complémentarité qu’il faut jouer. L’OTAN, c’est 13 000 hommes, les militaires travaillant au sein de l’Union européenne, c’est 200 personnes.  
 
Nonfiction.fr : Alors avec 100 personnes a-t-on la capacité à rassurer les pays de l’Est ? 
 
Hervé Morin : La clause de solidarité qui figure dans les traités est un engagement fort mais nous n’avons pas les mêmes capacités militaires. Les Européens ont perdu cette volonté.
 
Nonfiction.fr : Sans même parler de puissance militaire, pendant la crise russo-géorgienne, c’est le président d’un Etat membre qui a agi même s’il avait la présidence du Conseil européen. Pourquoi les dirigeants communautaires n’interviennent-ils pas ?
 
Hervé Morin : Parce que nous dérivons vers une Europe intergouvernementale avec une impulsion politique qui n’est plus celle de l’époque de Jacques Delors.  
 
Nonfiction.fr : Que pensez-vous de l’action de Catherine Ashton ? 
 
Hervé Morin : Laissons lui le temps de faire ses preuves ! Et j’ai remarqué qu’elle a déjà évolué sur des sujets : elle était contre un centre de commandement et de planification de conduite des opérations européen permanent à Bruxelles. Contrairement à la diplomatie britannique, elle y est aujourd’hui favorable.  
 
Nonfiction.fr : C’est quoi être puissant au niveau européen ? 
 
Hervé Morin : C’est déjà être performant économiquement. Et puis ce serait de considérer qu’ayant un destin commun, on assure sa sécurité en commun. Et être capable de porter une politique étrangère différente des Chinois et des Américains. Ça impose une politique étrangère plus forte et une volonté réelle des Etats. Elle peut aussi le faire par la norme mais il ne faut pas opposer les deux : il ne faut pas abandonner pour autant les instruments traditionnels de la puissance.  
 
Nonfiction.fr : Quelles sont les actions militaires de l’Union en dehors des frontières ? 
 
Hervé Morin : Atalante par exemple : c’est la première opération maritime d’ampleur où l’Europe a été le pivot de l’action internationale. Les Chinois, les Américains, les Malaisiens sont venus. Ce que nous faisons sur terre, c’est la formation des forces de sécurité somalienne. Dans ces actions militaires, la France est plus présente que les autres mais avec une implication de plus en plus forte de nouveaux pays.  
 
Nonfiction.fr : Barack Obama a récemment réuni 47 pays pour un sommet sur la sécurité nucléaire… que s’est-il passé au niveau européen pour avoir une position commune ? 
 
Hervé Morin : Rien. L’intergouvernemental prend trop souvent le pas sur l’européen. J’ai constaté comme vous les dégâts quand j’ai vu que dès le lendemain les principales capitales européennes prenaient position.
 
Nonfiction.fr : Le traité de Lisbonne a été adopté l’année dernière. Quels sont les bons points et les mauvais points de ce nouveau texte ? 
 
Hervé Morin : Il n’y a pas de mauvais point en tant que tel. Ça dépendra beaucoup de ce qu’en font les Etats. Nous avons voulu ce traité pour sortir l’Union européenne de la crise institutionnelle. Il rééquilibre les pouvoirs entre la Commission, le Parlement européen et les Etats membres. Cela nous permet maintenant de revenir à notre projet politique pour l’Europe. En matière de défense, il nous faut l’ambition politique d’aller vers une intégration, d’aller vers plus de mutualisation. Le risque est grand qu’en étant trop ouvert à tous les pays qui veulent entrer dans la coopération structurée permanente, on ne puisse pas progresser aussi rapidement.  
 
Nonfiction.fr : Plus largement, au niveau institutionnel, l’Europe à trois têtes : Président de la Commission, Président du Conseil européen et Haut représentant ; est-ce bonne chose ?
 
Hervé Morin : C’est vrai que c’est une architecture compliquée… Laissons la vivre avant d’en tirer les conséquences ! Laissons lui une chance. De toute façon il fallait avancer, c’est bien qu’on s’en soit sorti.
On ne peut pas au bout de 6 mois, comme on le fait trop souvent, considérer que cela va mener forcément à l’échec. Peut-être que les choses vont s’installer comme les textes le disent. On verra bien ! Le système doit encore se roder
 
 
Propos recueillis par Mathias Mégy.

 

 

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