L’interrogation de cette seconde table ronde de la journée d’études sur l’idéologie du sarkozysme a permis de re-contextualiser le mandat effectué par l’actuel président de la République. Son inscription dans une perspective historique enjoint les différents intervenants à se placer dans une position où les questions de legs, de filiation, et de contexte historique sont des points d’ancrage dans la réflexion conduite toute au long de la journée, à savoir : existe-t-il une idéologie du sarkozysme, et si oui comment s’inscrit-elle dans l’histoire ? Les trois historiens invités (autour de ce questionnement) ont chacun tenté de répondre, en déclinant leur contribution selon un axe précis.

Pour Marion Fontaine, il s’est agi de replacer dans un contexte historique la figure présidentielle. Dans son développement, l’historienne s’est attelée à démontrer que Nicolas Sarkozy qui se voulait homme de "la rupture", ne fut rien d’autre qu’un "fils de son temps". L’utilisation à la fois caustique et juste de la citation de Tocqueville concernant le roi Louis-Philippe montre à quel point l’exercice du mandat présidentiel par Nicolas Sarkozy fut pétri par le "jeu de la valeur des affects couplé avec celui de l’efficacité économique". A cet égard, le mandat de Nicolas Sarkozy "contribue à maintenir des permanences aristocratiques sociales et culturelles", précise-t-elle. C’est en cela que le quinquennat sarkozyste, à l’instar du règne de Louis-Philippe, a eu pour effet de maintenir un esprit de castes et un certain séparatisme social. Rupture sur le style mais maintien des représentations sur le fond, Nicolas Sarkozy ne rompt pas catégoriquement avec une certaine idéologie de la domination sociale.

Le spécialiste de l’histoire du socialisme, Alain Bergounioux, s’interroge quant à lui sur la filiation historique dans laquelle s’inscrit le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy. Reprenant à René Remond la classification des trois droites, l’historien du PS analyse l’idéologie du sarkozysme comme une synthèse fragile entre la droite légitimiste, orléaniste et bonapartiste à laquelle s’ajoute la tentation d’une droite xénophobe et, où l’opportunisme politique est fondamental. Autre interrogation sur laquelle se penche Alain Bergounioux, celle de l’impact de la forme du style gouvernemental (saturation médiatique, "hyperprésidence", segmentation du mandat entre les annonces et l’effectivité des mesures). L’historien souligne que la rupture dans le "commandement" induit des effets à plus long terme, comme, celui "d’être en campagne permanente" durant la totalité du mandat. C’est ce qu’on retiendra du mandat de Nicolas Sarkozy, à défaut de déceler une véritable idéologie du sarkozysme.

Quant à Christophe Prochasson, il questionne l’ "imaginaire historiographique" de l’actuel locataire de l’Elysée. Pour appuyer sa démonstration, l’historien reprend une citation de Marx pour souligner que s’il y a une idéologie, celle-ci est un "bricolage, une consommation historique". Ainsi lorsqu’il interroge la place de l’histoire dans le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy, Christophe Prochasson remarque que ce dernier fabrique une histoire à partir de savoirs qu’il ne maîtrise pas et, où l’individualisme et l’importance du storytelling sont les variables d’ajustement de sa pensée historique. Selon l’historien, "l’imaginaire historiographique du président est celui de l’individualisation des cas, l’histoire de la nation se fait via une figure emblématique et non dans le cadre d’une perspective collective". C’est l’exemple de l’utilisation de la figure de Guy Môquet.

A l’issue de cette table-ronde, on remarquera que les trois intervenants ont eu le souci de replacer dans un contexte historique précis l’exercice du mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy. L’exercice est de taille, car l’héritage historique de l’actuel président est traversé par des changements, dans la pratique, mais aussi structuré par des permanences dont le président lui-même se fait écho. Aux trois intervenants d’ouvrir leur réflexion sur une dernière remarque : si l’alternance advient, au mois de mai, il y aura un legs du mandat de Nicolas Sarkozy. Au prochain locataire de l’Elysée de prendre de la distance avec cet héritage et d’essayer de ne pas faire l’exercice d’un métier mais d’incarner la figure présidentielle avec toute la transcendance qu’elle exige

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- Les Inrocks publieront demain un article co-signé par Frédéric Martel, directeur de la rédaction de nonfiction.fr, et Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, nourri des réflexions de cette journée d'études. 

 

* Cette journée d'études a été organisée en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, le Huffington Post et les Inrockuptibles.