"Homme de la rupture, Nicolas Sarkozy s’est fait élire contre le modèle intellectuel français". Cette phrase introductive de Frédéric Martel   déplace sensiblement la question de l’idéologie de l’hyper-président en matière de culture, du terrain des politiques publiques vers celui du rapport singulier et personnel de l’homme Sarkozy à la culture française. L’enjeu du sarkozysme culturel se situe là, moins dans la recherche d’une cohérence des mesures "décidées à l’Elysée mais pas pensées, suivies à la hâte rue de Valois et qui ont provoqué de graves fautes de goût, des comportements vis-à-vis des individus tout-à-fait choquants, ainsi que des erreurs de stratégie culturelle conséquentes" (Olivier Poivre d’Arvor) que dans l’idéologie sous-tendant les mises en scène d’un chef de l’Etat assumant une "volonté de rompre avec tous les codes et avec le catéchisme culturel français" (Frédéric Martel). C’est ainsi au "sarkozysme, non en tant qu’action mais en tant qu’idéologie"   que les intervenants de la dernière table-ronde de la journée, Frédéric Martel, Olivier Poivre d’Arvor et Olivier Py se sont proposés de réfléchir avec beaucoup d’humour.

Selon Olivier Py, il existe bien une idéologie sarkozyste en matière culturelle. Il est essentiel, ainsi, de ne pas se laisser abuser par l’indéniable tournant culturel du quinquennat. Si, comme l’explique F. Martel, il est possible d’isoler deux sarkozysmes culturels, un premier "très franchouillard", celui d’un président  "qui jouait un peu au beauf", et un second, plus intellectuel, celui d’un homme "qui s’était mis à aimer Woody Allen", il existe des éléments de continuité indéniables : "Nicolas Sarkozy n’est ni véritablement élitiste, ni véritablement populaire (…) il est middle brow, il est partisan de la culture du milieu. Une culture qui n’est ni celle du divertissement, comme le peuple parfois le souhaite, ni non plus, une culture pour sa valeur intrinsèque, son authenticité et sa créativité, celle de ceux qui défendent l’art".

Précisant son analyse, Olivier Py caractérise l'idéologie sarkozyste de "libéralisme anticapitaliste". De l’application de ce "libéralisme libérateur" à la sphère culturelle résulte une conception profondément utilitariste de la culture. Pour Nicolas Sarkozy, la culture est avant tout un capital. Un capital marchand tout d’abord, car il a été "le président de la culture auditée et mesurée, quantitativement comme économiquement "(Frédéric Martel). Mais un capital social surtout. Il s’agit, à travers la culture, "de trouver un statut social, de s’auto-agrandir". La culture est un outil servant à la réalisation de soi et à l’ascension sociale. A travers des symboles marquants, comme celui des collections du Figaro, de littérature ou d’histoire c’est une "culture du parvenu, et du bachotage" qui est célébrée sous Sarkozy et qui "mènera à la culture Zadig et Voltaire, c’est-à-dire à la confusion entre les œuvres et les marques" (Frédéric Martel).

Pour autant, appliquer cette grille de lecture aux politiques culturelles orchestrées pendant le quinquennat pose problème. Là n’est pas le moindre paradoxe souligné par Olivier Py : "s’il existe une idéologie sarkozyste, Sarkozy n’a pas toujours été sarkozyste". Alors que, libéral, il revendiquait, dans les premiers temps de son mandat, la redistribution d’une culture qui serait socialement libératrice, Sarkozy devient le président de la capitalisation culturelle. Il voulait lutter contre le capital culturel, assimilé non pas à l’argent mais à "l’élitarisme supposé des politiques culturelles"   . Pourtant "le seul travail propre et commandé par Nicolas Sarkozy sera la maison de l’histoire" (Olivier Poivre d’Arvor), un projet qui place en son cœur les valeurs mémorielle et patrimoniale, valeurs capitalistes bien plus que libérales. Pire, avec la loi HADOPI, "c’est le libéral qui devient liberticide" (Olivier Py). Alors qu’il aurait dû accompagner la révolution culturelle de la jeunesse internationale, Nicolas Sarkozy apporte une réponse coercitive, qui "défend les intérêts privés (…) et la capitalisation culturelle par des marchands d’accès". Pour avoir voulu, surtout, "capitaliser un nom de gauche – avec Frédéric Mitterrand – Nicolas Sarkozy a finalement vu les querelles intimes faire office de politique culturelle"(Olivier Py)

 

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