Initiée par des proches de Derrida, et bénéficiant du soutien des éditions Galilée, la vaste entreprise d'édition des séminaires de celui-ci, représentant quarante années d'enseignement devant donner lieu à autant de volumes, a été inaugurée par la parution d'un premier volume à la fin de l'année dernière. La Bête et le Souverain revient sur des questions longuement présentes dans les travaux de Derrida – la question de l'animalité, le caractère flou de sa frontière avec l'humanité, et la question de la souveraineté, du partage des pouvoirs au sein d'un ensemble politique – qui se rejoignent dans une configuration originale pour proposer une réflexion nourrie sur la politique qui, par la lecture patiente de textes du passé autant que par la venue d'événements de pensée, s'efforce de donner une autre approche de celle-ci, pour penser une autre forme de politisation. 

Ce volume s'inscrit dans le cadre des dernières années d'enseignement de Derrida, à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), portant sur les "questions de responsabilité" : le pardon, l'hospitalité… Tous ces séminaires, et plus particulièrement l'un d'entre eux portant sur la peine de mort (dont l'édition est en cours), rappellent, dans leur incroyable cohérence et leur résonance avec tous les écrits de Derrida, la dimension politique de sa pensée.

Celle-ci, trop souvent négligée, sans doute parce que Derrida préférait à la simplicité de positions unilatérales et facilement médiatisables la complexité et l'exigence d'une pensée à l'écoute aussi bien du mouvement du monde que de toute la tradition philosophique, n'en demeure pas moins une composante essentielle de son œuvre et de son parcours. Ses multiples prises de position et plus particulièrement son intransigeance à l'égard de la peine de mort ou encore sa défense d'une "hospitalité inconditionnelle" sont là pour nous le rappeler.

Nonfiction.fr vous propose cette semaine un dossier qui lui est consacré, revenant sur sa récente actualité éditoriale et se voulant une invitation à partir à la rencontre d'une œuvre, à la reprise d'un cheminement qui sans cesse, tout en conservant un même souci d'exigence et parce qu'il conservait ce même souci, s'est repensée, enrichie. Nul doute que comme l'indique Marie-Louise Mallet : "L'œuvre de Derrida donnera encore beaucoup à penser."

 

Au sommaire de ce dossier :

- Entretien avec Marie-Louise Mallet : "Par de multiples voies, l'œuvre de Derrida donnera encore beaucoup à penser"

- Entretien avec Marc Crépon : les séminaire de Derrida sur la peine de mort

- Collectif, Derrida à Alger. Un regard sur le monde (Actes Sud), par Marc Crépon.

Un témoignage de l’extraordinaire rayonnement d’une pensée irrécupérable, ouverte sur le monde, au défi des frontières.

- Jacques Derrida, Séminaire. La bête et le souverain t.1 2001 - 2002 (Galilée), par Emanuel Landolt.

La déconstruction de l'opposition homme/animal et d'une définition de la souveraineté au profit de la recherche d'une autre forme du politique.

- Jacques Derrida, "Le souverain bien - ou l'Europe en mal de souveraineté" dans Cités, 30, 2007 (PUF), par Bastien Engelbach.

La notion de souveraineté est saisie dans sa complexité et son historicité, suivant l'horizon problématique de l'animal politique mettant en balance l'homme et l'animal, la politique et le bestial, le souverain et la bête.